Chronique du travail aliéné : Lionel, ouvrier menuisier




La chronique mensuelle de Marie-Louise Michel (psychologue du travail). Ce mois-ci réalisée par Émilienne Torterat (médecin du travail)


<titre|titre="Il faut que j’apprenne à me servir de ce… nouveau corps">

« Mon boulot, c’est dans une petite menuiserie. On fabrique des coffrages en bois, en pleine forêt, à quelques kilomètres du village le plus proche. L’atelier est vieux, pas chauffé. Les machines sont mal aspirées et il y de la poussière de bois, par ailleurs cancérigène pour les sinus, qui se dépose partout.

Le travail consiste à faire du découpage de planches puis à les assembler au pistolet à clous. Moi, c’est la découpe ! Enfin, c’était.
En janvier, je coupais sur la déligneuse. Le chef arrive, il me dit que je m’y prends mal. En fait je ne m’y prenais pas mal, c’était ma manière, c’est tout ! Je l’ai quand même écouté et j’ai placé ma main comme il le demandait : plus près du bord, pour avoir plus de force. Et voilà. Trois doigts sectionnés, les trois derniers de la main gauche, au niveau de l’articulation avec le poignet. Emportés avec les copeaux dans le cône d’aspiration... Irrécupérables.

J’ai été arrêté cinq mois. Au bout de cinq mois, le médecin conseil de la Sécu m’a mis en demeure de reprendre le travail, alors que la cicatrice était encore très douloureuse, avec un névrome. Dès que je me cognais légèrement, c’était douloureux. Même pour faire la vaisselle, j’ai encore du mal, je casse souvent… à cause de cette douleur dès que ça touche les cicatrices.

Le médecin conseil m’a dit de voir le médecin du travail pour qu’il me déclare “ inapte ”. J’ai commencé à faire un dossier Cotorep. Je pensais que je serais licencié pour “ inaptitude médicale ”, et puis bon, je me disais, de toute façon, il n’y a plus que ça à faire. Mais qu’est-ce que j’allais devenir après ? Quel boulot j’allais trouver ? J’habite dans un bled, et je n’ai même plus de voiture ! Je l’ai cassée à cause de cette main gauche, qui ne peut plus saisir un volant, et je l’avais oublié, moi, que je n’avais plus mes doigts !! Au fossé, fichue !!! Je n’ai pas l’argent pour en acheter une autre en ce moment…

C’est vrai que je déprime un peu. Le médecin du travail, lui, a dit que l’inaptitude était la pire des solutions. Il a voulu voir avec le patron et le chef d’atelier si on ne pouvait pas me trouver quelque chose, spécialement pour moi, à l’usine.

Le patron n’était pas non plus très chaud pour le licenciement. Il m’a proposé un autre travail, avec un temps d’adaptation. Il faut que j’apprenne à me servir de ce… nouveau corps. On a décidé que j’allais faire maintenance des machines, nettoyage, conduite du chariot, clouage…

Alors j’ai repris. Le premier jour, j’ai fait des heures sup, parce que c’est dur. Vraiment. J’ai dû prendre mon temps. Mais le soir, j’étais plus tranquille… »

* Seul le prénom a été modifié, le reste est authentique.

 
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