Lire : Anne Guérin, « Prisonniers en révolte »




Anne Guérin publie une histoire des prisonniers et prisonnières, et de leurs luttes, centrée sur les années 1970. Une prise de recul salutaire sur une période à la fois dure et inventive en termes de modes d’action et d’organisation.

Alors que la réforme pénale lancée par Christiane Taubira relance le débat sur les prisons, Anne Guérin déplace le regard vers les luttes qui les ont ébranlées dans les années 1970. Prisonniers en révolte. Quotidien carcéral, mutineries et politique pénitentiaire en France (1970-1980) prend le contrepoint du discours dominant qui aborde la prison le plus souvent du point de vue de l’institution carcérale. Après des recherches sur les victimes de la pollution industrielle et les malades du sida, elle restitue la parole rarement prise, souvent négligée, des détenu-e-s, entre 1970 et 1980, et même au-delà. Elle s’appuie sur des témoignages de prisonniers, principalement collectés par des groupes militants qui ont voulu libérer leur parole. Le Groupe d’information sur les prisons (Gip), à l’initiative de Michel Foucault, s’attache à partir de 1971 à la faire émerger par le biais de questionnaires. Le Comité d’action des prisonniers (Cap), d’obédience libertaire, publie quant à lui de 1972 à 1982 un journal : Cap. Journal des prisonniers.

Après 68, l’embrasement différé

La parole des détenu-e-s rend d’abord tangibles des conditions de vie quotidienne indignes, pour les prisonniers, mais aussi pour les prisonnières, minoritaires et isolées, auxquelles l’auteure consacre un chapitre spécifique. Des conditions de vie qui perdurent malgré les réformes, et jusqu’à aujourd’hui. Et qui constituent la toile de fond des révoltes du début de la décennie 1970. L’auteure décrit d’abord le déclenchement d’une première série d’émeutes, commençant par celle de Clairvaux en 1970, auxquelles est supposée répondre une réforme pénitentiaire en 1972. Puis une seconde série d’émeutes en 1974, suivies d’une seconde réforme.

Anne Guérin rappelle que l’univers carcéral est relativement imperméable à l’extérieur. C’est en partie ce qui explique le décalage temporel entre le mouvement de mai-juin 1968 et l’embrasement des prisons au début des années 1970.

Animation des luttes

Le livre permet d’alimenter une réflexion sur l’animation des luttes. Il décrit d’abord l’intervention des maos emprisonnés, qui ne parviennent pas à combler l’écart qui les sépare des « droit commun ». À l’inverse, l’action du Gip puis du Cap, pourtant menée depuis l’extérieur des prisons, rencontre un plus fort écho parce qu’ils entendent fournir aux prisonniers et prisonnières des moyens de faire entendre leur voix, sans se substituer à eux pour produire un discours sur l’univers carcéral.

Les révoltes de 1970 ou les mutineries de 1974 se déclenchent à l’occasion d’événements particuliers, comme une tentative d’évasion ratée, ayant entraîné une sanction perçue comme injuste par les prisonniers. Elles se font sans « éléments subversifs » venus de l’extérieur. En revanche, en envoyant les détenus jugés à l’origine des émeutes dans d’autres prisons, le pouvoir répressif contribue à essaimer la révolte.

Parce que le livre passionne, on aurait aimé que l’auteure articule encore plus la description sensible du quotidien des détenu-e-s avec celle des mutineries. Qu’elle relie par exemple le déclenchement et le déroulement des mutineries aux dépendances, solidarités, ou hiérarchies entre détenu-es évoquées dans l’avant-dernier chapitre.

S. M.-J.

• Anne Guérin, Prisonniers en révolte. Quotidien carcéral, mutineries et politique pénitentiaire en France (1970-1980), Agone, 2013, 359 p., 25 euros.

 
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