Chronique du travail aliéné : Nadine*, assistante sociale de secteur.




La chronique mensuelle de Marie-Louise Michel (psychologue du travail).


<titre|titre="Si vous avez peur, changez de métier !">

Quand je ne parle pas du boulot, ça va. Sinon je me mets à pleurer. J’ai eu des problèmes avec ma responsable : c’est quelqu’un qui ne veut que des soumis. Ou plutôt des soumises, on n’est plus que des femmes, les deux hommes avec qui on travaillait sont morts l’année dernière. Infarctus. On avait réussi à faire virer la responsable précédente, on était contentes, mais quand on a vu arriver celle-là, on a déchanté. Elle a commencé par arrêter notre groupe d’analyse des pratiques en disant : « Moi j’ai un coach personnel, ça devrait suffire ! ». Et depuis c’est l’enfer. Elle demande aux gens, droit dans les yeux de « manger moins pendant quelques jours » quand ils viennent demander une aide d’urgence. Le barème des allocations familiales n’a pas été réévalué depuis vingt ans. Et il faut que les familles tiennent. Elle dit que « le principal c’est de les écouter » ! Moi aussi je fais mes courses dans les magasins, heureusement que je gagne plus qu’il y a vingt ans. Certains pâtés de maisons se retrouvent avec des factures d’eau ahurissantes depuis que la gestion a été confiée à des sociétés privées. Alors on leur coupe l’alimentation en eau, ils ont des enfants, c’est intenable. Il faut aller sans arrêt aussi « accompagner » les expulsions des HLM. On les harcèle en fin de procédure, ils ne veulent pas ouvrir, on les entend derrière la porte. Je les comprends… et parfois ils ouvrent la porte pour nous casser la figure. Il faut dire qu’on a plein de malades mentaux violents dans certains immeubles. Notre cadre sup nous dit « si vous avez peur, changez de métier ! ». Avant les cheffes faisaient un peu de secteur, maintenant, elles sont totalement off. Les collèges se désengagent, on parle de tout et de rien ensemble, surtout pas du boulot.

J’ai craqué quand j’ai eu sur mon secteur une jeune Africaine qui sortait juste de la maternité avec un bébé qu’elle allaitait. Elle demandait une aide d’urgence, elle n’avait pas de papiers, pas de revenus. Il fallait que je lui dise de me confier son bébé pour le mettre en famille d’accueil et qu’elle, elle n’aurait rien. Les yeux qu’elle a fait… Je ne veux plus jamais me retrouver à faire ça. C’est ce jour-là, il y a six mois, que j’ai pris un arrêt de travail, ça montait depuis quelques mois. Avant je m’étais désensibilisée pour ne pas voir l’état dans lequel j’étais. Et puis dans l’entretien avec cette femme, ça a lâché.

• Seul le prénom est modifié, le reste est authentique.

 
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