CGT : Un congrès sous haute tension




Mille représentants et représentantes des syndicats cégétistes se sont réunis à Marseille fin avril. Martinez a installé son leadership mais reste sous surveillance de la base. Les divergences dans la direction se lisent dans les difficultés à poser un calendrier clair dans la lutte pour le retrait de la loi travail.

Les délégué-e-s d’un congrès confédéral de la CGT sont de deux natures. Les gros syndicats ont leurs délégués directs. Ils sont alors, suivant le degré de préparation démocratique, plus ou moins porteurs des opinions de leur base. Mais tous les petits syndicats sont de fait « représentés » par des mandatés dont le dosage est un savant compromis politique entre leurs fédérations et leurs unions départementales. Ils portent alors surtout la visée de leurs directions, mais aussi leur opinion personnelle, loin de tout mandatement…

En tout cas, nombre de délégués en avaient gros sur la patate. Ils ont hué tour à tour Thierry Lepaon mais aussi les représentants de la Cfdt ou du PS, et même le bureau de congrès à maintes occasions. Ils ont applaudi le PCF mais aussi le PG, l’Unef et même LO et le NPA... Ils ont découvert, pour ouvrir le congrès, une vieille chanson de Georges Moustaki, écrite en 1969, commençant par « Je voudrais sans la nommer vous parler d’elle ». Cette rengaine est bien connue, mais des seuls militants anarchistes et trotskystes ! Elle fut écrite à la gloire de la « révolution permanente », ce concept antistalinien qui s’opposait à « l’étapisme » des PC et à la théorie du « socialisme dans un seul pays »...

Énorme colère et profonde défiance

Les délégué-e-s ainsi chauffés au rouge (et noir) n’allaient pas laisser retomber la température. Plus votre attaque était forte et plus l’ovation de la salle vous était garantie. Au-delà de Lepaon, c’est tout le fonctionnement de la direction confédérale qui est critiqué. Et qui a profité des surfacturations de l’appartement de Vincennes, demande une déléguée ? Et pourquoi ­n’avons-nous pas su mobiliser contre les lois Macron et Rebsamen ? Et pourquoi les textes sont si pauvres sur le démantèlement des services publics à travers la réforme territoriale et celles du statut de la fonction publique ? Les votes du bilan d’activité, du bilan financier et du document d’orientation portent les traces d’une énorme colère et d’une profonde défiance : jusqu’à 14 % d’abstention et 31 % de contre, du jamais vu !

Bras de fer entre la direction et la salle

La question de l’unité syndicale était un des points chauds du congrès. Martinez l’a habilement désamorcé dès son rapport d’introduction en donnant une lecture toute personnelle et plutôt correcte des documents qui, sur ce sujet aussi, disent tout et son contraire. Tout en maintenant, face aux tentations de repli sectaire qui existent dans la CGT, la nécessité d’une recherche permanente de l’unité la plus large possible, Martinez affirme que l’axe privilégié avec la CFDT avait été une erreur. Et il donne la recette nouvelle : nous proposons à tous et nous faisons avec ceux qui veulent agir, comme pour la bataille contre la loi travail.

C’est sur la motion d’actualité que le bras de fer entre la direction et la salle fut le plus rude, obligeant le bureau de congrès à avancer le vote de vingt-quatre heures. Grève générale ou reconductible, à tout le moins l’affirmation claire de sa brûlante nécessité. C’est un délégué de Rouen, inspecteur du travail, qui remporte l’applaudimètre avec une standing ovation, la salle reprenant son cri : tous ensemble, tous ensemble, grève générale !

Malgré la pression exercée sur le bureau de congrès qui avait refusé d’ouvrir une traditionnelle commission de rédaction, le texte présenté au vote en reste strictement aux décisions de la direction qui étaient annoncées la veille du congrès dans un long interview de Martinez à Mediapart : la reconduction de la grève sera soumise aux AG et rien de plus pour conforter les militants et donner confiance aux salariés de s’engager. Déçus par la timidité de la résolution, largement adoptée sans aucun amendement, des délégué-e-s s’abstiennent ou votent contre. Bousculé mais inébranlable, l’appareil démontre sa puissance.

Le vote pour la nouvelle direction confédérale va confirmer la capacité de l’appareil à fabriquer du consensus. Après avoir refusé d’ouvrir la commission aux délégué-e-s, le bureau du congrès propose une liste inchangée. Sans le moindre débat politique, des dirigeants sont éconduits, reconduits ou introduits et personne ne pose de question en termes d’orientation, pas même les éconduits alors que certains obtiendront, hors liste officielle, jusqu’à 10 % des voix. Le vote des délégué-e-s est paradoxalement un vote à l’ancienne, le plus mal élu obtenant tout de même 84%. Comme si tout le monde s’était défoulé lors du débat et des votes mais que chacun était pressé de tourner la page de la crise de direction. Une volonté aussi de donner une chance à l’équipe sélectionnée autour de Martinez.

“Gauchisation” de la CGT ?

En sortant grand vainqueur de ce congrès difficile, Martinez ne peut ignorer que la défiance persiste dans les syndicats et qu’il sera jugé, très vite, sur son comportement dans le conflit sur la loi travail. Une nouvelle crise s’ouvrirait inévitablement si la direction confédérale portait aux yeux des militants la moindre responsabilité dans une éventuelle défaite. La barre est haute : celle du retrait pur et simple de la loi El Khomri. La « gauchisation » de la CGT dénoncée dans la presse sera-t-elle l’heureuse réalité en mai ?

Pour les avoir scrutés à la loupe, aucun des amendements adoptés lors du congrès ne vient changer d’un iota les analyses et propositions du document ­d’orientation. Le compromis de direction aura été défendu bec et ongles par l’appareil, laissant en souvenir de ce congrès un document qui, chapitre après chapitre, n’hésite pas à se contredire, ce qui permet à chacun de trouver des paragraphes satisfaisants...

C’est donc un chèque en blanc qui est donné à la nouvelle direction. Et la défiance reste grande. Martinez le sait, il sera jugé très vite, à l’occasion de la lutte en cours sur la loi travail. Il marche sur une corde raide et les divergences dans la commission exécutive confédérale ne sont pas réglées même si les candidats représentants les secteurs les plus « gauche » ont été soigneusement écartés. Les divergences dans l’appareil intermédiaire, fédérations et unions départementales restent, elles, inchangées.

Tous ces problèmes d’orientation, non réglés, se lisent dans les signes envoyés sur la lutte en cours. D’un côté, Martinez insiste sur la mise en débat de la grève reconductible et ne cède pas aux journalistes qui cherchent à lui faire dénoncer « les casseurs » ; d’un autre côté, la semaine qui va s’ouvrir, au moment où ces lignes sont écrites, donnerait le vertige aux militants : journées nationales le 17 et le 19 (on choisit laquelle ?), journées professionnelles qui s’étalent du 16 au soir au 20, et la fédération des cheminots qui annonce deux jours chaque semaine ?

Alors même que nous ne pouvons cacher les difficultés réelles à mobiliser les travailleurs dans nos entreprises, c’est justement d’un calendrier clair dont les militants ont besoin pour construire le mouvement à la base. Reste à espérer que la mayonnaise prendra néanmoins, gonflée de la colère du recours au 49.3.

Jean-Yves Lesage (AL 93)

 
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