Antifascisme : L’extrême droite à la conquête du net




Depuis quelques années, une partie de l’extrême droite a fait d’internet le centre de sa stratégie de communication. La « réacosphère » consiste en une nébuleuse de sites internet, dont certains revendiquent plusieurs dizaines de milliers de consultations quotidiennes.

Du fait de son développement spécifiquement virtuel, une partie de l’extrême droite peut être considérée comme une branche à part qui se définirait par une méthode plus que par une idéologie, bien qu’elle soit souvent proche des identitaires sans se limiter à eux. D’abord, la plupart des sites de la « réacosphère » adoptent une posture radicalement antimusulmane.
Cette position est vue comme défensive : l’extrême droite virtuelle s’imagine comme autant de Charles Martel combattant une invasion islamique ou dans une guerre civile ethnico-religieuse dans les quartiers [1].
Pour elle, la France est en effet à la veille d’une « libanisation » qu’elle est la seule à voir. L’aveuglement de la société française serait causé par une trahison de la part des médias et des politiciens, influencés par de mystérieux lobbies islamiques. Cette opposition à un complot fantasmé permet à l’extrême droite virtuelle de se définir par opposition radicale : par exemple tout laïc qui ne partage pas les positions de Riposte Laïque est forcément un « fonctionnaire de l’Eurabia » [2].

Un déluge de faits divers

L’extrême droite virtuelle partage surtout une compréhension viciée de l’Histoire. Celle-ci est considérée comme un processus cyclique : ce qui est arrivé se reproduira. L’immigration est un retour aux invasions barbares, il faut un nouveau Charles Martel, etc [3]. Cette lecture de l’histoire comme répétitive laisse de côté les processus pour donner la priorité à la surface des évènements. Elle mène à rechercher la cause, non pas de chaque évènement, mais de chaque pseudo-répétition [4].
Cette démarche est faussée à la base car l’Histoire n’est pas cyclique. Deux évènements apparemment identiques ne mettent pas en jeu forcément les mêmes forces car c’est le contexte qui fait la différence, non le phénomène. Cette vision faussée pousse nos fafs virtuels à défendre une politique du fait divers. Grâce à internet ils peuvent recenser chaque évènement plus où moins sordide en rapport avec leur obsession. L’idée est de noyer le lecteur sous un déluge d’informations faussement objectives accréditant leurs thèses, un site comme Fdesouche.com peut ainsi produire des dizaines de dépêches journalières.
Chaque fait divers apparaît alors comme une justification des idées réactionnaires, sélectionné dans ce but et coupé de son contexte historique et social. Un fait divers n’impliquant pas de personnes d’origine immigrée, ou un licenciement, n’aura en revanche aucune chance d’intéresser la « réacosphère ».

Un succès à relativiser

Les fafs virtuels ont rencontré certains succès, dont on ne peut réellement savoir s’ils sont dus à leur présence sur internet. L’UMP a totalement intégré cette politique du fait divers. L’extrême droite est maintenant surreprésentée sur les forums de discussion ou dans les commentaires de sites d’actualité. L’islamophobie est répandue dans la société. Enfin, le discours identitaire est de plus en plus diffusé médiatiquement (principalement sur le mode de l’indignation). Les fafs concluent de leur succès relatif sur internet que les « vrais Français » sont de leur côté. Du recrutement de transfuges issus de la gauche (comme une partie de l’équipe de Riposte Laïque) ils concluent que leurs idées transcendent les courants politiques. La propagande menée sur le thème de l’opposition entre « pays réel » et « pays légal » semble avoir auto-intoxiquée une partie de l’extrême droite, qui confond maintenant « pays virtuel » et « pays réel ».

Ils oublient qu’un tel bourrage de crâne sur internet ne peut être efficace que pour la petite bourgeoisie ou pour des individus déclassés, sans lien avec la situation réelle dans les quartiers populaires. L’exemple du battage autour de la rue Myrha est frappant : si un seul des membres de Riposte Laïque habitait sur place, il aurait su que contrairement à ce qui était prétendu pour justifier l’apéro saucisson-pinard [5], il était très facile d’y trouver de l’alcool (une cave à vin se trouve même dans la rue) et une charcuterie (la plus proche est à moins de 100 mètres) [6].

Une recomposition de l’extrême droite ?

Les fafs virtuels semblent cependant vouloir capitaliser leur succès sur internet dans la vie réelle. C’est le sens d’initiatives comme « l’apéro saucisson-pinard », ou les « rassemblements républicains ». Une fois ces initiatives terminées, le résultat paraît mitigé. Le rassemblement à Paris semble avoir rencontré un certain succès, mais probablement bien en-deçà des attentes des organisateurs, qui n’ont pas réussi à mobiliser au-delà de l’extrême droite traditionnelle. Les initiatives en province paraissent avoir globalement échouées.
Cependant, l’extrême droite virtuelle semble être parvenue à mobiliser une base jusque là théorique. Si elle parvient à maintenir cette mobilisation, alors on se trouve peut être à la veille d’une recomposition de l’extrême droite au bénéfice d’une stratégie de fronts uniques anti-Islam. Il faudra alors que ceux qui luttent contre le fascisme s’adaptent à cette nouvelle donne.

Dany (AL Toulouse)

[1« Il vous faut un nouveau Charles Martel ! », www.fdesouche.com, 13 juin 2009.

[2« Le tournant eurabien de Caroline Fourest », www.ripostelaique.com, 24 novembre 2009

[3« Une bière Charles Martel », www.fdesouche.com, 8 mai 2008.

[4« L’Europe décline-t-elle ? », www.projet-apache.com, 27 décembre 2008

[5Interview de Sylvie François, www.ripostelaique.com, 7 juin 2008.

[6« Pas besoin d’apéro, il y a du vin et du saucisson à la Goutte-d’Or », www.rue89.com, 15 juin 2010.

 
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