Demarcq, Besancenot, Pot : Une réponse à Thierry Renard et Guillaume Davranche




En janvier, Alternative libertaire a publié un article intitulé « Anticapitalisme : les deux méthodes » qui critiquait les divers projets de « nouveaux » partis anticapitalistes. Trois camarades de la LCR ont écrit à AL à ce sujet.

Guillaume, Thierry, camarades...

Quelques lignes de réaction à votre article paru dans le dernier numéro d’AL. Deux ou trois petites choses doivent être clarifiées à propos de nos démarches respectives pour aboutir à une discussion. « Discussion » ne signifie pas « adhésion », dites-vous, et vous avez raison. Mais il peut y avoir débats et échanges – sauf à ne vouloir ni l’« adhésion » ni la « discussion ». Le sectarisme est, comme vous le rappelez, un poison.

1 – Passons rapidement sur le trait d’égalité que vous tirez entre notre démarche pour la construction d’une nouvelle force anticapitaliste et celle du Parti des travailleurs lambertiste. Vous et nous, nous sommes croisés régulièrement dans les luttes, dans les résistances, à l’occasion de certaines campagnes et au sein d’organisations comme Sud, Resf... Nous nous sommes cotoyés suffisamment pour bien connaître nos désaccords (que vous soulignez sans modération) et nos proximités (qu’il ne faut pas bouder).

2 – Les « rumeurs de rapprochement » n’ont à aucun moment été mises en scène. Du reste, elles font probablement autant jaser dans vos rangs que dans les nôtres. Nous payons peut-être le fait d’avoir perdu l’habitude de discuter ensemble ces derniers temps. Il faut remonter à une dizaine d’années pour retrouver une rencontre entre AL et la tendance Révolution à l’époque. Du coup, le redémarrage peut apparaître précipité aux yeux de certains (redémarrage suscité à votre demande, et nous en sommes ravis). Passons donc sur les maladresses (si maladresse il y a eu). Il y a un juste milieu entre le tout et le rien et surtout, de la place pour la confiance.

3 – Notre vision du « débouché politique » des luttes sociales ne peut être caricaturée et résumée à la seule question électorale ou à celle de l’absence de direction radicale au sein du mouvement ouvrier. Nous ne sommes ni dirigistes ni électoralistes. Il s’agit, au contraire, de féconder au sein de la lutte de classe une vision globale de la société capitaliste, d’organiser dans le cadre des résistances sociales des batailles politiques permanentes capables de redonner confiance à une majorité sur la base de revendications d’urgence : réhabiliter au sein d’un mouvement social à reconstruire un projet de société alternatif au capitalisme. Voilà ce qui manque, selon nous, aux luttes actuelles et qui appelle à la construction d’un nouvel outil politique. Nous l’appelons parti anticapitaliste, vous l’appelez front anticapitaliste. Existe-t-il un gouffre entre les deux ? Pas sûr. D’autant que vous n’écartez pas le débat sur les questions de « direction » au sein du mouvement social. Vous n’êtes pas plus « spontanéistes » que nous ne sommes « dirigistes ». Vous posez, si nous vous lisons bien, la nécessité d’un regroupement névralgique pour les animateurs des luttes, voire d’un « pôle d’avant garde interne au mouvement social » (Projet de société communiste libertaire, p. 51).
Quant aux participations électorales, ou le fait d’exercer un mandat au sein des institutions quand nous y sommes élus sur la base de notre indépendance, notamment à l’endroit du Ps, nous ne sommes pas contre en effet. Nous ne croyons pas pour autant changer la société par un jeu d’alliances entre partis dans le cadre de combinaisons parlementaires majoritaires dans ces institutions, c’est-à-dire celles d’un État et d’une société où ce sont les multinationales qui font la loi (et nous l’exprimons publiquement, suffisament fort, pour que la gauche et les médias nous le reprochent systématiquement).

Nous luttons (nos militants, notamment ceux qui peuvent être élus dans les conseils municipaux, au conseil régional ou au Parlement européen) contre les illusions électoralistes et institutionnelles qui peuvent exister chez certains qui se tournent vers nous. C’est le prix à payer pour ceux et celles qui, à travers les élections, cherchent à s’adresser au-delà des seuls milieux politisés. Participer aux élections tout en cherchant à créer une défiance majoritaire vis-à-vis du système institutionnel peut susciter des contradictions (rapport aux médias, au pouvoir, personnalisation de la politique). La question est de savoir si elles sont surmontables : nous pensons que pédagogiquement, nous pouvons détourner ces illusions vers un autre terrain, celui de la lutte collective et du changement radical. Vous pouvez penser que cette politique n’est pas juste ou qu’elle joue avec le feu. Soit. Mais boycotter les élections ne règle rien et rien ne prouve que cette méthode s’avère plus efficace pour organiser une défiance de masse à l’égard du jeu institutionnel. Faudrait-il, par exemple, boycotter les élections syndicales professionnelles pour combattre l’institutionnalisation des confédérations actuelles ?

Par ailleurs, ce désaccord suffit-il à clore tout débat ? Entre notre parti anticapitaliste, votre front anticapitaliste, la tactique électorale constitue une divergence. Est-ce une raison suffisante pour continuer à militer séparément ? Nous ne le pensons pas. Quoiqu’il en soit, cette divergence ne doit pas servir d’épouvantail à la discussion de fond, pour peu qu’on souhaite vraiment la mener.

4 – En toute humilité, nos contributions programmatiques, qui visiblement sont perçues au rabais à vos yeux, abordent le fond des choses au moins autant que les vôtres. Nous souhaitons, dans un processus d’assemblée générale constituante pour fonder ce nouveau parti, discuter librement du contenu avec tous ceux et toutes celles qui veulent essayer de s’entendre. Nous soumettons notre contribution par le biais d’un manifeste sur ce que pourrait être, selon nous, le socialisme du XXIe siècle, un socialisme à visage humain. Aucune des questions que vous traitez dans votre texte n’est éludée : répartition des richesses, contrôle démocratique des travailleurs et de la population, propriétée privée et socialisation des moyens de production, nature des institutions actuelles et de l’Etat, fonctionnement social, économique et démocratique alternatif, du bas vers le haut... A la lecture de votre Projet de société communiste libertaire, nous constatons que de nombreux points stratégiques nous rapprochent : nécessaire rupture révolutionnaire, destruction du vieil appareil d’Etat... Certains nous séparent encore : place des organisations dans le processus révolutionnaire, rythme du déperissement de l’Etat, combinaison de la démocratie directe et du suffrage universel. Sur ces points d’ailleurs, nous avons aussi de nombreux questionnements, parfois sans réponses abouties. D’où l’utilité de débattre et de confronter nos certitudes comme nos doutes respectifs.

5 – « Toutes les nuances » de la gauche révolutionnaire qu’il faudrait fédérer pour ce nouveau parti ne font pas office d’attrape mouche comme vous semblez le redouter. Elles renvoient à une démarche de fond pour la nécessaire refondation programmatique à laquelle personne ne peut échapper. C’est vrai aussi pour ceux qui ont lutté contre le capitalisme tout en résistant au stalinisme. Pouvez-vous prétendre à AL avoir épuisé à vous seuls toutes les réflexions et avoir fait la synthèse de toutes les expériences révolutionnaires du passé ? Nous avons cru comprendre que non : vous revendiquez par exemple un apport du marxisme... Imaginez que ce qui est vrai pour vous l’est également pour d’autres. Des organisations trotskistes, par leur histoire, cherchent à puiser le meilleur dans les autres expériences révolutionnaires : analyse libertaire des dérives bureaucratiques des révolutions socialistes ; contribution du Che sur la transition entre capitalisme et socialisme, sur le rapport au travail ou sur l’éradication totale de l’économie de marché... « et pourquoi pas garagiste ? » (d’après un « dirigeant » d’AL à Libé, mais faut-il croire Libé ?) : en effet, si ça peut servir à purger l’extême gauche de son sectarisme...

Votre programme, pas plus que le nôtre, n’est infaillible. Les confrontations entre révolutionnaires sont donc souhaitables, sauf à vouloir évoluer dans nos bulles respectives.

Pour finir, nous avons tous des responsabilités nouvelles liées à l’évolution de la situation politique et sociale : la crise économique, les résistances à Sarkozy et au Medef, l’évolution à droite de la gauche. Au-delà de nos rangs, de nouvelles générations semblent regarder dans notre direction pour le combat que menons avec l’espoir que changer de société est encore possible. Quand nous leur proposons de construire une nouvelle représentation pour tous les exploités et tous les opprimés, nous entendons par représentation (qui ne fait pas partie de votre vocabulaire) non pas une délégation de leur propre représentation à d’autres. Nous leur proposons au contraire de se représenter elles-mêmes et eux-mêmes.

Enfin, pour vous titiller un peu, citons l’anarchiste Louise Michel qui disait aux différents groupes révolutionnaires : « Je suis avec tous les groupes qui attaquent soit par la pioche, soit par la mine, soit par le feu l’édifice maudit de la vieille société. »

Chacun à notre manière d’accord, mais si on essayait ensemble, pour une fois ?

Sandra Demarcq, Olivier Besancenot, Basile Pot

 
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