Emancipation : Vive les enfants de la liberté !




Les nouvelles méthodes d’éducation parentale sont encore souvent perçues comme l’avènement de l’enfant roi, quand elles ne sont pas carrément la cause de la décadence de la société. Dans une confusion entre déclin d’autorité et bienveillance éducative, les milieux anars et consorts négligent de se saisir de ce modèle dont les accointances avec les principes libertaires sont pourtant certaines...

Les questions d’éducation familiale, notamment concernant la petite enfance, sont loin de s’ériger en thématique de prédilection dans les milieux libertaires. Sous prétexte que la politique n’a pas à s’immiscer dans le domaine privé, peu s’y aventurent, par manque d’intérêt peut-être, mais aussi par respect d’une certaine tradition thématique, l’attrait pour les questions familiales étant symboliquement teinté d’une aura négative aux relents réactionnaires.

De façon caricaturale mais avérée dans ses grandes lignes, aux théoriciens de droite la famille et le diktat de ses valeurs VS une gauche cantonnée à la lutte proavortement, le féminisme et ses valeurs émancipatrices, l’enfant apparaissant comme un frein à la libération des femmes. Les questions domestiques sont ainsi exclusivement relayées par la presse parentale ou les mouvances religieuses et/ou marquées à droite. Or, sur un sujet loin d’être anodin, peut-on décemment laisser le champ libre à la droite et ses extrêmes ?

Prise en compte des besoins

Quantitativement, les familles avec enfant(s) représentent 8 007,3 milliers de foyers sur un total de 16 994,7 – soit près de la moitié. (source Insee, 2012). Cette part non négligeable de la population a-t-elle vocation à être exclue de la sphère politique et militante marquée à gauche ? À la jeunesse et aux célibataires la lutte et les affaires politiques, les parents et surtout les mères restant cantonné-e-s tel-le-s des vestales dans leur cocon ? Trop souvent, la césure est marquée entre quotidien domestique et engagement dans la vie publique. Or la révolution et l’amélioration de la société commencent évidemment chez soi, au sein de la société primaire que constitue la famille. C’est précisément ce que postulent les défenseurs de la bienveillance éducative.

Encore confidentiel il y a dix ans, ce modèle éducatif est devenu à ce point incontournable que le Conseil de l’Europe le considère comme l’approche la plus à même de respecter les droits de l’enfant et a entrepris de diffuser une plaquette pour la populariser.

Cela consiste en un accompagnement de l’enfant, à contre-pied de l’autoritarisme parental et des formes excessives de pat-maternalisme qui se déploient dans un épique « fais ce que je dis, pas ce que je fais ! ». Ici, l’enfant est considéré comme un membre de la famille qui a le droit de ressentir des émotions et de les exprimer. Ses besoins sont pris en compte, au même titre – ni plus, ni moins – que ceux des autres membres de la famille, adultes et enfants.

Proscrire toute violence

Concrètement, il s’agit de proscrire toute violence, remplacée par un appel à la raison et à la mise en mots des émotions de chacun, parents comme enfants. Sans essentialiser l’enfant dans un « tu es méchant », « tu es fainéant », il s’agit de plutôt focaliser sur ses actes et ses contrecoups. « Tu as fais ceci. Tu étais en colère, fatigué et je comprends. Mais ton geste a eu telle conséquence sur autrui ». On utilise un « tu aurais pu plutôt régler le problème ainsi » au lieu de « Non ne fais pas ça ! Parce que je te l’interdis ! ».

Expliquer plutôt qu’imposer. Apprendre l’empathie en mettant des mots sur les émotions de chacun et chacune, afin de mieux les identifier et respecter. Ne pas minimiser le ressenti de l’enfant, même si ses pleurs nous semblent disproportionnés pour la perte d’un bâton par exemple. Si en tant qu’adulte cela nous paraît dérisoire, il s’agit du monde de l’enfant, et lui dire ce n’est rien du tout, c’est lui apprendre à refouler ses préoccupations qui dans un autre cas pourraient être moins bénignes. La bienveillance éducative souhaite que l’enfant s’affirme, de la même façon que pour un pédagogue comme Sébastien Faure, « l’enfant n’appartient ni à Dieu, ni à l’État, ni à sa famille, mais à lui-même ».

Ainsi, si la surface candide de ces propositions qui pourtant réclament un grand investissement parental est encore majoritairement dénoncée de toutes parts, le modèle semble pourtant se rapprocher étroitement de ­l’idéal éducatif libertaire qui refuse de faire de l’enfant, et plus tard de l’adulte un pur croyant en une doctrine mais prône un individu qui, après analyse et réflexion, tentera éventuellement avec d’autres de construire. Elle n’est donc pas, contrairement à de nombreuses doctrines pédagogiques, une machine à reproduire et à dénaturer mais au contraire un mode de production d’individus libres et autonomes, capables de choisir leur mode d’engagement social. N’est-ce pas précisément ce que propose ce mouvement, dans la lignée d’une Maria Montessori qui, pour sa part, insiste sur les mérites d’une autonomisation précoce des individus, par la constitution de matériaux adaptés aux enfants afin qu’ils découvrent par le biais de l’expérience.

Ces bases grossièrement résumées, il apparaît difficile de se revendiquer libertaire et d’affirmer qu’un peu d’autoritarisme est nécessaire pour éduquer un enfant. Peut-on s’insurger des violences policières, de toute forme de soumission ou de l’imposition du 49.3, mais accepter des mesures autoritaires et arbitraires à l’encontre d’un enfant, afin qu’il se fonde dans le moule des exigences parentales non adaptées à sa fougue et son âge ? Peut-on privilégier ordre et soumission au détriment de l’accomplissement de soi, du développement de la curiosité et des capacités à s’affirmer de nos enfants ?

Ce modèle, s’il n’est pas à confondre avec un quelconque laxisme, implique au contraire énergie, patience et dialogues soutenus avec nos enfants. Plus éprouvant à justifier qu’une fessée ou un non pur et simple, il est le fruit d’une conscientisation et d’efforts si soutenus qu’ils sont le fruit d’un véritable savoir. Pendant que les gourous de la Manif pour tous hurlent à une inversion des rôles, refrain souvent repris dans tous les milieux même libertaires, la dérive qui en résulte consiste ainsi en la privatisation et commercialisation de ce savoir-faire : cours et matériaux hors de prix, écoles alternatives privées uniquement accessibles aux classes moyennes voire supérieures…

C’est pourquoi il est nécessaire de démocratiser ces moyens qui prônent l’émancipation de l’individu dès le plus jeune âge, le développement du respect mutuel et de la considération de l’autre. Sans les ériger en dogme, il faut partager, éprouver, et définitivement décomplexer les parents qui s’usent à les déployer. Et surtout, il faut les y aider par la mutualisation d’un savoir-faire parental humaniste promettant d’ériger une société loin du repli individuel, mais empathique et respectueuse d’autrui, attestant de la cohérence entre efforts domestiques et publics. Rester cohérent, de la micro à la macro-société, ne pas négliger l’accueil des parents et de leur progéniture au sein de nos luttes.

Julie (AL Moselle)

 
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