Grande Bretagne : Contre la marchandisation de l’Université




La politique de casse de l’enseignement supérieur est décidément de plus en plus contestée un peu partout en Europe. En Grande-Bretagne un mouvement étudiant secoue le gouvernement social-libéral de Tony Blair.

Le 30 octobre 2003, plus de 31 000 étudiant(e)s sont descendu(e)s sur Londres pour prendre part à ce qui semble avoir été la plus grande manifestation estudiantine depuis des décennies. Scandant des slogans tels que « Stop fees now ! » (« Non aux droits d’inscriptions »), « Grants not fees ! » (« Des bourses et non des droits d’inscription ») et « Age 21 and 21 grand in debt ! » (« 21 ans et 21 000 livres de dettes ») en passant devant le Parlement, les étudiant(e)s ont voulu protester contre le dernier projet du gouvernement Blair pour tenter de remédier aux problèmes financiers de l’enseignement universitaire créés par des années de sous-investissement sous les conservateurs (1979-97).

La manifestation organisée par la NUS (National Union of Students, l’Union nationale des étudiants) a été soutenue par d’importants syndicats ouvriers (GMB, Unison) et par les deux syndicats des personnels enseignant et administratif des universités, AUT (Association of University Teachers) et NATFHE (National Association of Teachers in Further & Higher Education). Cette campagne nationale contre les droits d’inscription jouit également d’un large soutien parmi l’opinion.

La toile de fond de ce débat national sur les droits d’inscription est la baisse progressive du financement de l’enseignement supérieur depuis une vingtaine d’années et l’endettement croissant de beaucoup d’étudiant(e)s. Les conservateurs ont gelé les bourses et introduit un système de prêts pour étudiant(e)s en 1989-90. Le Labour a complètement aboli les bourses en 1998 et obligé les étudiant(e)s à payer une partie de leurs droits d’inscription (1 100 livres soit 1 600 euros par an actuellement et à payer en avance) ; a également été mis en place un système de prêts spéciaux, remboursables après les études universitaires à des taux variables selon le niveau de revenu. Le résultat ? S’il est vrai que le déclin du financement du supérieur a été renversé, ce niveau de financement est toujours insuffisant ; les fermetures de départements et les licenciements deviennent de plus en plus fréquents ; le mode de gestion des universités ressemble de plus en plus dans ses moyens et dans ses critères au secteur privé ; le business s’infiltre de plus en plus dans l’enseignement comme dans la recherche ; et les deux tiers des étudiants britanniques sont endettés, l’endettement moyen atteignant 12 000 livres (17 300 euros).

Même un député blairiste comme Frank Dobson s’oppose à son propre gouvernement sur le nouveau projet de loi, déclarant qu’il est « honteux » qu’un gouvernement travailliste soit prêt à créer un marché dans l’éducation. Il faudrait peut-être ajouter que le Labour Party avait promis explicitement dans son dernier manifeste électoral qu’il n’introduirait pas des droits d’inscription complémentaires.

Les deux syndicats des personnels des universités (AUT, NATFHE), qui essayent depuis quelques années de coopérer plus fraternellement mais dont les rapports sont quelquefois problématiques, sont unis derrière les étudiant(e)s sur cette question.

Vers une crise politique ?

Cette contre-réforme suscite donc une opposition massive parmi les enseignant(e)s et les étudiant(e)s ainsi que dans les sondages d’opinion et a mis le ministre de l’Éducation Charles Clarke et le Premier ministre quelque peu sur la défensive. Au moment où nous écrivons ces lignes, le gouvernement manœuvre frénétiquement pour miner l’opposition de 150 députés travaillistes qui, avec les conservateurs et les démocrates-libéraux (petit parti du centre), risquent dans quelques jours, au moment du vote à la Chambre des Communes, de renverser la majorité gouvernementale. Ce serait une défaite politiquement significative pour Tony Blair. Le gouvernement a introduit certaines concessions ces derniers jours : les droits d’inscription augmentés ne seront payables qu’après l’achèvement des études, par exemple, et il y aura des bourses (totalement insuffisantes d’ailleurs) pour les étudiant(e)s « d’origine modeste ». Mais il y a un aspect particulier du projet de loi qui suscite toujours l’opposition de beaucoup : la prétendue 0« variabilité » des nouveaux droits d’inscription complémentaires.

Université de classe

En effet, le chiffre de 3 000 livres par an (4 300 euros) est un maximum. Le gouvernement veut que chaque université ait le droit d’exiger des droits d’inscription différents, et même des droits d’inscription différents pour différents cours. Seul les « vice-chancellors » (président(e)s des universités), dont les hausses de salaire ont été le double (en pourcentage) de celles des enseignant(e)s depuis une dizaine d’années, sont en faveur des droits d’inscription. Mais même les « V-C » (comme on les appelle ici ) sont divisé(e)s sur la variabilité. Car ceci introduira sans aucun doute un système à deux vitesses, où les universités les plus prestigieuses, pourront exiger des sommes plus importantes, ce qui créera un cercle vicieux de sous-financement des universités les moins prestigieuses, et renforcera le caractère de classe du système universitaire. Les universités membres de l’élite exigent déjà l’abolition de ce maximum.

Réussira-t-on à faire reculer le gouvernement ? Cela dépendra dans une large mesure de la détermination de la minorité de gauche dans le Parti travailliste, mais la tâche de cette minorité sera rendue beaucoup moins difficile si elle est soutenue par un mouvement social impressionnant. Là, on peut être quand même sceptique, malgré le succès relatif de la manif d’octobre dernier. En dépit de la politisation des étudiant(e)s, que beaucoup ont cru voir dans la mobilisation de la jeunesse contre l’invasion de l’Irak, la campagne d’opposition aux droits d’inscription a été lente à démarrer. Certains syndicats d’étudiants locaux parlent aussi d’une éventuelle désaffiliation de la NUS, qui est la seule organisation nationale des étudiants, mais qui a été critiquée pour être trop liée au New Labour et donc trop hésitante dans son opposition aux politiques gouvernementales.

David Berry

 
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