Honduras : Radio Macompo, une expérience communautaire et féministe




Dans cet État d’Amérique centrale, un des plus violents de la planète, des femmes s’organisent pour battre en brèche le machisme et le patriarcat. Présentation d’une radio faite par des femmes pour leur émancipation.

Le Honduras, petit pays d’Amérique centrale de 8,7 millions d’habitants, dont la population est métissée à 90 % et amérindienne pour 9 %, est marqué par la violence politique depuis la naissance de l’État souverain en 1838. Une succession de coups d’État, appuyés par les États-Unis, marque le pays du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui  : avec le coup d’État de 2009 contre le président démocrate Manuel Zelaya, la Constitution bafouée par l’actuel président Juan Orlando Hernandez, qui s’est représenté aux élections de 2017 sans en avoir le droit, et le soupçon de fraude électorale qui a entaché les élections du 26 novembre 2017. Des milices privées protègent les intérêts des secteurs d’activités (exploitation minière, déforestation) en relation avec les dirigeants de l’armée, et commettent des assassinats de militant.es. Le Honduras présente le taux le plus élevé d’assassinats politiques dans le monde, par rapport à sa population. Les écologistes et les syndicalistes sont particulièrement ciblés, et l’impunité des crimes sociaux et politiques est quasi totale.

La violence est aussi sociale avec le maintien de la population, en particulier la population rurale, dans un sous-développement chronique, engendrant des maux bien connus  : illettrisme, délinquance, mafia, mortalité infantile élevée.

Violences politiques et sociales du Honduras

Dans ce climat, les premières victimes de violence sont les femmes. L’avortement est interdit et passible d’une peine de prison. La pilule du lendemain est strictement interdite. Les violences faites aux femmes au quotidien sont extrêmes  : on estime qu’une femme meurt toutes les 16 heures. Le féminicide est la deuxième cause de mortalité  : 95 % des violences constatées ne sont pas punies  [1].

Les femmes honduriennes sont au cœur des luttes contre la déforestation, contre la privatisation de la santé et de l’éducation. Elles luttent pour des changements politiques et sociaux, pour une transformation de la société, gage d’un meilleur avenir pour leurs enfants. Elles ont tout à gagner et rien à perdre, pas même leur vie qui est menacée même au cœur de leur foyer. Elles sont à la fois pilier de la famille et principal objet de la violence  [2].

Même si elles luttent dans des organisations syndicales ou des mouvements aux côtés des hommes, les femmes au Honduras ont aussi une très grande capacité à s’assembler collectivement, entre femmes, pour des actions locales afin de transformer leur quotidien. Ainsi à La Unión, dans le Olancho, après l’ouragan Mitch en 1998, un groupe de femmes s’est constitué pour créer, gérer et animer une radio associative.

Les origines de Radio Macompo

L’initiative en revient à une pe­tite association française, le Comité Amérique latine du Nord-Cotentin, dont certains membres ont séjourné au Honduras pour des actions humanitaires de santé et gardé des contacts, en particulier dans le Olancho. Le Olancho est une région montagneuse, située dans le nord du pays, qui manque singulièrement d’infrastructures. Les habitants du Olancho ont la réputation d’être rebelles au gouvernement central (le Olancho a demandé son indépendance en 1877), lequel les a toujours «  punis  » en les laissant dans un sous-développement social et économique (la première école date de 1930).

N’ayant pas les moyens de faire de l’urgence, l’association française a décidé de monter un projet à long terme. Elle a dépêché sur place une de ses membres pour recenser les besoins de la population, c’est-à-dire les besoins des femmes. Le contact a été pris via les religieuses catholiques qui y vivent et y mènent des actions de santé auprès des mères et des enfants. Elles y ont monté une pharmacie de produits à base de plantes qu’elles cultivent et transforment, source de revenus pour les femmes du village qui y sont employées.

Les femmes interrogées ont répondu massivement que le plus grand problème était l’isolement. Elles souhaitaient avoir à leur disposition un outil leur permettant de se contacter d’un village à l’autre, de faire de l’alphabétisation, de l’éducation, de la formation à la santé et à l’agriculture, de diffuser leur culture. Elles demandaient une radio.

Quelques femmes à La Uniòn ont commencé à se réunir et ont constitué une association qu’elles ont nommée Macompo, c’est-à-dire Mujeres Activas para la comunicación de los pueblos de Olancho. Le groupe était constitué d’enseignantes très motivées par la perspective d’avoir un outil éducatif leur permettant d’impliquer tant les élèves que les parents, d’une employée de banque qui s’est portée volontaire pour être formée à la radio et d’autres femmes autour de ce noyau.

Dans chaque village, une réunion était organisée par une femme chez elle. Les femmes arrivaient de la campagne pour y participer, ayant fait plusieurs kilomètres à pied, un enfant sur le dos. Toutes manifestaient le désir d’avoir une radio à elles, pour elles. Leur énergie était impressionnante, à la hauteur de leur dénuement. Il a fallu trouver un local, acquérir le matériel, former du personnel, acheter une fréquence et obtenir le permis d’émettre. L’évêché proposait d’installer l’antenne sur une colline lui appartenant, sans contre-partie. Il restait à acheter une fréquence dont le prix, compte tenu de la corruption, peut aller du simple au double, et obtenir un permis d’émettre alors que l’État est peu enclin à favoriser des radios totalement libres, c’est-à-dire non évangéliques ou commerciales.

Une radio féministe et autogérée

En 2002, une radio commerciale de La Uniòn avait cessé d’émettre pour raisons économiques. L’association française a financé le rachat de la fréquence et du matériel déjà en place. Radio Macompo a commencé à émettre le 14 février 2004. Elle émet depuis lors de 5 heures du matin à 21 heures.

La radio se veut objective, de service, sans but lucratif. Elle veille à rester indépendante. C’est la radio des femmes, pour les femmes, animée par des femmes avec pour objectifs de permettre l’accès à tous à l’éducation par des programmes pédagogiques  ; relayer les informations locales et nationales  ; informer les habitants du Olancho sur les thèmes de la santé des enfants et des femmes avec notamment un programme d’information sur le contrôle des naissances et les maladies sexuellement transmissibles, l’éducation, la violence, l’environnement, les droits humains, et permettre l’accès à la culture nationale et internationale.

La radio émet dans sept villages très isolés du nord du Olancho, sur quelque 20 km2. Un sondage réalisé en 2007 montre que sur les 50 000 habitants des sept villages concernés, entre 25 et 30 000 écoutent Radio Macompo.

Le projet initial prévoyait que l’association française se retire totalement au bout de trois ans. Le salaire de la gestionnaire a été pris en charge jusqu’à fin 2006. Pour financer le salaire et s’affranchir totalement de l’association française, Macompo a monté une coopérative de production et commercialisation de café. Radio Macompo fait maintenant partie d’un réseau de radios communautaires. Les radio communautaires jouent un très grand rôle dans l’éducation des femmes, dans un pays où le taux de fécondité est très élevé, ainsi que celui des grossesses chez les adolescentes, voire les très jeunes filles tout juste pubères.

Bien sûr, les risques sont grands et nécessitent de la prudence. Certaines radios ont été fermées au moment du coup d’État et pendant les longues années de dictature (1972-1983). Les femmes de Radio Macompo savent se montrer prudentes et la radio n’a jamais, jusqu’à maintenant, cessé d’émettre depuis quatorze ans. Mais Radio Macompo doit aussi résister aux pressions des évangéliques et de l’Église catholique qui essaient d’y avoir des créneaux horaires pour faire du prosélytisme. Des programmes religieux existent tout de même à la demande des habitants, sans privilégier une religion en particulier.

Comme beaucoup d’autres au Honduras, les femmes de Macompo œuvrent sans faire de bruit, mais le silence est peut-être leur première et seule protection. Au-delà de la résistance, les femmes honduriennes minent les fondements d’une société patriarcale, machiste et violente. Sans doute faudra-t-il, quand les conditions politiques le permettront, que leurs actions deviennent visibles, soient reconnues, et fassent partie d’un projet politique de développement social.

Christine Gillard (Amie d’AL)

  • Écoutez Radio Macompo sur Linkedin.com

[1Rapport sur les violences faites aux femmes au Honduras, 26 juillet 2007, à retrouver sur Un.org.

[2«  Le Honduras un calvaire pour les femmes  », Le Monde du 23 novembre 2014.

 
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