Daniel (collectif DesTerresMINÉes35) : «  Nous avons la preuve que les techniques n’ont pas changé  »




Plusieurs projets miniers impulsés par le gouvernement rencontrent des oppositions citoyennes, qui questionnent légitimement l’impact de l’exploitation minière sur les écosystèmes et la santé publique. Alors que la «  relance minière  » nationale est relativement ignorée par les médias, les opposantes et opposants dénoncent l’opacité des décisions et des acteurs impliqués. Interview de Daniel, militant du collectif DesTerresMINÉes35.

Alternative libertaire  : Qu’est-ce que la « relance minière » mise en marche par l’État  ? Dans quel contexte politique est-elle née  ? Avec quels arguments  ?

Daniel  : Face aux difficultés de plus en plus grandes d’approvisionnement de l’industrie en matières premières, la relance minière a germé dans un contexte européen, entre 2004 et 2008, pour retrouver une indépendance minérale (la Commission européenne s’est exprimée en 2008 dans un document stratégique unique poétiquement nommé «  Initiative matières premières  : répondre à nos besoins fondamentaux pour assurer la croissance et créer des emplois en Europe  », NDLR). La France s’est ensuite engagée clairement dans cette voix en 2012, au travers d’ Arnaud Montebourg, ministre de l’Industrie et du Redressement productif. Le gouvernement a même créé un événement national en 2014, la journée «  Mines en France  » conçue comme «  un forum d’échanges fructueux entre l’industrie, l’université et les administrations  » pour «  accompagner le renouveau minier français  » [1].

Il faut savoir que tous les projets en cours sont des reprises d’exploitation sur des sites anciens, les mines ne sont pas créées mais relancées. Reconverties, même, ou plutôt diversifiées, par exemple dans une ancienne mine d’or on extraira également d’autres minerais. À ma connaissance il n’y a eu aucune opposition écologiste au sein du gouvernement, les arguments économistes (cours et disponibilité des matières premières, indépendance…) l’emportent sur les considérations environnementales, écologiques ou sanitaires. Et par-dessus tout, l’argument des créations d’emplois, alors que la principale évolution des mines consiste en des mécanisations qui les réduisent plutôt. De plus, on ne met jamais en balance le nombre d’emplois créés à court terme avec le nombre d’emplois détruits à cause de la réouverture d’une mine. Et on peut se rendre compte que cette balance peut être négative, autant sinon plus de destructions que de créations. Prenons par exemple un site comme le premier permis concédé en 2013 dans la Sarthe. Il s’agit d’un permis d’exploration concernant plus de 300 hectares en zone agricole, avec en perspective la destruction des emplois agri­coles par cette implantation. Donc localement, on est arrivé à des promesses délirantes de centaines d’emplois créés, plus des emplois indirects. En plus, ces soi-disant emplois ne sont pas générés par la phase d’exploration, mais par l’exploitation. Mais les promesses sont toujours faites lors de l’exploration, car ensuite, il n’y a presque pas de recours possible contre le passage à l’exploitation, à cause du « droit de suite » inscrit dans le Code minier. La société d’exploration vante donc souvent des emplois à créer, par une future société d’exploitation qui n’est pas encore là, mais à qui elle vendra son permis.

Combien de projets ont cours en France  ? Pourquoi s’opposer à la relance minière  ? Qu’est ce qui a déclenché la création des collectifs  ? Quels sont vos arguments  ?

Il y a actuellement 17 demandes de permis d’exploration minière déposées auprès du ministère de l’Économie, car c’est lui qui délivre ces permis, et aucunement les services de l’environnement, ce qui nous fait nous poser de très sérieuses questions sur les choix faits. Donc 11 permis sont déjà acceptés et 6 autres sont en cours d’instruction. Pour ce qui est de l’opposition, une quinzaine d’associations se sont créées ces deux dernières années, pas sur tous les projets, mais on peut espérer d’autres constitutions, étant donné les questions que ces projets soulèvent.

D’abord un premier point, c’est l’absence d’information de la population. Sur la demande de permis de recherche minière sur la région d’Ille-et-Vilaine, en aucune manière la population n’avait été informée. Les maires avaient eu deux ans auparavant une simple demande consultative d’accord pour prospecter par la société concernée, non relayée à la population. Deuxièmement, nous avons une volonté écologiste. La relance minière s’accompagne d’un discours de promotion de la mine «  verte  » ou «  propre  », comme récemment l’annonce de la réouverture de la mine de Salau (Pyrénées Orientales) qui serait la première mine verte du monde. En réalité, on y a découvert de l’amiante, liée à l’ancienne activité, or les sociétés d’exploration actuelles le nient complètement. Bref, pour nous la possibilité de mines «  propres  » n’est démontrée par aucun exemple existant. Au contraire, nous avons la preuve que les techniques n’ont changé dans aucun des projets miniers. Seuls ont évolué les produits chimiques – de plus en plus complexes – utilisées pour dissocier les roches et les isoler, et les quantités mises en œuvre de ces produits, en augmentation. Dans la mine «  verte  » il s’agirait d’isoler dans un lieu spécifique l’opération de séparation des minerais, pour éviter la dissémination directe dans l’environnement. Mais que deviennent les résidus d’exploitation, ces métaux lourds qui sont toxiques  ? [2]. En réalité l’objectif de l’État n’est que de faire face à la pénurie de métaux et de garantir l’«  autosuffisance minérale  ». Nous, nous voulons poser une question sociétale  : la surexploitation des réserves naturelles (minerais ou produits fossiles) est un véritable pillage, intenable à long terme. Cela nous mène à réfléchir à nos besoins réels, et à la promotion des changements sociétaux comme d’aller vers une économie vraiment circulaire [3]. Il y a actuellement plus d’or dans nos poubelles que ce qui reste dans les sous-sols, et ce n’est pas vrai que pour l’or. Le problème est que les minerais sont utilisés dans des alliages avec des quantités si infimes de matière que l’on ne peut plus les dissocier (par exemple les 53 métaux différents d’un smartphone sont irrécupérables). Donc, l’intention partagée par la plupart des associations est de s’opposer à la relance minière de manière systémique, ce qui se traduit par le slogan «  ni ici, ni ailleurs  », pour poser la question de l’utilisation et de la réutilisation des ressources à l’échelle globale.

« L’araignée Variscan »

Peux-tu nous parler de la société de prospection Variscan ? Qu’est-ce que son activité dévoile sur l’économie minière ?

Variscan est une société minière, formée en 2010 quand le projet de relance des mines est arrivé dans les tuyaux de l’État. Dans la profession, on appelle ces entreprises juniors. Elle ne s’occupe que de l’exploration, qui ne demande pas d’importants moyens techniques, ni financiers, et ensuite elle vendra (spéculera) son permis à une société d’exploitation. La particularité de Variscan est qu’elle est dirigée par deux anciens fonctionnaires du Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM), établissement public qui est l’outil de l’État pour gérer les ressources et les risques du sous-sol, et dont les recherches sont financées par l’argent public. Les dirigeants de Variscan ont ainsi pu réutiliser gratuitement toutes les recherches préalables, et ce à l’échelle du pays, sans aucun retour prévisible vers la collectivité. Les opposantes et opposants s’en sont aperçu.es, mais les sociétés comme Variscan refusent toujours de se confronter aux collectifs en lutte, si ce n’est par articles de presse.

On s’aperçoit donc que derrière les arguments d’indépendance économique nationale, il y a des acteurs bien placés pour profiter du contexte à la fois économique et légal et s’enrichir au mépris des conséquences ultérieures de l’exploitation des mines.

Propos recueillis par Reinette Noyée (AL Aveyron)

[1L’évènement ne saurait être confondu avec la Journée internationale pour sensibiliser au problème des mines anti personnelles, instaurée par l’Onu (NDLR).

[2Pour un complément sur la toxicité, voir « Cévennes révélations sur une pollution cachée ».

 
☰ Accès rapide
Retour en haut