Economie : PPP-partenariats public-poisons




PPP pour les intimes, les partenariats public-privé sont au capitalisme ce que les sapeurs du génie sont à l’art de la guerre : l’arme conçue pour miner, affaiblir, réduire les résistances de la société civile et de son service public. Portrait d’une vraie casse.

C’est évidemment au pays de Richard III et de Margaret Thatcher que cette traîtrise prend naissance, sous le gouvernement de John Major en 1992 [1]. Traîtrise parce que les PPP sont une approche particulièrement pernicieuse pour, non seulement faire avancer le business, et gagner de l’argent, mais surtout pour émietter le contrôle public sur ce qui lui appartient pourtant en propre de manière inaliénable : transports, eau, énergie, routes, santé...

Si des formes de délégation de service public (DSP) existaient avant, notamment en France, le mécanisme des PPP s’est, depuis bientôt vingt ans considérablement affiné, et surtout propagé vers les pays en développement et les secteurs stratégiques, donc fragiles, comme l’eau.

De quoi s’agit-il ? De partager la construction et/ou l’exploitation d’un service public entre les acteurs du public (territoire, municipalité...) et un opérateur privé, pour en diminuer l’investissement, mais aussi les risques inhérents à l’exploitation.

Structure du système

Les partenariats public-privé s’incarnent dans un contrat. Celui-ci s’organise autour de deux axes : la propriété des ressources et infrastructures d’une part, et de l’autre, le degré de partage du risque, ou si on préfère, le niveau d’implication des deux acteurs. Exemple : le contrat de management donne mandat à un opérateur privé de gérer un réseau de distribution d’eau. Le privé n’est propriétaire que de son équipe rapprochée et doit s’inscrire dans une contrainte financière, matérielle et contractuelle entièrement imposée par le public qui prend la majorité des risques. Le but : améliorer les résultats financiers de l’opération, la qualité...

Dans le cas du contrat de type concession, le principe est que la responsabilité de chaque partenaire est négociée à l’endroit des quatre budgets clés de l’opération - d’exploitation, de maintenance, de rénovation/renouvellement, de développement. Et dans ce cas, les partenaires s’entendent, et c’est difficile de le leur reprocher, pour améliorer le service.

À ce stade, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Le public reste aux commandes et donne au privé l’obligation d’améliorer le service en direction des usagers. Pourquoi s’indigner ?
D’ailleurs, les avantages invoqués par le privé sont eux aussi, frappés au coin du bon sens : trois bénéfices principaux établissent que les PPP, c’est ce qu’il y a de mieux : d’abord ils permettent de séparer les pouvoirs entre celui qui décide (le public) et celui qui réalise (le privé). On éviterait ainsi, à la fois le risque de corruption, et celui de faire dépendre le projet d’infrastructure sur une seule personne. Deuxième bénéfice, la recherche et l’innovation sont favorisées par ce montage, puisque le partenaire privé, on l’aura compris, est plus à même (par le jeu concurrentiel) d’être à la pointe. Enfin, seul le privé est capable d’adaptations rapides et drastiques, exigées par un changement soudain de la conjoncture ou de la réglementation.
Ces trois avantages supposés partent d’un prédicat très simple : le secteur public est un idiot, incompétent, corruptible et ancré dans le court terme.

Ce présupposé traverse tout le livre d’Antoine Frérot, l’actuel PDG de Veolia [2], qui décrit comme « évidemment » plus efficace le secteur privé délégataire de service public.
La Banque mondiale ne s’y trompe pas, mais au contraire encourage explicitement les PPP. Lorsqu’elle conditionne les prêts pour des projets d’infrastructures à la participation du privé, elle le fait au prétexte que celui-ci est plus performant, et elle privilégie les contrats de long terme : « les contrats les plus efficaces sont ceux de longue durée, où l’opérateur a la maîtrise complète de l’exploitation » [3].

Défaire le collectif

Antoine Frérot énumère d’ailleurs les conditions de réussite « harmonieuse » d’un projet : son « réalisme », la « longueur de temps » du contrat, son « adaptation » au contexte local. On traduira par : l’ancrage dans les pays offrant les conditions les plus favorables au business, avec une législation pouvant éventuellement être influencée, pour le plus longtemps possible, de sorte que les contrats puissent « faire des petits » et surtout procurer le meilleur retour sur investissement possible. Le problème n’est donc pas vraiment, comme nous le pensions avec angélisme, d’alimenter les pays sous-développés à obtenir une eau buvable plus de quelques heures par jour dans les grandes mégalopoles – Nigeria, Inde, Afrique, Asie du Sud-est…

Au-delà de l’hypocrisie criminelle de la Banque mondiale et autres institutions « prêteuses », l’impact est aussi dans la manière dont les PPP contribuent à émietter la société en profondeur.

Citons les trois principaux : Les PPP permettent de transformer le bien public en marchandise – l’eau, la santé, l’éducation, toutes choses qui sont de l’ordre du fondement des sociétés, de l’échange humain et de la dignité.
Ensuite ils habituent les esprits à une forme de privatisation du domaine politique par le transfert de la décision du public vers le privé. La destruction du travail de lien social qu’effectuait la Poste, ou EDF dans les campagnes en est une illustration navrante.
Enfin, en transformant les instances territoriales en entités obéissant à des logiques d’entreprise, on finalise une certaine « privatisation de la société », ces instances cessant d’être « collectives ».

Quand Frérot (encore), raconte comment les agents de la ville de Caen se prononcèrent en 1997 en faveur du maintien de leurs contrats avec l’opérateur privé : « autonomie plus grande donnée à l’encadrement », « évoluer en fonction de ses aspirations et de ses compétences », il illustre bien le passage d’une logique collective à une logique individualiste, consommant l’évolution du critère prépondérant de la vie en commun, du social, au managérial.

Cuervo AL 95

[1Voir sur http://en.wikipedia.org/ la notice : Public-private_partnership

[2Dans L’eau. Pour une culture de la responsabilité, 2009, éditions Autrement.

[3Voir l’étude de la Banque mondiale et du PPIAF : http://www.ppiaf.org/

 
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