Burqua : Des enjeux théologico-politiques avant tout




Au mois de juin 2009, un texte, à l’initiative du député PCF André Gérin et signé par des parlementaires de tous bords, demande l’ouverture d’une commission d’enquête sur le port de la burqa. Nicolas Sarkozy déclare peu de temps après que la burqa, « signe d’asservissement et d’abaissement de la femme », « ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République ».

Ce qui se joue autour de ces déclarations politiques est-il effectivement d’ordre féministe ?

Pour celles qu’on appelle les féministes républicaines, comme Fadela Amara, mais aussi un certain nombre de militant(e)s féministes qui peuvent appartenir à des organisations de gauche, le port de la burqa est analysé avant tout comme une oppression culturelle des femmes liée à une religion : l’Islam.

Un combat réellement féministe ?

D’autres féministes, qui se qualifient d’antiracistes, ont souligné à juste titre que derrière l’affaire du foulard et maintenant de la burqa se jouent d’autres enjeux que ceux du féminisme. La question du foulard ou de la burqa est la marque d’un racisme qui agite la société française et les politiques racistes d’État. Des phénomènes numériquement minoritaires, qui concernent un nombre réduit de musulmans de France, sont érigés en affaire nationale. Ainsi certains ont pu relever la concomitance entre la Première Guerre du golfe et la naissance comme problème politique du voile islamique.

Deuxième argument, l’affaire de la burqa sert de « voile » à l’expression du patriarcat dans les sociétés occidentales. Eux, les « musulmans », ils voilent les femmes, donc ils oppriment les femmes. Nous, les « français » nous ne les voilons pas, c’est donc la preuve que nous sommes dans une société qui défend l’égalité homme/femme. La féministe Christine Delphy remarque alors, non sans ironie, que c’est à l’occasion de l’affaire du foulard, qu’elle a appris l’existence d’une égalité entre hommes et femmes en France, et que nous, « occidentaux », aurions dépassé le patriarcat.

Mais ni les arguments des féministes républicaines, ni les arguments des féministes antiracistes ne sont probablement suffisants pour comprendre ce qui se joue à travers ces affaires. Certes, les religions autorisent un ensemble de comportements patriarcaux auxquels elles fournissent des justifications. Certes les discours des gouvernements français autour du foulard, et actuellement de la burqa, sont les marques d’un racisme d’État. Néanmoins, ces deux analyses oublient d’interroger les rapports entre religions et pouvoir politique.

L’État-nation en concurrence avec les religions

La religion, contrairement à ce qu’affirme le libéralisme politique depuis l’époque moderne, n’est pas une affaire privée. La religion est un système politique qui, soit se pose en forme concurrente du pouvoir politique institué, soit se confond avec lui, ou encore lui sert de justification. Ce qu’ont bien vu les théoriciens de l’anarchisme – Proudhon, Bakounine ou Kropotkine...– c’est que combattre l’État, cela suppose d’être athée, car l’État est une forme politique construite sur le modèle de l’idée de Dieu. Selon ces penseurs, religions et pouvoirs politiques ne sont pas fondamentalement de nature différente, mais forment un système, le théologico-politique.

Par conséquent, si on veut comprendre l’affaire de la burqa, il faut avant tout l’analyser comme un problème théologico-politique. L’État français oscille entre affirmation d’une séparation de l’Église et de l’État dans laquelle la morale républicaine aurait pris la place de la religion catholique, d’une part, et la tentation de chercher dans des origines chrétiennes de la France une justification à son pouvoir, d’autre part. Dans ce contexte, les religions ne peuvent être acceptées que si elles se soumettent au pouvoir étatique. Dans le cas contraire, elles sont perçues comme des formes de pouvoir théologico-politique concurrent. En outre, l’Islam, parce qu’elle est perçue comme une religion d’immigrés, remettrait en cause le lien entre nation et État qui fonde la légitimité de l’État-nation français : elle instituerait une forme de communauté « musulmane » avec ses règles propres au sein de la communauté homogène que devrait constituer la nation française. L’unité républicaine s’est en effet constituée en affaiblissant le pouvoir de l’Église catholique par la loi de séparation de 1905 et par la destruction des particularismes locaux au profit de la mise en place d’un puissant État républicain jacobin.

En tant qu’anarchistes, que communistes libertaires, nous n’avons pas à préférer que s’exercent sur nos existences le pouvoir de l’État républicain ou celui des religions, fussent-elles liées aux minorités racisées. Notre devise reste de ce point de vue « Ni dieu, ni maître ». C’est donc parce que nous sommes anarchistes que nous combattons dans un même mouvement à la fois le racisme d’État qui s’exprime dans les lois d’interdiction des signes religieux musulmans, les comportements patriarcaux et l’ordre moral que justifient les religions.

Irène (AL Paris-Nord-Est)

 
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