Biomasse : Les forêts ne partiront pas en fumée




E.ON, géant allemand de l’énergie, souhaite convertir sa centrale à charbon de Gardanne en centrale à biomasse. Entre chantage à l’emploi et hypocrisie du capitalisme vert, ce projet soulève une levée de boucliers.

Maintenant que les quotas de CO2 sont payants (les entreprises doivent acheter le droit d’émettre du CO2 depuis 2013), E.ON (voir encadré), propriétaire de la centrale électrique à charbon de Gardanne (entre Aix-en-Provence et Marseille), craint pour ses profits et lorgne sur une alternative juteuse : une centrale à biomasse.

646 000 tonnes de bois coupé

Le projet est de convertir une tranche de la centrale, qui est pourtant à la pointe de la technologie actuelle, pour y brûler 850 000 tonnes de végétaux par an, ce qui en ferait la plus grosse centrale à biomasse de France. Cela avec la bénédiction de l’état, qui subventionnerait ce projet à hauteur de 1,4 milliards d’euros sur 20 ans, considérant avec naïveté (ou complicité ?) que l’électricité produite serait « propre ».

E.ON prévoit d’ouvrir la centrale en 2015, en y brûlant 124 000 tonnes de déchets verts (tailles de haies, entretien des espaces verts), 85 000 tonnes de bois de rebut (objets en fin de vie : palettes, meubles, bois de démolition), 127 000 tonnes de combustibles fossiles, et surtout 646 000 tonnes de « ressources forestières », c’est à dire du bois coupé pour être envoyé directement à la centrale.

Environ la moitié de ces ressources forestières devraient être importées les premières années du Canada et d’Afrique du Sud principalement, mais E.ON souhaite ne s’approvisionner qu’en France à partir de 2025, dans un rayon de 400 km autour de la centrale (régions PACA, Rhône-Alpes et Languedoc-Roussillon essentiellement).

Cet approvisionnement serait sous-traité aux filières locales, qui s’occuperaient de démarcher les propriétaires forestiers et de réaliser les coupes, avec le soutien financier et technique de la multinationale. Il y aurait donc une multitude d’acteurs signant autant de contrats, dont bon nombre concerneraient de petites parcelles soumises à une législation plus souple que les grands domaines.

Privatisation des forêts

E.ON brandit bien haut le drapeau de la croissance verte, louant les emplois créés et la gestion durable des forêts, et nombre de décideurs lui emboîtent le pas, que ce soit le maire (communiste) de Gardanne, ou le président du parc national des Cévennes (les Cévennes sont considérées comme Zone d’approvisionnement prioritaire) qui a signé une convention pour l’exploitation des forêts du parc. L’absence d’étude d’impact environnemental, le manque d’information et de débat public, la privatisation des forêts, et la dilution des responsabilités via la sous-traitance ne les préoccupent guère tant qu’on agite la carotte du développement économique.
Pourtant les impacts de ce projet seront multiples. Il faut déjà prendre conscience de sa taille pharaonique. A titre de comparaison, la centrale à biomasse de Pierrelate (Drôme) financée par Areva, d’une capacité en biomasse de 150 000 tonnes par an, ne brûlait que 20 000 tonnes de bois un an après sa mise en service fin 2012, n’arrivant pas à s’approvisionner à hauteur du projet.

On se demande donc comment E.ON arrivera à approvisionner une centrale près de six fois plus grande, surtout qu’une autre centrale à biomasse (180 000 tonnes par an) est en cours de construction non loin de là, à Brignoles (Var). Ce « besoin » de bois risque donc de bouleverser profondément les filières locales, faisant augmenter les prix du bois et menaçant les usines de production de papier, tout le secteur de la construction-bois, les particuliers se chauffant au bois, et les petites centrales à biomasse qui se sont multipliées depuis les années 1980 (une cinquantaine rien qu’en Rhône-Alpes).

Gardanne est en plus une insulte à ces petites centrales, puisque grâce à une dérogation tombée du ciel la dispensant de récupérer la chaleur de la combustion, elle n’aura un rendement énergétique global que de 23 % selon le bilan établi par le bureau d’étude Eco-mesure (41 % selon E.on). Les petites centrales, qui récupèrent la chaleur pour les systèmes de chauffage locaux, ont de leur côté des rendements d’au moins 60 %, et jusqu’à 90 % pour les plus efficaces.

Vente d’électricité par camion

Au delà de cette aberration énergétique, l’hypocrisie environnementale est complète. Sous couvert d’électricité « propre », on va mettre en circulation des milliers de camions (un camion toute les deux minutes pour nourrir la bête), brûler du bois de rebut pouvant contenir des produits toxiques, et réaliser des coupes rases sans obligation de replanter. Ces coupes, en plus de ruiner les paysages, réduiront les espaces d’habitat nécessaires à la biodiversité, et profiteront au développement du pin maritime, espèce envahissante qui acidifie les sols, écrase toute concurrence et diversité dans les forêts, et s’enflamme pour un rien.

Face à ces risques socio-économiques et environnementaux, plusieurs initiatives ont été prises pour contrecarrer les projets d’E.ON. Les groupes des Bouches-du-Rhône des Amis de la Terre et de France nature environnement, avec d’autres associations locales, ont déposé des recours devant le tribunal administratif de Marseille par rapport aux irrégularités du projet (absence de débats publics, contradiction avec certaines lois environnementales).

Une centaine de communes de PACA préoccupées par l’avenir des filières bois locales ont adopté une motion contre le projet. Et un peu partout dans les zones concernées, des collectifs se forment, dont une partie se rassemble dans la coordination interrégionale SOS Forêt du Sud, créée en mars dernier pour unir les forces dispersées sur plusieurs régions. Cette mobilisation est l’occasion de réfléchir à la gestion que nous souhaitons pour nos forêts, et plus généralement pour les biens communs (eau, air, ressources) dont les équilibres fragiles assurent, entre autres, la survie de notre espèce. Une chose est sûre : nous ne les laisserons pas tomber entre les mains d’E.ON !

Jocelyn (AL Gard)

 
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