Grève des travailleurs sans papiers : Pas de trêve cet été




Cela fait maintenant neuf mois que des milliers de travailleuses et travailleurs sans papiers sont en grève pour obtenir leur régularisation et lutter contre l’exploitation patronale.

En avril dernier, personne ne donnait cher du sort réservé à ces grévistes. Pendant plusieurs mois, leur nombre restait stable sur le papier, mais numériquement faible sur les piquets, du fait de l’acharnement de la justice saisie par plusieurs patrons et de l’évacuation d’un grand nombre d’entre eux par le gouvernement. Ainsi, secret de polichinelle, le nombre de grévistes était nettement inférieur à celui officiellement recensé. Ajoutons à cela que la situation de nombre d’entre eux était devenue intenable du fait des factures impayées et des procédures d’expulsion, sans oublier que beaucoup de patrons ne les reconnaissaient plus comme grévistes mais comme d’anciens et d’anciennes salarié-e-s. Tout cela aurait pu très mal tourner pour tout le monde. Pour autant, le mouvement ne s’est pas effondré ni dissous. Le mérite en revient d’abord aux plus déterminé-e-s des grévistes qui ont continué à se réunir nombreux pour décider de la suite du mouvement. Cela s’explique aussi par l’existence de comités de soutien unitaires locaux et par l’activité du groupe des onze (les 11 organisations qui les soutiennent depuis le début du conflit) qui ont multiplié les actions locales et proposé une stratégie de pression sur le patronat et le gouvernement, afin d’ouvrir des discussions avec les syndicats et de donner droit aux revendications des grévistes.

Victoire à la Bastille

Malgré cela, la situation restait totalement bloquée et le gouvernement pariait sur un pourrissement de la lutte face à laquelle il n’était pas question de céder. Les résultats des élections régionales et cantonales de mars, avec la défaite de la droite et le redressement de l’extrême droite, ont persuadé le pouvoir de durcir sa politique, convaincu qu’il avait perdu du fait d’un gouvernement et d’une campagne encore trop éloignés des valeurs réactionnaires qui sont les siennes. Dans ces conditions, il n’y avait pas de place pour une politique plus ouverte envers les migrantes et les migrants. Dans ce contexte, on peut dire que la décision d’occuper les marches de l’Opéra Bastille pour donner plus de visibilité à la lutte a contribué de façon décisive à la relancer. Grévistes et groupe des onze ont pris l’initiative de cette action après les premières discussions avec les ministères du travail et de l’immigration qui ne donnaient strictement aucun résultat. Le gouvernement était si déterminé à ne rien lâcher qu’il a alors envoyé sa police pour évacuer les grévistes et leurs soutiens. Les grévistes ont alors répondu en ripostant physiquement aux coups de matraques et surtout en affluant toujours plus nombreux vers Bastille pour occuper de nouveau les marches. Le gouvernement, surpris par cette détermination, a alors compris qu’après avoir tant lutté et souffert, les grévistes ne le laisseraient pas s’en tirer à si bon compte. Ajoutons à cela que nombre de patrons du commerce et de la restauration, pour qui la saison était bien lancée, commençaient à se plaindre de l’attitude inflexible du gouvernement. Ce dernier a donc dû apprécier différemment le rapport de force et a concédé une reprise des discussions avec les syndicats sur des bases plus ouvertes.

Des avancées mesurées

Ainsi, le 18 juin, le Ministère de l’immigration et de l’identité nationale a publié un texte avec de nouveaux critères de régularisation pour les travailleurs sans papiers. Ces derniers rejoignent pour partie plusieurs revendications portées par les grévistes et par le groupe des onze sur l’assouplissement de certains critères. S’il est évident que le gouvernement a reculé sous la pression de la lutte, le triomphalisme ne saurait pour autant être de mise et ce pour plusieurs raisons. D’abord, le texte publié par Besson n’est pas opposable comme un décret ou un arrêté, il s’agit d’un addendum au guide des bonnes pratiques modifiant le précédent - qui contenait des critères restrictifs – accompagnant la circulaire évasive du 24 novembre 2009. La liste des 6 769 grévistes remise au ministère de l’immigration doit, par ailleurs, les protéger de l’expulsion le temps de constituer leurs dossiers qui doivent impérativement être soutenus par une organisation syndicale pour être déposée en DDTE. Autre problème, la majorité des grévistes ne disposent pas de Cerfa de leurs patrons, document indispensable pour valider le dossier. On peut penser que, suite aux derniers événements, certains patrons accepteront d’en délivrer. Mais on sait aussi que d’autres ne veulent rien entendre et qu’il faudra en passer par des actions encore plus dures pour les obtenir. L’opération de régularisation va se dérouler sur plusieurs mois, elle nécessitera beaucoup de monde et de mobilisation pour boucler et déposer les dossiers de tous les grévistes. Elle va exiger aussi beaucoup de vigilance, notamment concernant l’arbitraire préfectoral qui s’était développé après les milliers de régularisations de la première vague de grève de 2008. Ensuite, les organisations syndicales devront répondre à la demande de tous les travailleurs sans papiers qui n’étaient pas grévistes mais qui entrent dans les nouvelles dispositions. Ce dispositif doit s’appliquer du 1er juillet 2010 au 31 mars 2011. Mais s’il ne se développe pas de puissantes mobilisations contre le racisme d’État, les décrets de la loi Besson soumis au vote du Parlement dès le 26 septembre sortiront et produiront tous leurs effets, en renforçant la criminalisation des travailleuses et travailleurs sans papiers.

Unité avec les collectifs de sans-papiers

Pour conclure, la lutte a permis d’obtenir des avancées appréciables pour les grévistes. Mais celles-ci sont fragiles et l’ouverture, rendue possible par les actions de mai, reste provisoire. Il faut espérer que les régularisations obtenues soient suffisamment nombreuses pour donner l’envie d’en découdre à toutes celles et ceux – la majorité – qui restent sans papiers pour la plus grande joie du capital. Mais s’il doit y avoir un acte III à ce combat, ce que nous souhaitons, il ne pourra être mené à bien sans un lien bien plus fort avec une partie significative des salarié-e-s, avec ou sans papiers, françaises, français et immigré-e-s, des secteurs économiques impliqués, et devra s’étendre sur l’ensemble du territoire. La lutte nécessitera par ailleurs une plus grande auto-organisation, surtout si l’implication des organisations syndicales n’est pas plus importante. Il va aussi falloir sortir d’un horizon borné par les seules luttes s’inscrivant dans la régularisation par le travail car elles ne permettent pas d’entraîner tout le monde. Et il y a encore de nombreux verrous à faire sauter pour pouvoir avancer : spoliations des droits sociaux, remise en cause des accords bilatéraux avec l’Algérie et la Tunisie par les ressortissants de ces pays, sort des jeunes majeurs, regroupement familial… Enfin, le fait que onze associations et syndicats aient uni leurs forces pour soutenir cette lutte et que des comités locaux de soutien se soient créés, constituent une avancée appréciable. Mais il reste à progresser dans l’unité entre les organisations, les collectifs de soutien et les collectifs de sans-papiers, car c’est à ce prix seulement qu’il sera possible de faire reculer le racisme d’État et avancer la lutte des classes.

Laurent Esquerre (AL Paris-Nord-Est)

 
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