Fournisseurs d’accès à Internet indépendants : La fibre libertaire contre Big Brother




Contre la marchandisation et la surveillance mises en œuvre par les fournisseurs d’accès à Internet, des structures indépendantes et autogérées se sont mises en place. Une autre histoire que celle du mouvement ouvrier libertaire, mais plein de convergences à développer.

Internet, c’est magique : du clic de ma souris à l’arrivée de mon mail à l’autre bout du continent, il y a une seconde. Et entre les deux il y a pourtant aussi tout un monde pour gérer les tuyaux et la façon dont l’information circule dedans, à commencer par le fournisseur d’accès à Internet (FAI), lequel occupe une position stratégique, puisque c’est lui qui achemine le flux jusqu’à notre domicile.

Or cette position lui permet de limiter l’accès à certains sites (par exemple, YouTube est lent pour les clients d’Orange, qui possède Dailymotion, un concurrent direct de la plateforme américaine), d’empêcher l’utilisation de certains protocoles d’anonymisation, voire même, ce qui est plus inquiétant, d’espionner la navigation de ses clients et clientes. Alors on peut choisir de s’en remettre à l’honnêteté et aux intentions pures des géants commerciaux que sont Orange, Free, SFR, Bouygues ou Numericable, ou on peut essayer de prendre les commandes.

Pas de clientes et de clients, que des associé-e-s

Et fondamentalement, c’est ça le principe des FAI indépendants membres de la Fédération French Data Network (FFDN). Pas de clientes et de clients, que des associé-e-s qui peuvent accéder aux comptes, participer aux commissions techniques, et surtout décider d’absolument tout ce qui concerne l’association dans des assemblées générales. Cette forme d’autogestion technologique très concrète ne se situe pas directement dans le prolongement de la longue histoire du mouvement ouvrier libertaire, les références et le vocabulaire sont différents, mais les ennemis – capital et État – sont les mêmes et les convergences de fait sont évidentes.

Les difficultés sont aussi les mêmes, puisque comme toute structure coopérative et autogestionnaire, les FAI indépendants se heurtent à une société qui ne l’est pas. Il leur faut louer les tuyaux à Orange, marchander auprès d’opérateurs intermédiaires, etc. Dans certains cas, l’État verrouille complètement l’accès aux petites associations pour laisser la part belle aux monopoles ou aux oligopoles : la loi interdit par exemple à de petits fournisseurs d’installer la fibre à petite échelle et exige l’investissement de capitaux gigantesques sur plusieurs années pour en obtenir le droit.

Multitude de FAI locaux

French Data Network (FDN), fondateur de la fédération du même nom, fournit donc de l’Internet à son échelle, mais sur la France entière tout de même, depuis plus de vingt ans. Avec l’importance qu’a acquise le numérique et la prise de conscience du risque de son instrumentalisation par les dominants, FDN a tellement grossi qu’il n’était plus possible de garantir la participation de chacun et chacune de ses membres. Il a alors « essaimé » en une multitude de FAI locaux partageant les mêmes valeurs : Franciliens.net (en région parisienne), Alsace Réseau Neutre, Auvernet (en Auvergne), Nice Data Network, Tetaneutral (à Toulouse), etc., certains comptant quelques centaines de membres, d’autres une poignée seulement.

Quand il reste du temps et de l’énergie aux bénévoles de ces associations, après avoir pointé les factures, rempli les bons de commandes de lignes ADSL, configuré les serveurs et aidé les camarades handicapé-e-s du mulot à remettre leur machine en marche, les FAI indépendants militent aussi contre la surveillance de masse. En juillet 2015 a été adoptée et promulguée la fameuse « loi de surveillance », autorisant les services de renseignement à espionner massivement, sans distinction et sans autorisation judiciaire préalable, les flux de données sur l’ensemble du réseau, et ce avec l’aide des grands FAI.

Notons, entre parenthèses, que de par ses statuts, seule l’AG de FDN, soit la totalité de ses membres, est en mesure de se voir imposer l’installation d’une de ces boîtes noires indiscrètes ; ce qui risque de ne pas passer inaperçu. Contre cela et le cortège d’atteintes aux libertés numériques permises par l’état d’urgence (tout juste prolongé de deux mois), FDN et d’autres associations spécialisées comme la Quadrature du Net apportent une expertise technique pour analyser les textes de loi et sensibiliser au risque qu’ils représentent.

La lutte passe aussi par des dispositifs techniques. Ainsi, les FAI indépendants sont un des principaux relais de la Brique Internet, une solution anonymisante pour les abonné-e-s de fournisseurs commerciaux qui n’ont pas la possibilité ou l’envie de prendre un abonnement au sein de la Fédération. Cette petite boîte qui se branche à la box de Free, Orange, ou autre, a pour vocation principale de faire passer tout le flux Internet entrant ou sortant par un fournisseur tiers de confiance, enregistrant le moins de données possibles sur ses usagers et usagères, rendant quasi inutilisables ces dernières, mettant des bâtons dans les roues des autorités qui exigeraient d’y avoir accès, et prenant toutes ses décisions en AG (un fournisseur de la FFDN par exemple !).

Cette stratégie, que l’on appelle VPN (pour Virtual Private Network), nécessite une souscription d’environ 10 euros par mois et l’achat de la boîte qui coûte tout de même 60 euros. Mais alors votre gros opérateur mal intentionné et en ligne directe avec la DRI aura bien du mal à savoir où vous allez farfouiller sur Internet. Les FAI indépendants se chargent de sa configuration, voire organisent des « install-party », pour que l’incompétence technique qui afflige les moins geeks d’entre nous ne soit pas un obstacle.

Alors oui, pour le moment l’objectif est modeste et les contraintes sont nombreuses : d’un côté, l’État et le marché sont une entrave, de l’autre, les collectifs, comme partout ailleurs, font avec les moyens du bord, qui se forment petit à petit au prix de quelques erreurs, peinent à se mobiliser. Néanmoins, si la société devait un jour ne plus être contrôlée par la technique mais reprendre la main sur celle-ci, en faire un moyen écologique, inclusif, égalitaire, au service de l’autonomie individuelle et collective, ça passerait certainement par des structures comme celle-là.

Marco (AL 92)

Site : www.ffdn.org/fr

 
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