Espagne : Les grèves générales s’enchaînent




Chômage de masse, coupes budgétaires dans les services publics, récession économique sans précédent pour la population, le 14 novembre dernier, les Espagnoles et les Espagnols ont prouvé leur détermination à ne pas se laisser faire.

La nouvelle est tombée comme un couperet en Espagne, vendredi 26 octobre 2012 : plus de 5,77 millions de chômeuses et chômeurs, soit un actif sur quatre. Mais c’est aussi un foyer sur dix où tous les membres de la famille sont au chômage. Depuis l’explosion de la bulle immobilière en 2008, on évalue également entre 250 000 et 400 000 le nombre de familles qui, étranglées par leurs prêts immobiliers, ont été expulsées de leur logement par leurs banques. Il n’est pas rare que sous le même toit, les grands-parents, leurs enfants et leurs petits-enfants soient obligés de cohabiter tous ensemble. Pour faire face à la crise, le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy a annoncé des réformes afin de rendre « l’économie plus flexible et plus compétitive ». En réalité, on assiste en Espagne à une tentative désespérée de la part de la classe dirigeante pour contenir les effets dévastateurs de la crise. Et c’est bien entendu la population qui en fait les frais. Au mois de juillet, Mariano Rajoy annonçait une politique d’austérité s’élevant à 65 milliards d’euros d’économies. Les conséquences furent immédiates avec une réduction considérable du budget pour des pans entiers du secteur public. Evidemment ce sont les domaines les moins rentables ou les plus coûteux qui sont touchés en premiers, comme l’Education nationale et le service public de la santé, subissant privatisations et la suppression de milliers d’emplois. La TVA – impôt injuste s’il en est – a également été augmentée de 18 à 20 %, touchant surtout les plus démunis.
Privatisations et suppressions de postes

En parallèle, l’État espagnol va nationaliser quatre banques dont les actifs sont considérés comme toxiques avec en contrepartie la promesse d’un prêt de 100 milliards d’euros par l’Union européenne. Si l’origine de ce plan est la quasi-faillite de la banque Dexia dont les pertes s’élèvent à 7 milliards d’euros, le secteur bancaire reste miné par plus de 184 milliards d’euros d’actifs potentiellement toxiques. Malgré les coupes budgétaires, et l’aide communautaire, on peut s’interroger sur la façon dont l’Espagne va pouvoir réaliser sa politique de nationalisation. Comme l’expliquait peu de temps avant sa mort Robert Kurz, économiste critique du capitalisme, les différentes politiques traditionnelles ne fonctionnent plus face à cette énième crise du capitalisme. Ni une politique monétariste, ni une politique de relance par la demande ne pourront venir à bout de cette situation car il s’agit bien d’une crise structurelle du capitalisme.

Un secteur bancaire miné

Le gouvernement conservateur navigue à vue comme beaucoup de ses homologues européens. Le risque, par ce sauvetage des banques, est de voir sa dette exploser continuellement. La crise semble sans fin. Face à cette situation désespérante, le mouvement de résistance en Espagne continue de s’agrandir et se caractérise par une grande hétérogénéité. Depuis 2008, se sont développés de plus en plus d’actes de désobéissance civile. Les pratiques autogestionnaires connaissent un franc succès, et on voit se développer des assemblées de quartier, des centres sociaux occupés, des jardins potagers urbains, des réoccupations de logements vides ainsi que des actions d’auto-réductions. En Catalogne, se développent des expériences d’éco-réseaux basées sur des coopératives, du troc, des monnaies alternatives. Il y a bien sûr le très bel exemple du mouvement des Indigné-e-s qui arrive toujours à rassembler des milliers de personnes dans la rue. Ce mouvement a lui aussi développé des alternatives concrètes comme des jardins potagers urbains à la Puerta del Sol. A Madrid, l’opération « Encerclons le parlement » du 25 septembre dernier a été un grand succès et s’est répétée plusieurs jours de suite.

Pratiques de démocratie directe

C’est un mouvement qui pratique la démocratie directe et effraye les dirigeants. La répression est féroce et les heurts violents avec les forces de l’ordre sont monnaies courantes. Mais au sein de ce mouvement hétérogène, beaucoup ne demandent qu’une réorganisation du capitalisme et ne s’en prennent qu’aux excès de la finance. De nombreux secteurs concernés par les réformes du gouvernement sont en lutte, notamment dans l’Education nationale ou le milieu hospitalier. Le mercredi 14 novembre dernier, dans le cadre de la mobilisation européenne contre les politiques d’austérité, les syndicats ont lancé un appel à la grève générale. C’est la deuxième depuis l’accession au pouvoir du gouvernement Rajoy. L’appel a été largement suivi et le pays marchait au ralenti. Des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans les rues de Barcelone, la deuxième ville du pays ; un million à Madrid selon les syndicats. Les deux organisations réformistes qui dominent le mouvement syndical, l’UGT et les CCOO, jouent néanmoins leur rôle d’accompagnement du capitalisme puisqu’elles n’ont pas hésité à signer un accord très défavorable pour les travailleurs en lutte chez Renault. Leurs mots d’ordre sont seulement antilibéraux avec parfois des relents de démagogie patriotique lorsqu’ils s’en prennent à l’Union européenne et à l’Allemagne d’Angela Merkel. En ce qui concerne la CGT et la CNT, ces deux organisations syndicalistes révolutionnaires habituellement en concurrence, ce qui est fort dommageable pour le développement du mouvement, ont signé l’année dernière un appel unitaire à la grève générale, amorçant ainsi un rapprochement salutaire.

Un mouvement social déterminé

Ainsi la population espagnole semble déterminée à ne pas se laisser faire face aux réformes iniques du gouvernement conservateur. Mais pour combien de temps encore. Si on veut être pessimiste, on peut rappeler qu’en 1932, il y avait 6 millions de chômeuses et de chômeurs en Allemagne. Et comme le remarquait Hannah Arendt, les germes du totalitarisme sont présents dans la société capitaliste, notamment lorsque les masses se sentent superflues. Sans se tourner vers l’histoire, il suffit d’observer ce qui se passe en Grèce ou en Hongrie où les partis néo-fascistes ont le vent en poupe. Notons au passage la mise en scène de l’arrestation d’Aurore Martin afin de détourner l’opinion publique des réformes impopulaires. Seule la grève générale illimitée et une plus grande solidarité internationale auront raison de ce système.

Florian (AL Paris-Sud)

 
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