Chronique du travail aliéné : Lorsqu’il nous convoque, c’est sur le temps de pause




Par Aline Torterat, Médecin du travail
Annette, ouvrière à la chaîne *, « Lorsqu’il nous convoque, c’est sur le temps de pause, qui n’est pas rémunéré »
* Seul le prénom est modifié, le reste est authentique.

Je suis dans la barquette depuis dix ans. Je les compte et les mets en cartons. En rentrant du travail voici trois ans, j’ai été embarquée par une plaque de verglas et j’ai heurté un arbre. Je me suis retrouvée hospitalisée pour trauma crânien avec perte de connaissance : accident du travail. Et ensuite, les douleurs du cou, du bas du dos, des jambes ne m’ont pas lâchée. J’ai été hospitalisée à nouveau, j’ai été suivie par le centre antidouleur, j’ai été infiltrée... Rien à faire, j’avais l’impression que mes muscles se rétractaient dans le bas du dos, et, lorsqu’ils se relâchaient j’avais des douleurs terribles dans les jambes. J’ai eu pas mal d’arrêts de travail pendant ces trois années. Ils m’ont dit que j’avais une hypersensibilisation centrale et j’étais en incapacité socio-professionnelle. Pas rassurant ! Et, finalement, ils m’ont proposé de m’envoyer dans un établissement de rééducation médicale. C’était sportif ! Avec régime de musculation…J’ai pris 6 kilos de muscles ! Je devais y passer quatre semaines, sauf que j’y suis restée six. En faisant un mouvement un peu brutal, je me suis fait une déchirure bilatérale des muscles ischio-jambiers et des semi-tendineux. Les hématomes, les douleurs derrière les cuisses ! C’était pas rien ! Quinze jours de plus au centre ! La sécu à payé. Ce n’était pas la première fois que ça leur arrivait ! J’ai quand même continué l’entraînement mais seulement vélo et mouvements pour le dos. Mais ils m’ont sauvée ! Je n’ai plus mal au dos ! Je continue l’entraînement tous les jours chez moi. Je ne peux plus m’en passer.

Alors au travail, ils sont contents de me retrouver ! Ils me disent que je suis un très bon élément. Mais à mon évaluation annuelle, on m’a annoncé que je n’aurais pas d’augmentation parce que j’avais été trop absente. Ça ne m’étonne pas, le chef ne supporte pas de nous voir à ne rien faire et, lorsqu’il nous convoque, c’est sur le temps de pause, qui n’est pas rémunéré. Il faut savoir que je suis tout de même au rendement, je dois emballer 20 000 barquettes par jour au minimum. Il m’arrive d’en faire 24 000 quant tout va bien. Le calcul du rendement se fait sur l’activité mensuelle divisée par le nombre de jours travaillés. Parce qu’il m’arrive aussi de ne faire que 7 000 barquettes, comme en ce moment. En effet, depuis peu, le bois utilisé n’est plus de la feuille de peuplier mais de la feuille de bouleau qui est beaucoup plus cassante. Il y a plus de rebus, donc moins de production. Et alors, la prime saute ! Les aléas, on n’en tient pas compte !
Mais en fin de compte, ça me va bien. J’ai un bon salaire, j’aime bien ce que je fais, je suis habituée. Même si je me suis payé moi-même mes bouchons d’oreille moulés pour me protéger du bruit : 150 euros quand même ! Le patron estime que ce qu’il nous donne est suffisant, mais ça me fait mal et ça se barre tout le temps !

Le principal, c’est que j’aille mieux !

 
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