Biopouvoir médical : Comment les médecins fabriquent les femmes




Le pouvoir n’est pas seulement le pouvoir politique
d’État. La médecine intervient par exemple dans la construction
de l’identité biologique féminine.

Selon le philosophe Michel
Foucault, à partir du XVIIIe siècle, on voit apparaître une nouvelle forme de pouvoir qui ne
prend pas appui sur des relations
disciplinaires, mais qui se donne
directement pour objectif de
contrôler la vie en tant que processus biologique : naissance,
maladie, mort... C’est ce qu’il
appelle le « bio-pouvoir ».

MÉDECINE ET CATÉGORIE BIOLOGIQUE

Quels sont les moyens qui permettent au corps médical d’exercer un bio-pouvoir sur le corps
des femmes ?

S’il y a une matière de la réalité, on peut douter de l’existence
en soi de catégories dans la nature. Sur la question des catégories
hommes/femmes, comme le
montre l’existence d’intersexes,
il y a plutôt une continuité que
des frontières étanches. Il en va
de même par exemple du passage
de la matière à la vie ou du végétal à l’animal.

Les catégories sociales d’homme et de femme ne renvoient
donc pas à une simple complémentarité entre les deux sexes au sein des sociétés qui serait la
marque d’une division naturelle
des sexes biologiques, mais les
classifications sociales participent d’un processus d’instauration d’une hiérarchie sociale entre hommes et femmes.

Au lieu de penser que ces catégories existent en tant que telles
dans la réalité, il s’agit de montrer comment les catégories
médicales sont construites en
partie à partir de l’ordre social
hétéronormatif qui organise la
société et qu’ont intériorisé les
médecins.

Il est possible d’illustrer les
procédures de cette construction
à partir d’exemples qui la font
apparaître plus clairement. Ces
procédures ont par exemple été
mises en valeur par la philosophe
Elsa Dorlin.

DEUX OU TROIS CENTIMÈTRES ?

Lors de la naissance d’enfants
intersexe, les médecins opèrent
les enfants en leur attribuant une
identité sexuelle, soit femme, soit
homme. Comment est décidée
l’attribution du sexe femme au
nouveau-né ? Les médecins partent d’une définition implicite de ce qu’est une femme. L’un des
critères est d’avoir un clitoris et
non un pénis. Or le critère déterminant qui va permette de différencier le clitoris du pénis est le
nombre de centimètres. En dessous de 2,5 cm, c’est un clitoris,
au-dessus c’est un pénis. Un tel
exemple permet de montrer que
la construction du sexe comme
catégorie médicale fait intervenir
un faisceau de critères et qu’il
n’existe pas un critère unique et
incontestable qui permet de définir la différence entre les deux
sexes. Cet exemple permet aussi
de montrer la part d’arbitraire qui
entre dans cette construction :
pourquoi 2,5 cm et pas 2 cm ou 3cm. Ce qui entre ici en jeu, ce
sont implicitement des critères de
virilité qui associent l’identité
masculine à la taille du sexe.
Un autre exemple qui est souligné par les travaux qui s’intéressent à la construction par le pouvoir médical de la catégorie
femme porte sur la contraception.
Les premières pilules contraceptives coupaient les règles. En
effet, la pilule contraceptive a
pour effet d’empêcher l’ovulation et donc de supprimer les
règles. L’arrêt de la prise de la
pilule au cours du cycle a pour
fonction de provoquer des saignements qui ressemblent aux
règles, mais qui n’en sont pas.
Une telle procédure renvoie à
une définition implicite de ce
qu’est une femme : une femme
est un être humain qui a des saignements mensuels. Il faut attendre 2007 pour que soit commercialisée aux États Unis une pilule
qui supprime les règles, alors
même qu’un certain nombre de
femmes utilisaient déjà leur pilule contraceptive classique, en la
prenant de manière continue, ou
d’autres méthodes, pour obtenir
le même effet.

Ces deux exemples permettent
donc de saisir la part de construction liée à l’intériorisation de normes sociales par les médecins et
montrent qu’ils agissent à leur
insu dans la construction de l’identité biologique féminine. La
légitimité attachée à la science
intervient alors en retour comme
une instance de légitimation de
l’ordre social sur laquelle peut
s’appuyer l’État pour édicter une
législation qui contribue au maintien de cet ordre.

Irène (AL Paris Sud)

 
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