Dossier Black Revolution : Les noirs et le mouvement ouvrier : Noirs ou Blancs, toujours prolétaires




Le mouvement ouvrier, les organisations de gauche américaines et le combat des Noirs connurent des relations ambivalentes, entre racisme, désintérêt et engagement radical.

Le mouvement afro-américain a souvent su prendre en compte les questions de classe. La première expérience constructive de jonction entre prolétaires blancs et noirs commença après la reconstruction pendant la guerre de Sécession. Dans les états du Sud, l’émergence du Parti populiste réussit un temps à faire s’effondrer les divisions raciales entre Noirs et Blancs pauvres. Le parti avait un discours de classe, et autour des années 1890 revendiquait des centaines de milliers de membres.

La classe dominante sudiste contre-attaqua alors à coup de fraudes, d’intimidations par le biais du Klan, et remit au goût du jour le discours
de la suprématie blanche. Les racistes dénonçaient alors la «  domination noire  ». Les manigances politiciennes démocrates firent s’effondrer le mouvement autour de 1896. Simultanément, les partisans de la suprématie blanche faisaient réduire petit à petit les droits de vote des Noirs, tandis que s’étendaient les lois ségrégationnistes, qui devinrent la règle alors qu’elles étaient encore des exceptions avant 1890. Cette violence raciste fut la réaction simultanée à un processus d’émancipation : auparavant l’ordre social inégalitaire issu de l’esclavage n’était pas remis en cause, et Noirs et Blancs pauvres étaient divisés.

Les socialistes divisés sur la question du racisme

A la fin du XIXe siècle, le Socialist Labor Party, un des partis ouvriers les plus importants, tenta aussi de s’ouvrir aux Noirs. Peter Clarck, un des premiers Noirs à se revendiquer officiellement du socialisme y a occupé une fonction dirigeante. Les dirigeant de la section du district 49 de New York des «  Chevaliers du travail  » s’engagèrent contre le racisme et menèrent des combats en solidarité avec des ouvriers chinois. L’arrivée de Daniel De Leon à la tête du parti permit une certaine prise en compte du racisme. Mais pour De Leon, celui-ci restait malgré tout une question secondaire, et n’était qu’une manifestation de l’oppression de classe. Il considérait que l’agitation autour de questions non économiques comme les lynchages ou les émeutes raciales ne faisait que détourner de la lutte réelle  : l’abolition du salariat.

Au début du XXe siècle, le Socialist Party fut fortement traversé par le racisme. Certains se désintéressaient de la question des droits des Noirs, tandis que l’aile droite affichait ouvertement son racisme  : le premier socialiste élu au congrès en 1902 se prononça pour la limitation de l’immigration de peur que «  si rien [n’était] fait ce pays [devienne] un pays noir et jaune  »  [1]. Son point de vue était partagé largement au sein de la deuxième Internationale, favorable à la colonisation et à la «  mission civilisatrice  » des grandes puissances. D’autres militants du parti comme Eugènes Debs contestaient que les Noirs soient «  inférieurs de manière innée  »  [2], et voulaient les inviter à rejoindre le parti, mais leur discours étaient le même que celui de De Leon. Debs et certain furent amenés malgré tout à s’opposer aux lois Jim Crow, dénoncèrent le suprématisme blanc et les positions réactionnaires au sein du parti. Le parti ne permit jamais vraiment de rassembler Blancs et Noirs à égalité, les Noirs étant dans le meilleurs des cas traités de façon paternaliste, sans aucun pouvoir dans le parti.

Les Wobblies ou l’union des prolétaires noirs et blancs

Malgré tout, l’expérience la plus aboutie d’unité des prolétaires noirs et blancs et de lutte contre le racisme de l’époque fut celle des International Workers of the World (IWW). Des efforts importants furent développés pour organiser travailleurs et travailleuses noirs et blancs dans une même organisation. Le syndicat affirmait qu’aucun ouvrier ou ouvrière ne se verrait refuser l’adhésion en raison de sa couleur ou de sa foi. L’IWW s’opposait vigoureusement au racisme dans toutes ses publications. Le nombre de Noirs ayant adhéré au syndicat est inconnu, mais certains estiment qu’entre 1909 et 1924, 100 000 cartes du syndicat auraient été remises à des Noirs. Cette stratégie radicalement antiraciste eut des résultats positifs pour sa campagne de recrutement tout comme pour les luttes. Parmi celles-ci, citons la grève des travailleurs du bois de 1913. Alors que les barons du bois tentèrent d’embaucher des briseurs de grève noirs, ces derniers finirent par refuser de travailler grâce aux syndicalistes noirs. La direction fit alors venir des ouvriers de l’étranger et des mexicains mais eux aussi refusèrent d’être des briseurs de grèves. Ce furent la répression violente et l’assassinat de syndicalistes qui brisèrent la grève, car la division raciale échoua.

Les communistes dans le combat antiraciste

Le parti communiste américain, le Workers Party (WP), fut lui aussi pendant une période un vrai mouvement interacial. Il refusa dès sa création les racistes, mais adopta au début le seul angle de la critique de la division des travailleurs. Le grossissement de la classe ouvrière noire le força à changer d’orientation. Il prit acte du fait que les travailleurs noirs sont « exploités et opprimés plus durement que tout autre groupe »  [3]. Le parti connut un succès mitigé au départ pour recruter des Noirs, puis des syndicalistes noirs finirent par le rejoindre et jouèrent un rôle important plus tard dans l’extension de son influence.

L’ African Blood Brotherhood, un groupe révolutionnaire noir secret appelant à la « complète égalité raciale » rejoindra le parti et lui donnera sa première génération de dirigeants noirs. La campagne pour la libération des Scottsborro Boys (deux jeunes Noirs accusés à tort du viol de deux Blanches et condamnés à mort en 1931), est le plus célèbre des exemples de l’activité menée par le WP à cette époque, et lui permit de gagner le respect de nombreux Noirs. Dans les années 1930, les Noirs composaient un quart du parti. Élaborée par Staline, la théorie du «  Black Belt  », revendication d’un État noir, héritière du séparatisme de Marcus Garvey, fut adopté par le parti. Suite aux volte-face de Moscou, qui décida de chercher des alliances avec les gouvernements bourgeois contre le fascisme, le WP se mit alors à transiger sur son engagement antérieur contre le racisme. Il provoqua alors la désillusion de nombreux et nombreuses Noirs.

Nicolas Pasadena (AL Montreuil)


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[1Ahmed Shawki, Black and Red. Les mouvements noirs et la gauche américaine 1850-2010, Syllepse, 2012.

[2Ahmed Shawki, Black and Red, les mouvements noirs et la gauche américaine 1850-2010, Editions Syllepse, 2012.

[3Ahmed Shawki, Black and Red, les mouvements noirs et la gauche américaine 1850-2010 , Editions Syllepse, 2012.

 
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