écologie

Aurélien Barrau (astrophysicien), sur le bien-être animal : « L’empathie est essentielle dans nos choix »




Dégâts écologiques de la production du bétail, bien-être animal, question du spécisme... Le débat sur la consommation de viande ressurgit avec force ces dernières années, et traverse aussi les courants révolutionnaires [1]. Entretien avec Aurélien Barrau, astrophysicien engagé pour les droits des animaux.

Alternative libertaire : « Si nous devions réaliser le bonheur de tous ceux qui portent figure humaine et destiner à la mort tous nos semblables qui portent museau [...] nous n’aurions certainement pas réalisé notre idéal. Pour ma part, j’embrasse aussi les animaux dans mon affection de solidarité socialiste », écrivait le géographe anarchiste Élisée Reclus. Quels sont les liens entre émancipation animale et émancipation de l’humanité ?

Aurélien Barrau : Magnifique Élisée Reclus, authentique citoyen du monde ! Je pense, en effet, qu’exclure les animaux de « l’idéal socialiste » est difficilement justifiable. Cela nécessiterait d’inventer – à la manière des créationnistes et des think tanks d’extrême droite qui les soutiennent – une frontière infranchissable entre les humaines et humains (c’est-à-dire l’un des grands singes) et les autres vivants. C’est insensé du point de vue scientifique et arbitraire du point de vue éthique.

Dès lors qu’est entérinée l’idée que le droit d’un humain ou ­d’une humaine à la vie ne peut pas être assujetti à sa réussite sociale ou à son origine ethnique (disons à sa proximité avec celui qui en évalue la valeur) il n’y a aucune raison de restreindre la démarche aux seuls vivantes et vivants humains.

Illustration de « L’Homme et la Terre » d’Elisée Reclus

L’empathie est essentielle dans nos choix. Or les animaux souffrent également. Ils ressentent face aux supplices endurés – en particulier ceux que nous leur infligeons ! – ce que tout vivant ressent dans une situation de douleur extrême. Ils le vivent dans leur corps, qui est similaire au nôtre. Même l’existence de conscience, au sens fort, est maintenant actée chez de nombreuses espèces. Il est aujour­d’hui politiquement lâche et intellectuellement incohérent d’exclure les animaux de notre désir de respect.

L’être humain est un animal omnivore, donc également carnivore, se passer de viande n’est-il pas aller contre le cours naturel des choses ?

Aurélien Barrau : Il y a des débats sans fin pour savoir si les caractères physiologiques de l’être humain sont plutôt carnivores ou végétariens. Je pense que c’est sans importance pour la question qui nous intéresse. La nature n’a pas de finalité. Il est incontestable que l’être humain a la faculté de manger des animaux et des végétaux. Le problème n’est pas de savoir ce qu’il peut faire mais ce qu’il veut faire. Qui oserait justifier le viol ou le meurtre aux motifs que nous pouvons violer ou assassiner ? Il y a évidemment une infinité d’actions qui sont compatibles avec nos capacités biologiques que nous choisissons de ne pas mener. Je ne torture pas mes enfants, bien que mon corps me permette de le faire.

L’argument suivant lequel il faudrait manger des cadavres d’animaux parce que nous en avons la capacité est proprement insensé. D’autant qu’il est possible de vivre sans carence, de façon plus saine et souvent plus savoureuse, en se nourrissant sans tuer d’animaux. Tout est là.

Les opinions sur cette question semblent enfin évoluer, pourquoi maintenant ?

Aurélien Barrau : L’éthique animale passe souvent à la trappe. Il y a vingt ans, quand je m’intéressais à cette question, on souriait en société en la trouvant trop marginale. Aujourd’hui, on sourit en la trouvant trop à la mode. Tous les prétextes sont bons !

Je crois qu’on commence à comprendre l’argument de Robert Badinter contre la peine de mort. Il a regardé les juré.es droit dans les yeux et leur a demandé si, oui ou non, ils et elles souhaitaient qu’un homme en vie soit, par leur décision, coupé en deux morceaux. Tout est là : souhaite-t-on, oui ou non, que 60 milliards d’animaux soient inutilement coupés en morceaux chaque année ? Sachant que, en plus, ils ne sont pas même blâmables d’un crime quelconque et que leur agonie sera bien plus douloureuse que celle d’un ou d’une guillotinée.

Je pense que les images insoutenables du fonctionnement des abattoirs jouent également. Presque aucun mangeur d’animaux n’est cohérent au point de les regarder et de les assumer.

Les « religions du livre » sont-elles également responsables de notre rapport au vivant ?

Aurélien Barrau : Oui, les religions monothéistes ont leur part de responsabilité. Mais la philosophie n’est pas en reste. À quelques notables exceptions près, les philosophes ont complètement raté cette question. On entend encore tellement de discours stéréotypés et angoissés qui se cramponnent au « propre de l’homme », incapables de penser l’immense défi qui s’ouvre aujourd’hui à nous. C’est un comble pour une discipline dont tout le sens est de nous amener à la remise en cause…

Même pour la simple survie de notre espèce, seule une humanité a minima végétarienne aurait-elle une chance de survie ?

Aurélien Barrau : Il est certain que l’alimentation carnée n’est pas seulement une catastrophe pour les dizaines de milliards d’animaux qu’elle décime chaque année mais aussi pour l’humanité. L’industrie de la viande pollue plus que celle des transports. Un kilogramme de bœuf demande 10.000 litres d’eau.

Concrètement, se nourrir de viande revient – de fait – à choisir un mode d’être élitiste qui, indépendamment des immenses problèmes éthiques, ne peut pas être généralisé à l’ensemble des humains. C’est donc un comportement hautement antisocial. Il est indéniable ­qu’une évolution vers le végétarisme et le véganisme est aussi un geste politique dans le sens le plus « humain » du terme, nécessaire pour toute pensée se réclamant d’une sensibilité de gauche.

Veggie Pride 2014

« Je suis parfois réellement déçue par le fait que nombre d’entre nous assumions d’être des militants radicaux sans pourtant réfléchir à la nourriture que nous mettons dans nos corps. […] D’ordinaire, je ne mentionne pas que je suis végane. [...] C’est le bon moment pour en parler car c’est l’une des composantes de la perspective révolutionnaire », a déclaré Angela Davis. Qu’en pensez-vous ?

Aurélien Barrau : Magnifique Angela Davis ! Quand j’étais adolescent il fallait préciser, quand on se déclarait végétarien, que c’était « médical », sous peine d’apparaître comme un doux dingue. Les personnes qui défendent les droits des Noir.es et des femmes ont été ainsi considéré.es dans un passé pas si éloigné. Je me réjouis que cette préoccupation puisse enfin être revendiquée sans devenir marginalisante.

Dans certains milieux la tendance s’inverse même. À la cantine du CNRS, où je déjeune, je sens parfois une petite gêne chez celles et ceux qui s’alimentent d’animaux morts. Je ne me permettrais jamais de leur faire un reproche explicite : il n’est pas question d’être moralisateur ou donneur de leçons (et pour cause, je suis moi-même loin d’être exemplaire), mais ce changement de côté de la possibilité d’une « honte » est signifiant.

Il est essentiel de voir que le combat pour les animaux n’est jamais opposé aux luttes sociales pour l’humanité. Tenter de les opposer est une autre ruse du système répressif que nous combattons.

Propos recueillis par Nico (AL Moselle)

 
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