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États-Unis : Organiser les précaires




On trouve aux États-Unis des exemples de pratiques syndicales alternatives qui permettent l’entrée en action de travailleuses et travailleurs à qui les outils syndicaux classiques sont moins accessibles. Alors que l’organisation des précaires en France reste une gageure malgré son urgence, observons ces pratiques états-uniennes, où le monde du travail est libéralisé de plus longue date.

Précarisation du salariat, exploitation des travailleuses et travailleurs sans papiers, dislocation des collectifs de travail : avec la libéralisation du monde du travail, la précarisation et ­l’atomisation des salarié-e-s s’accentuent. Alors que le syndicalisme organise le plus souvent les travailleuses et travailleurs sur leur lieu de travail, par secteur d’activité ou par entreprise, aux États-Unis différentes expériences de syndicalisme hybridé sont des pistes pour développer l’organisation de celles et ceux qui ne sont pas intégré-e-s dans un réseau salarial.

Convivialité et solidarité communautaires

C’est dans cet objectif qu’au début du XXe siècle, les Wobblies, militantes et militants des Industrial Workers of the World (IWW), ont fondé leur puissance sur un principe fondamental d’unité des travailleurs au sein d’un seul grand syndicat révolutionnaire. En 1935, une dizaine d’années après le déclin des IWW, s’opère au sein de l’American Federation of Labor (AFL) une scission entre les partisans du syndicalisme de métier corporatiste pratiqué jusque-là (craft unionism), et ceux qui veulent développer un syndicalisme d’industrie (industrial unionism), qui regrouperait tous les travailleuses et travailleurs d’une même entreprise voire d’un même secteur, quelle que soit leur fonction.

C’est ainsi que naît le Congress of Industrial Organizations (CIO). Deux ans après sa création, celui-ci a réussi à regrouper 3 400 000 membres, et obtient ses premières victoires lors de la grande grève victorieuse à General Motors avec la fameuse occupation de l’usine de Flint.

En 1965, le mouvement de travailleurs agricoles de Californie, autour de Cesar Chavez et du United Farm Workers Organizing Committee, ne limite pas ses revendications à des questions économiques de rémunération. Il revendique un principe large de justice sociale (sur le racisme notamment) au sein du travail et au-delà, ce qui permet d’emmener dans la lutte les proches des travailleurs, c’est-à-dire leur « communauté » au sens large.

C’est également en mobilisant les familles et proches des personnels d’entretien sur de telles revendications, que s’organise à partir de 1985 la campagne Justice for Janitors, menée par le syndicat Seiu. Cette lutte a en effet rassemblé quelque 225 000 travailleuses et travailleurs directement concerné-e-s, mais aussi du fait de larges revendications de justice sociale, leurs familles et leurs proches, comme eux souvent récemment immigré-e-s, isolé-e-s et précarisé-e-s.

Le community organizing est une méthode formalisée à partir des années 1940 à Chicago. La technique de mobilisation qu’il met en œuvre est directement inspirée des méthodes d’investigation développées au début du XXe siècle par le mouvement d’enquêtes sociales de l’école de sociologie de Chicago. Ces méthodes s’appuient sur cinq principes : s’immerger pour mieux connaître et comprendre son terrain ; collecter des « histoires de vie » révélant les dynamiques sociales d’un quartier ; établir des relations de confiance fortes notamment avec celles et ceux qui apparaissent comme des leaders des groupes ciblés ; parler de soi-même et sortir de toute posture neutre ou institutionnelle, ou encore moralisante ; être dans le non-jugement.

C’est en utilisant ces méthodes que le community organizing, sous ses diverses formes, permet aujourd’hui aux États-Unis la mobilisation de dizaines de millions de personnes de classes populaires.

Que ce soit dans le mouvement des travailleurs agricoles, le mouvement Justice for Janitors ou de bien d’autres encore, l’implication de la communauté implique un mode de lutte non violent et des formes de convivialité et de solidarité communautaires.

Autre exemple, lors de l’évolution législative impulsée par Ronald Reagan en 1985 autorisant les patrons à ne pas reprendre les salarié-e-s grévistes en cas ­d’échec du mouvement, des formes de blocages moins frontales – les « inside games » – se sont redéveloppées, comme la grève du zèle. Ou encore, le 1er mai 2006, lorsque des centaines de milliers de travailleurs immigré-e-s ont combiné boycott et manifestations massives pour une « journée sans immigrés », afin de démontrer que sans eux et elles, légaux ou clandestins, le pays cale. Des familles entières se sont retrouvées dans la rue, et c’est en musique qu’elles ont fait entendre leurs revendications de justice sociale.



C’est en utilisant de tels principes que des salarié-e-s précaires du secteur des fast-food mènent depuis trois ans la campagne Fight for $15 . L’alliance du syndicat Seiu et d’organisations communautaires a permis de développer la force du mouvement. Le 31 mars dernier, il a obtenu une victoire d’importance, avec le vote par l’État de Californie du passage du salaire minimum de 7,20 $ à 15 $ d’ici quatre ans. L’État de New York pourrait suivre avec un passage à 15 $ d’ici 2018.

Afin d’augmenter encore la pression, cette campagne s’étend aujourd’hui au-delà des États-Unis, et arrive notamment en France (cinq restaurants McDonald’s ont été bloqués en France lors de la journée internationale contre l’enseigne le jeudi 14 avril dernier). Par ailleurs, une autre campagne est en passe d’être lancée dans le but d’organiser les chauffeurs de taxi contre le géant Uber. À suivre…

Adeline DL (AL Paris-Nord-Est)


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