Mobilisation

Journée du 5 février : La question sociale est de retour




Le succès des manifestations du 5 février dernier (plus de 500000 salariés dans la rue) offre-t-il des perspectives d’une mobilisation d’ensemble du monde du travail afin de mettre en difficulté le gouvernement, et le contraindre à revenir sur ses récentes mesures ?

En voulant permettre « de travailler plus pour gagner plus », le gouvernement Raffarin-Seillière enfonce le clou toujours un peu plus loin dans son offensive contre le monde du travail. Son discours aux salariés précaires pourrait se résumer ainsi : « si vous voulez ne pas être sur la paille, brisez vous la santé » !

Le jeu de dupes des 35 heures

Une attaque d’autant plus facile à l’égard des 35 heures que nous sommes en présence d’un jeu de dupes. En effet, les 35 heures de l’ex-"gauche plurielle" s’étaient soldées par la flexibilité et l’intensification du travail, 35 heures payées 35 pour beaucoup de nouveaux embauchés et le blocage des salaires dans de nombreuses branches du privé mais aussi du public (à la Poste notamment).

Bien à l’opposé d’une véritable réduction du temps de travail sans baisse du salaire, sans flexibilité et avec embauches correspondantes.

Ce gouvernement est du reste parfaitement en phase avec ce que le Medef appelait "la refondation sociale". Toutes ces mesures ne visent qu’à jouer la carte du contrat individuel contre le droit collectif, la compétence contre la qualification, les primes contre le salaire... En définitive, il s’agit de faire reposer sur les épaules de chaque salarié et chômeur la responsabilité de leur condition sociale.

Mais faut-il rappeler que le capitalisme, ce n’est pas la liberté et des relations décontractées entre salariés et employeurs ? Que toute loi doit être analysée en fonction des rapports de force concrets dans les entreprises, c’est-à-dire des rapports de dépendance et de contrainte entre les salariés et leurs employeurs (État et patronat) ?

C’est aussi en fonction de cette réalité-là que nous avions combattu la loi sur les 35 heures d’Aubry, car elle oubliait (involontairement ?...) le rapport de force entre les syndicats et les employeurs. Elle permettait donc que les accords se traduisent par une plus grande flexibilité et un blocage des salaires donc une baisse.

Dans ce cadre-là, défendre les 35 heures comme un acquis social pour les salariés (position de la CGT) sans mettre en lumière ses effets pervers aide-t-il à mobiliser dans le secteur privé ? À comprendre la situation et ses enjeux ?

On peut analyser cette position comme une tentative de masquer l’inefficacité revendicative de ces dernières années mais aussi la situer dans une perspective plus large de réhabilitation de la politique économique et sociale menée par l’ex-"gauche plurielle". Toujours dans la perspective de 2007. D’ailleurs, l’appel des partis de gauche à manifester le 5 février était là pour le rappeler. Dans ce cadre-là, revendiquer une augmentation des salaires dans le privé apparaît quelque peu schizophrène alors que les mêmes accords 35 heures stipulaient soit un bocage des salaires, soit une modération salariale, soit être payés 35 heures sur la base de 35 heures de travail.

Mais le contenu bien consensuel des appels syndicaux du 5 février ne reflétait pas les commentaires critiques des syndiqués et des militants syndicalistes dans de nombreux secteurs. Et c’est bien à ce niveau-là que l’action revendicative doit se développer en formulant politiquement les enjeux de la période, en resituant les politiques actuelles avec celles menées en son temps par Aubry et compagnie. À défaut, l’élargissement de la mobilisation sur le temps de travail et les salaires en direction des salariés du privé qui ont subi les 35 heures flexibles et qui s’apprêtent à payer la double peine avec Raffarin, s’avérera difficile.

Se battre pour la redistribution des richesses !

L’enjeu est bien actuellement de mettre le curseur revendicatif sur la part des richesses qui reviennent au capital.

Communistes libertaires et syndicalistes révolutionnaires, nous devons mettre en débat dans les syndicats comme dans les mobilisations, une redistribution des richesses au profit des salariés, des précaires, des chômeurs, de toutes celles et ceux d’en bas.

Cela doit se traduire par des revendications qui s’en prennent aux profits et aux privilèges des patrons, gens de la finance et autres rentiers. Mais aussi et surtout que l’on rende aux travailleurs la totalité de la richesse produite en France par des mécanismes de redistribution sociale à la source (ce qui constitue le salaire indirect).

Préparer la riposte ?

Temps de travail, salaire, garanties collectives, formation professionnelle, sur tous ces sujets, nous avons subi des reculs importants. S’il est nécessaire de montrer à Raffarin qu’il va trop loin, la réponse sera insuffisante si nous ne tirons pas les leçons des derniers mouvements sociaux.

Face à un gouvernement thatchérien, nous ne pourrons pas résister longtemps si nous ne parvenons pas à remettre au centre de toute stratégie de lutte la question de l’organisation collective des salariés sur les lieux de travail. Des milliers de militants syndicaux combatifs s’interrogent au même titre que les salariés sur les grèves "carrées" de 24 heures car la question d’un affrontement global se pose.

La proposition qui semble se profiler (de la CGT, de FO...) d’organiser de manière unitaire des arrêts de travail interprofessionnels dans les semaines qui viennent peut constituer pour tous les syndicalistes combatifs un point d’appui pour une stratégie de lutte qui pose comme préalable le contenu des revendications et la question des moyens d’action.

La coordination des militants anticapitalistes sur les lieux de travail se pose donc à nouveau. Une coordination que nous appelons de nos vœux. Elle pourrait prendre la forme d’un front anticapitaliste qui mette en avant une plate-forme revendicative en rupture claire avec les politiques libérales.

Reposer la question du projet de société

Cependant, la construction d’un mouvement d’opposition sociale ne pourra gagner que si les diverses sensibilités anticapitalistes s’émancipent de la croyance en un État neutre qui serait le point d’équilibre entre patronat et salariés. À titre d’exemple, revendiquer la défense du service public en l’état permet-il de le développer, de donner plus de pouvoir aux salariés ? Ou la gestion directe de ces mêmes services publics par les salariés ne permettrait-elle pas de se prémunir des ingérences capitalistes et étatiques ? On le voit ici, ce qui est en débat, c’est aussi une certaine conception des rapports politiques et sociaux, que nous voulons pour notre part basée sur l’autogestion et l’égalité.

Cette "utopie" n’est plus à reporter systématiquement comme une belle phrase terminant le bas des tracts. Les capitalistes appliquent méthodiquement des mesures qui tendent à une société libérale dans tous ses aspects. Les appareils militants de la gauche institutionnelle restent sur une conception dépassée de la société héritée du compromis de l’État providence. Il y a aujourd’hui un espace possible pour les libertaires lutte de classe et plus largement pour tous les anticapitalistes afin de proposer un autre projet de société articulé à des luttes revendicatives de masse.

Rémi Ermon (AL Rennes)

 
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