Femmes immigrées : Entre indifférence et mépris




Les femmes de la « communauté turque » ne sont pas là où la République les attend. Quelques lignes pour attirer l’attention sur le sort réservé aux femmes immigrées en situation de grande pauvreté et sur l’indifférence méprisante qu’elles suscitent.

Suite à une demande de la Direction du droit des femmes, une association de province fut chargée d’enquêter sur ce qui apparaît comme une ségrégation des jeunes filles dans un quartier populaire habité par des immigrés turcs. Les éducateurs de rue ont remarqué avec inquiétude que les jeunes filles sont absentes, en particulier entre 13 et 17 ans, des maisons de quartier où sont proposées des activités de loisirs. La demande serait d’aider les éducateurs à promouvoir la mixité. La communauté turque est clairement stigmatisée : elle est supposée séquestrer les filles pubères. Les éducateurs ont remarqué que le seul atelier dans lequel viennent les filles est… l’accompagnement scolaire. Ils en concluent que seuls les garçons ont droit aux loisirs.

Sylvie, médecin généraliste dans le dispensaire gratuit, réfléchit avec l’équipe des intervenantes mandatées. Son expérience auprès de cette population change l’angle de vue : pour Sylvie, ces femmes sont surtout en difficulté au travail. Elles sont saisonnières dans l’agriculture. On les voit « à quatre pattes dans les champs toute l’année ». Ces travaux extrêmement pénibles sont, en effet, effectués en grande majorité par des femmes.

L’usine qui avait fait venir la communauté ayant fermé depuis des années, ce travail des femmes est requis pour que tout le monde mange à sa faim.

Souffrance au travail

Ces travaux ne se terminent qu’avec la tombée de la nuit.

On peut alors se demander si les jeunes filles ne sont pas simplement en train de garder leurs frères et sœurs et préparer le dîner. Dans ce cas, le travail antisexiste serait-il de discuter avec les familles pour que les mères rentrent plus tôt des champs afin de laisser leurs filles faire de la poterie ? De demander aux garçons pourquoi ils n’aident pas leurs sœurs ? D’installer des gardes collectives, des ateliers cuisines ? Ce travail doit en tout cas se garder d’entériner la stigmatisation anti-orientale. La répartition des tâches domestiques dans les foyers « à la française » n’a peut-être pas grand chose à envier à la leur… Il faut remarquer au passage le sexisme affiché des choix d’activités proposées aux garçons (le foot) et aux filles (la céramique). On n’est pas tombé loin de la couture, activité qui aurait d’ailleurs pu les intéresser vu la pauvreté de leurs revenus…

Les femmes émigrées font la paix des ménages. Invisibles, elles se glissent dans les maisons pendant que tout le monde « travaille », la rendent propre et repassée, évitant à Madame de se plaindre de la nonchalance de Monsieur devant les tâches ingrates du quotidien.

La paix des ménages

Sans leur présence discrète et efficace, les ménagères de plus de 30 ans feraient encore plus la gueule sans savoir exactement pourquoi. « Bonnes » nounous polyglottes, celles issues des colonies anglophones remplacent avantageusement les gouvernantes anglaises. Petits lutins magiques et invisibles, dans les bureaux, les magasins, les hôpitaux, elles se lèvent très tôt et/ou travaillent très tard pour fourbir quand personne ne circule, et gagnent de quoi ne pas mourir de faim. Ce qui n’empêche personne de les stigmatiser parce qu’elles laissent parfois leurs enfants tous seuls. Ils n’ont donc pas de grandes sœurs efficaces, ces garçons ado qui ne veulent plus aller à l’école, faisant perdre ainsi les allocations à la famille ? La mise en visibilité des grandes sœurs serait peut-être aussi importante que la mise sur le podium des « grands frères » ?

Et leur santé ?

On doit ajouter que les services de santé au travail n’existent que très rarement pour ces travaux. La santé de ces femmes n’est pas surveillée, n’entre dans aucune statistique. On nous corne dans les oreilles le malaise existentiel de cadres angoissés au bord du suicide [1], mais elles ? Qui prend en compte leurs difficultés autrement qu’à les stigmatiser comme victimes de leur culture ? Renvoyées dans les dispensaires pour pauvres, elles sont supposées être plaintives et incompréhensibles. En plus, vous comprenez, elles s’expriment mal et ont toujours mal au ventre. Leurs maris avaient des sinistroses ; elles, sont arriérées et ne s’occupent pas assez de leurs enfants. Les travailleurs sociaux zélés, les services hospitaliers surchargés, ont tôt fait de stigmatiser les travailleurs pauvres, se barricadant ainsi derrière un mépris condescendant et une arrogance inconsciente pour tenir dans leur posture de contrôle social.

Marie-Louise Michel

[1Le rapport du nombre de suicides entre les cadres et les ouvriers est de 1 à 3. Ce sont quasi les mêmes chiffres pour l’épidémiologie des maladies cardio-vasculaires. (Santé et Travail, n°70, avril 2010).

 
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