A Contre-Courant : Vous avez dit « Etats démocratiques » ?!




Chaque mois, le mensuel Alternative libertaire reproduit l’édito de la revue alsacienne À Contre Courant, qui de son côté reproduit l’édito d’AL. Pour contacter ces camarades : ACC, BP 2123, 68060 Mulhouse Cedex.


Régulièrement, la scène sur laquelle se déroule la tragicomédie permanente de la vie politique au sein des « Etats démocratiques » est envahie par des « scandales » plus ou moins importants, qui impliquent ou éclaboussent jusqu’aux plus hauts personnages placés à la tête de ces Etats. Ces « scandales », qui conduisent les uns à une sortie de scène peu honorable, les autres à se réjouir plus ou moins ouvertement de la chute des précédents, d’autres encore à jouer les moralisateurs en se lamentant sur la petitesse des affaires humaines ou les réformateurs en proposant quelques mesures destinées à assainir les mœurs politiques, sont presque toujours l’occasion pour tous de convenir en définitive qu’il s’agit de manquements graves aux exigences démocratiques, qui ne compromettent cependant pas la valeur intrinsèque de ces derniers.

Bref, « l’Etat démocratique » ne serait pas en cause, seuls le seraient les agissements d’hommes politiques qui en sont indignes. Ce constat fait, la scène politique épurée de ses acteurs scandaleux et le brouhaha indigné de la salle ayant pris fin, la pièce peut se poursuivre selon son cours « normal »... jusqu’au scandale suivant.

Et si le scandale n’était pas l’exception mais la règle ? S’il n’était pas un accident dans le fonctionnement de « l’Etat démocratique » mais au contraire s’il en révélait la substance même ? Car, somme toute, qu’est ce que cet Etat sinon une machine à la tête de laquelle se trouvent placés des hommes (ou des femmes) qui, au mieux, y ont été élu/es mais ne rendent plus compte à leurs électeurs de leurs agissements durant leur mandat, voire ont été tout simplement coopté/es par les précédents ou leurs pairs sans même être jamais passé/es par l’onction du suffrage universel ? Comment voulez-vous que cela n’induise pas chez la plupart d’entre eux (elles) aussi bien un goût immodéré du pouvoir qu’un sentiment de totale impunité qui ne peut que les inciter à céder à toutes les tentations de corruption (active ou passive) ou de coups plus ou moins tordus pour éliminer leurs concurrents ?

Allons plus loin même. Le scandale n’est-il pas en fait « l’Etat démocratique » lui-même ? Qui ne perçoit la dénaturation de la démocratie qu’implique sa réduction au jeu politique parlementaire et partisan, assorti de quelques libertés publiques dont les hommes politiques espèrent bien que les citoyens useront le moins possible, pour les laisser vaquer tranquillement à leurs affaires ? Qui ne perçoit que la démocratie qui, rappelons-le, signifie le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, ne peut certes pas se réduire à élire périodiquement des dirigeants sur lesquels on perd tout contrôle au moment même où on les a élus ?

Qui ne perçoit que, prise dans toute l’exigence de sa signification, la démocratie implique l’autogestion généralisée de la société : son auto-direction, son auto-organisation et son auto-contrôle par l’ensemble des membres de la société, en impliquant du même coup la résorption du politique dans le social et la destruction de toute forme étatique (séparée, centralisée et bureaucratisée) de pouvoir politique ? Si bien qu’« Etat démocratique » constitue à proprement parler une contradiction dans les termes.

Un vrai « scandale » en somme, qu’il faudrait placer sous les projecteurs des investigations communes. Et pas seulement pour le présenter comme une aberration sémantique. Mais pour réussir aussi à lui coller le statut de monstruosité politique à éradiquer d’urgence.

 
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