Belleville : Biffins : Le PS ouvre la chasse aux pauvres




Depuis plusieurs mois, le boulevard de Belleville s’anime quotidiennement du fait de l’installation d’un marché de la récup’, un marché de la misère. Mais les pauvres, ça fait sale, ça fait peur et la mairie « socialiste » du vingtième arrondissement de Paris a décidé de s’en débarrasser. Un collectif de soutien aux biffins s’est donc constitué.

Biffins, chiffonniers, puciers, les termes abondaient autrefois pour désigner ceux qui faisaient de la récup’ et de la vente des produits ainsi glanés une occupation principale ou d’appoint. Ils et elles étaient partout présent-e-s dans nos villes à l’époque où les puces étaient encore de vrais marchés populaires. A l’heure des hypermarchés et autres hard-discount, c’est dans des magasins climatisés et vidéo-surveillés, calibrés pour la consommation de masse, que l’on détrousse les pauvres.

Mais, depuis bientôt deux ans sur le boulevard de Belleville, un marché de la misère s’est implanté au grand dam de certains petits commerçants et riverains, qui craignent la concurrence, ou simplement que leur bien n’adopte pas la même hausse exponentielle que le reste du foncier parisien !

Cachez ces pauvres !

Symptôme d’une société du gâchis, les biffins et les biffines farfouillent dans nos poubelles et récupèrent de menus trésors qu’ils proposeront pour quelques euros. Ainsi vendeur-se-s et acheteur-se-s se retrouvent sur le terre-plein dans l’espoir réciproque de ne pas basculer totalement au-delà de la misère. Mais sur un boulevard remodelé par l’hygiénisme et le racisme social d’un Haussmann, le retour des pauvres ne passe pas.

La chasse est ouverte et c’est avec un réel entrain que les maires socialistes des Xe, XIe, XIXe et XXe arrondissements ont accueilli en janvier dernier la nouvelle brigade spécialisée de terrain (BTS), spécialement créée pour lutter contre les « vendeurs à la sauvette » et les marchés sauvages. Le seul regret de ces maires, de « gauche », est l’amplitude de présence de cette brigade (14h30-22h30), pas assez étendue à leur goût. Cette option sécuritaire, applaudie des deux mains par le Parti socialiste au niveau local, a tout de même du mal à passer auprès de certains de ses alliés de la majorité municipale. Et si c’est autour du quartier de Belleville que se sont cristallisées les tensions les plus vives, le problème du harcèlement policier contre ces marchés informels est également présent aux portes de Montreuil et de Bagnolet, en marge des marchés aux puces officiels et réglementés.

De la résistance à l’alternative

Ainsi à l’appel d’élu-e-s du Parti de Gauche et d’Europe Ecologie Les Verts, un collectif de soutien des biffins d’Île-de-France s’est constitué regroupant des militants politiques (PG, EELV, PCF, NPA, AL) et associatifs (LDH, France Libertés, DAL, RESF, etc.), des chercheurs en sciences sociales, des riverains et des biffines et biffins dont certain-e-s sont organisé-e-s autour du collectif « Sauve qui peut ». Le collectif, en plus de s’opposer aux réponses répressives [1], souligne le caractère écologique et anticonsumériste de la récup’ et de la revente à bas prix qui représente une nécessité vitale aussi bien pour les vendeurs que pour les acheteurs qui fréquentent ces marchés.

Le collectif s’est fixé comme objectif de proposer des espaces et des modes d’organisation, suivant l’exemple d’un petit marché créé il y deux ans de cela à la porte de Montmartre dans le XVIIIe arrondissement [2]. Il apparait de plus en plus que le contrôle social et policier du carré de la porte de Montmartre, géré par l’association Aurore [3], n’est pas une voie d’avenir.

Mais que fait la police ?

La constitution du collectif a semble-t-il quelque peu contrarié les projets politiques de Frédérique Calendra, maire PS du XXe, qui a appelé à une manifestation contre les marchés sauvages le vendredi 20 mai dernier, à laquelle se sont joints ses confrères des Xe, XIe et XIXe arrondissements. Madame Calendra exige « une présence quotidienne d’effectifs de police tout au long de la journée » et « l’aménagement du boulevard de Belleville et de son terre-plein central afin d’en prévenir toute installation (alors que les mardis et vendredis un marché populaire s’y tient !) afin d’offrir aux habitants de Belleville le cadre de vie qu’ils méritent (c’est-à-dire sans pauvres visibles) ».

Deux cents personnes tout au plus, petits commerçants et retraité-e-s pour l’essentiel, ont manifesté aux cris de « Belleville pas poubelle-ville », appelant à une coopération police-riverains dans le plus pure style de la milice de quartier [4]. Face à cette haine anti-pauvre et anti-immigré-e, seul-e-s quelques militants et militantes libertaires étaient présents dans la rue ce 20 mai pour porter d’autres réponses.

Ce n’est qu’un début…

Depuis, la haine anti-biffines et biffins se maintien au PS, et les conseils de quartier sont l’occasion pour les élu-e-s de proférer des propos abjects, dignes de l’extrême droite, particulièrement à l’égard de membres de la communauté Rom. Que ce soit dans l’esprit de la lutte contre l’invasion, développée par Danièle Hoffman-Rispal, députée PS de Paris, ou celui du NIMBY [5]]] du député-maire Patrick Bloche, la chasse aux pauvres continuer, et tant pis si dans le lot se trouvent des demandeurs et demandeuses d’asile n’ayant légalement pas le droit de travailler [6]. Ils et elles rempliront les charters de messieurs Guéant et Sarkozy.

Le travail du collectif n’est pas orienté vers des fins d’organisation de carrés autogérés collectivement comme nous le souhaiterions, et ses actions publiques privilégient le travail en direction des élu-e-s, interlocuteurs privilégiés. Mais il nous importe, en tant qu’organisation libertaire d’être présent aux côtés des victimes des politiques sécuritaires libérales prônées par les États. Cette lutte anticapitaliste et antiraciste continue, d’autant que d’autres villes rencontrent les mêmes problématiques.

David (AL Paris Nord-Est)
Merci à Laëtitia pour sa relecture attentive et critique.

[1Les vendeurs et vendeuses de ces marchés sont en vertu de la loi LOPSI 2 passibles d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

[2Après plusieurs années de répression en marge des puces de St Ouen, qui drainent un flot de touristes chaque semaine, Daniel Vaillant a inauguré un « carré des biffins » à la porte de Montmartre en octobre 2009. Contraint alors par pur opportunisme électoral à cette solution, il ne cherche pas à convaincre ses camarades socialistes, bien au contraire, de légaliser ce type de marché.

[3Le marché de la gestion du « carré des biffins » a en effet été confié à l’association Aurore, qui, sous couvert de travail social, fiche et flique les biffines et biffins autorisé-e-s à venir s’installer dans leur carré.

[4Depuis cette « manifestation » les interventions policières sont encore plus violentes, avec gazages des vendeuses et vendeurs et arrestations.

[5[[ NIMBY : Not In My BackYard, « pas dans mon arrière-cour », qualifie l’attitude consistant à s’opposer à l’installation d’une population et/ou d’un projet, uniquement dans son environnement immédiat, en raison des nuisances qui en découlerait.

[6Selon la loi française un demandeur d’asile auprès de l’Ofpra n’est pas autorisé à rechercher un emploi pendant un an. La biffe est donc pour certains le seul moyen de se procurer des revenus sans s’engager à effectuer un travail clandestin au profit d’un patron sans scrupules.

 
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