CGT : Voyage entre les lignes du 52e congrès confédéral




Le 51e congrès, en 2016, avait stabilisé une direction légitime après les errements des dernières années Thibault et la parenthèse Le Paon. Mais il n’avait réglé aucun débat stratégique. À la peine pour emporter des victoires, tétanisée par la révolte des gilets jaunes, la CGT va-t-elle rester à mi-chemin entre ­syndicalisme d’accompagnement et syndicalisme de lutte ? Le congrès se tiendra à Dijon du 13 au 17 mai.

Pendant les premières semaines du mouvement des gilets jaunes, un épisode avait marqué, de façon spectaculaire le flottement politique qui prévaut à la tête de la confédération CGT. Le 6 décembre 2018, un piètre communiqué unitaire, cosigné avec la CFDT, condamnait « toutes formes de violence dans l’expression des revendications » et se félicitait de l’ouverture de « réelles négociations » avec le gouvernement  [1]. Le même jour, dans un autre communiqué nettement plus pugnace, la CGT dénonçait le « gouvernement qui répond par la seule violence aux légitimes ­exigences » et annonçait qu’elle refusait « toute concertation » avec lui  [2]

Il aura fallu attendre la grève nationale du 5 février pour qu’enfin une convergence s’opère dans la rue entre gilets rouges et gilets jaunes.

Les divergences non tranchées au congrès de Marseille restent à l’œuvre, entre un courant droitier qui veut coller à la CFDT, un courant réformiste central qui oscille entre lutte de classe et accompagnement, et un courant lutte de classe loin d’être homogène, qui va des stalinostalgiques aux syndicalistes révolutionnaires. Précisons qu’aucun de ces courants n’est véritablement structuré.

De curieuses citations de la Charte d’Amiens

Sans doute obsédé par sa réélection – et peut-être avec le souci sincère de maintenir l’unité de l’appareil –, Philippe Mar­tinez aura soufflé le chaud et le froid tout au long de son mandat. Les textes rédigés pour ce 52e congrès sont marqués par cet équilibrisme. Ainsi, quand le préambule des nouveaux statuts revendique la fidélité à la Charte d’Amiens de 1906, ce n’est pas par référence au syndicalisme révolutionnaire, mais à d’obscures « valeurs humanistes »… La « double besogne » du syndicalisme, inscrite dans la Charte, est évoquée, mais c’est pour remplacer l’« expropriation capitaliste » d’origine par… une « participation à la transformation de la société »...

Si les documents peuvent citer le mot « révolutionnaire » c’est seulement pour condamner un « partage inégal et injuste des richesses » et souhaiter une « société juste ». Quant à la grève générale, au cœur de la Charte d’Amiens, elle est réduite à « transformer le travail » en pénétrant « par effraction » dans la chasse gardée du patronat.

Une rhétorique conçue pour faire plaisir à tout le monde, c’est l’inverse de la clarification stratégique, c’est du rafistolage et ça explosera dès le prochain combat difficile.

Notons tout de même, en positif, la volonté affirmée de porter les combats nécessaires dans la Confédération syndicale internationale (CSI) et dans la Confédération européenne des syndicats (CES), et de travailler avec les forces syndicales combatives extérieures au tandem CES-CSI. Citons aussi la position radicalement en faveur de l’accueil et de l’accès aux droits de toutes et tous les migrants.

Remettre toute la CGT en marche

Absence de stratégie lisible, démoralisation des équipes à tous les étages (y compris dans les entreprises), atomisation du travail… remettre la CGT en or­dre de marche est une nécessité dont les documents reconnaissent l’urgence. De même qu’est soulignée la faiblesse d’équipes syndicales qui se résument trop souvent aux quelques élus de l’entreprise. Et la question des syndiqués isolés (plus de 70.000 !) est réaffirmée comme une priorité.

On peut se réjouir de voir réapparaître, bien que fugitivement, l’utilité des syndicats locaux – c’est-à-dire groupant les salarié.es d’une industrie non pas entreprise par entreprise, mais par localité. Jadis, c’était la norme. Le document explique comment on a basculé de l’un à l’autre, mais sans véritable bilan. Or la raréfaction des vastes usines rend aujourd’hui inopérant le modèle du syndicat d’entreprise. Au point qu’il est envisagé que les syndicats de petites entreprises soient animés par une ou un militant extérieur ! Le syndicat local d’industrie, à l’inverse, serait un foyer vivant pour les syndiqué.es dispersé.es dans les petites entreprises qui forment maintenant le gros du tissu industriel. Syndicats locaux qui permettraient sans doute d’augmenter le nombre, bien faible à ce congrès, d’ouvrières et d’ouvriers candidats à la commission exécutive...

Depuis la défaite contre les lois Travail, le désarroi prévaut dans les équipes syndicales. Se remettre en ordre de marche est la priorité du congrès de Dijon.

La place des comités régionaux, débat inachevé à Marseille, est ici clairement précisée. Il s’agit d’adapter l’organigramme en collant aux 13 nouvelles régions administratives. Une inquiétude pointe cependant : les secrétaires régionaux ne seront-ils pas des « super-préfets » ? Par ailleurs, en autorisant la création d’« antennes » respectant les 22 anciennes régions, ne va-t-on pas engen­drer un, voire deux échelons bureaucratiques de plus ? Au moment de mettre les militantes et militants sur le terrain, faut-il alourdir les structures internes et la réunionite ? Notons que la récente charge de Martinez contre l’institutionnalisation du syndicalisme  [3] est singulièrement absente des documents de congrès. Or le problème des permanents n’est pas seulement le temps perdu dans des réunions institutionnelles plutôt qu’auprès des salarié.es, c’est aussi le temps perdu dans leurs bureaux...

Refonder la démocratie syndicale

Pour ce congrès, les documents préparatoires n’évoquent pas l’ouverture de tribunes de discussion, ce qui serait une régression. Fébrilité ? Volonté de contrôle ? Bien des signes le laissent entendre. Ainsi le document dénonce, sans citer de faits précis, des actions menées « par certaines structures, qui ne doivent pas, ne doivent plus, servir d’élément de division ». Les statuts réintègrent le préambule de 1936, qui interdisait les « fractions ». Dans le contexte de la réunification CGT-CGTU, cela visait le noyautage par le PCF mais aujourd’hui, qui est visé ? Il est bien hypocrite de stigmatiser ceux qui veulent « infléchir » les orientations syndicales quand ce congrès est déjà ficelé.

Quand on voit quelles candidates et candidats à la commission exécutive confédérale ont été retoqués par la commission ad hoc, il est assez aisé de lire que certaines « fractions », justement, se sont entendues pour se partager les places. Les choses sérieuses étant réglées, le débat peut s’ouvrir... Les syndicats ont jusqu’au 15 avril pour déposer leurs amendements.

Jean-Yves (militant du Livre-CGT)

[1« Déclaration des organisations syndicales du 6 décembre 2018 », CFDT, CGT, FO, CGC, CFTC, Unsa, FSU.

[2« Le gouvernement joue à l’incendiaire social : c’est irresponsable ! », CGT, 6 décembre 2018.

[3Philippe Martinez, « Nous devons réfléchir autrement », Politis, 30 janvier 2019.

 
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