Italie : Après les urnes, une nouvelle saison de lutte de classe




Après les élections générales en Italie, nos camarades de la Federazione dei comunisti anarchici (FdCA) nous ont fait parvenir leur analyse de la nouvelle situation politique créée par la défaite de Berlusconi et l’arrivée au pouvoir de la coalition de centre-gauche dirigée par l’ancien président de la commission européenne Romano Prodi.

Au cours des cinq dernières années, la coalition de centre-droit qui a dirigé l’Italie a prouvé qu’un système de gouvernement par alternance n’a aucune vertu, mais que c’est par contre l’expression du projet de classe destiné à rétablir un pouvoir capitaliste, autoritaire et clérical-fasciste dans ce pays.

Projet de classe de la droite

Ce projet destructeur et socialement bien enraciné s’est principalement déroulé suivant quatre axes :
 laisser dépérir le système industriel italien comme source de revenus, de salaires et de jobs, dès lors que rien ne menaçait les profits de la plus-value ;
 brader tout le système de protections, de droits, de libertés, en soumettant à la précarité et à l’arbitraire du marché des millions de travailleur(se)s italien(ne)s et immigré(e)s ;
 produire une législation qui détruirait les droits et les libertés conquises au cours des décennies précédentes et qui s’opposerait à l’élargissement de ces droits et libertés ;
 criminaliser, diaboliser et réprimer toutes les instances et tous les mouvements d’opposition engagés dans les batailles syndicales et sociales, sous prétexte qu’ils seraient dangereux pour la stabilité du pays.

Ce projet de classe s’est tellement accéléré et est devenu si destructeur lors du quinquennat 2001-2006 qu’il est allé bien au-delà du programme néolibéral tracé par la coalition de centre-gauche entre 1996 et 2001, mais il est également allé bien au-delà des compatibilités structurelles soutenables par le capitalisme italien, confrontées à l’écroulement de la demande interne, à la croissance zéro de la richesse produite, ainsi qu’à l’abandon de toute politique publique de soutien du capitalisme italien. Nous avons assisté à la croissance de la richesse personnelle des membres du gouvernement et de ses partisans au sein de l’élite.

La stratégie interclassiste de l’Union

L’opposition de classe était trop faible pour résister à une telle attaque, en dépit des efforts des mouvements sociaux et syndicaux de base. Les éléments bourgeois qui se sont opposés au projet de Berlusconi étaient trop opportunistes pour endiguer la destruction du tissu social et productif, qui a désormais atteint un seuil critique.

Il était donc nécessaire d’établir une large alliance basée sur la vieille idéologie interclassiste, ce qui a permis à l’esprit démocrate-chrétien de trouver refuge au sein de l’Union [1] :

 pour faire confluer des intérêts de classes divergents dans un projet commun de reconquête du pouvoir politique ;
 pour permettre à des partis tels que les DS (Démocrates de gauche), le PdCI (Communistes italiens) et le PRC (Refondation communiste) de se présenter comme les représentants des intérêts de la classe exploitée. Et ceci, afin d’endiguer la volonté d’autonomie de classe exprimée toujours plus fermement par les travailleur(se)s durant ces cinq dernières années ;
 pour offrir une soupape à la pression exercée par les lobbies affamés et les oligarchies ;
 pour accéder aux leviers politiques, économiques, administratifs du pouvoir (conservé jusqu’il y a peu par les prédateurs de la droite) ;
 pour impliquer les classes exploitées de travailleur(se)s italien(ne)s et étranger(e)s dans un grand projet d’assainissement, de reconstruction et de prise de responsabilités (comprenez « de sacrifices »).

Maintenant que Prodi et l’Union ont techniquement remporté les élections, la stratégie interclassiste sera principalement employée :
 pour ouvrir le dialogue avec des segments du centre-droit ;
 pour exalter les institutions de l’Etat comme patrimoine commun, indépendant des coalitions ;
 pour redistribuer le pouvoir politique entre les vainqueurs ;
 pour réaliser des politiques de soutien de l’économie, au profit de la Confindustria [2] ;
 pour atténuer les blessures sociales provoquées par le néolibéralisme de Berlusconi ;
 pour interdire d’éventuelles revendications, contestations, oppositions et auto-organisations des classes exploitées qui résisteront au nouveau pouvoir capitaliste.

Quoi qu’il en soit, dans son travail de redéfinition du pouvoir capitaliste et institutionnel, la vraie nature de l’alliance interclassiste victorieuse doit cependant être dévoilée. En effet :
 l’antiberlusconisme risque de disparaître. Les différences politiques entre les forces de l’opposition sociale sont bien plus profondes et plus solides que les points communs de l’Union ;
 des fractions (politique et économique) du centre-droit seront probablement impliquées dans le gouvernement, introduisant de facto une dimension collaborationniste ;
 les conditions semblent réunies pour que les fractions bourgeoises sorties victorieuses des élections relancent l’Italie sur les bases d’un nouveau pacte social inégalitaire qui exigera des sacrifices (la fin du contrat d’emploi national, les mains libres pour les employeurs...) ;
 les partis victorieux de l’Union représenteront les classes travailleuses en dessous des nécessités et des besoins de ces dernières ;
 des accords seront conclus avec les principaux syndicats « amis » qui entendent regagner leur rôle de partenaires et rétablir leur pouvoir contre les exemples intolérables d’autonomie ouvrière qui sont apparus au sein de ces syndicats (c’est le cas de la FIOM, la Fédération industrielle des ouvriers de la métallurgie à l’intérieur de la puissante CGIL) et au sein des syndicats de base ;
 un cadre législatif-institutionnel sera exigé pour rétablir la légalité et la fiction de l’égalité de tou(te)s les citoyen(ne)s aux yeux de la loi ;
 deux étapes sont prévisibles dans cette approche générale : d’abord rétablir la santé du pays, ensuite adoucir les exigences de l’économie néolibérale afin d’assurer la survie des ouvriers ; c’est une politique qui pourrait sembler acceptable à certains secteurs du centre-droit.

Les perspectives pour les mouvements d’opposition

La nécessité de déchirer le voile qui entoure l’alliance interclassiste offre aux organisations sociales de base, aux mouvements de travailleu(ses)rs et aux organisations révolutionnaires de nouvelles occasions de repolariser les mouvements d’opposition de classe. La porte est grande ouverte. De quoi s’assurer que la défaite technique de la droite les 9 et 10 avril ne soit pas l’acte politique final de tant de mouvements nés en Italie à partir de 2001.

Les nombreux mouvements de base qui, grâce à leur capacité d’auto-organisation et d’autogestion, ont été les principaux acteurs des luttes anticapitalistes (les luttes de travailleur(se)s, les combats écologistes et environnementaux notamment contre l’installation d’une ligne pour trains à grande vitesse, les luttes pacifistes et antimilitaristes, les luttes des migrants et celles contre la répression d’État, les combats féministes, laïcs et anticléricaux), ont maintenant l’opportunité de montrer et réaffirmer leur autonomie et leurs idées.

Rôle des communistes anarchistes

Il est en effet toujours aussi nécessaire de combattre les tendances autoritaires qui, bien qu’elles aient été battues par les urnes, n’ont pas été éliminées comme dangerpolitique dans la société. Et de combattre les dégâts causés par les valeurs négatives de la droite combinées à celles du néolibéralisme (individualisme, compétition, arrogance, corruption, ignorance, injustice, déréglementation de la vie civile, précarité croissante...). Etant donné le succès des exigences de paix sociale et de collaboration de classe formulées par l’Union, il est d’autant plus important que nous affirmions et pratiquions les valeurs collectives de la liberté dans la solidarité, par la défense et l’usage de l’auto-organisation, par la demande de droits collectifs et individuels des personnes, des travailleur(se)s, des migrant(e)s et par la protection de ces droits. Ces mouvements de luttes font maintenant face à un futur dans lequel leur autonomie est menacée. Après avoir pris conscience que les élections ne sont pas et qu’elles n’ont jamais été une occasion décisive de changer en profondeur les structures politiques et économiques, nous devons favoriser la prise de conscience qu’il faudra également lancer une nouvelle opposition sociale contre le gouvernement de l’Union.

Pour nous, communistes anarchistes, pour la gauche révolutionnaire et libertaire, il est donc maintenant essentiel d’agir pour que les contradictions de l’alliance interclassiste deviennent évidentes, et pour contrecarrer la phase de collaboration de classe qui risque de s’ouvrir. Nous devons favoriser la capacité politique de s’autogérer, de lutter et de se fédérer chez tou(te)s les acteurs/trices sociaux et syndicaux pour un changement radical de la société vers l’autogestion et l’égalité.

Fdca, avril 2006

[1L’Union est une coalition des partis suivants : Democratici di sinistra (DS, Démocrates de gauche), Democrazia e libertà - La Margherita, Partito della rifondazione comunista (PRC), Federazione dei verdi, Partito dei comunisti italiani (PdCI), Socialisti democratici italiani, Popolari - Unione democratici per l’Europa, Movimento dei repubblicani europei, Italia dei valori.

[2La Confindustria est la fédération des industriels italiens.

 
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