Juives et juifs révolutionnaires : « L’antisémitisme est un élément structurant de la société française »




À la Marche de la dignité du 31 octobre 2015 (lire aussi page suivvante), quelques dizaines de personnes défilaient derrière une banderole « Juives et juifs révolutionnaires ». C’était la première apparition dans la rue du jeune collectif éponyme. Rencontre avec Élie, l’un des militants et fondateurs du collectif parisien.

Qu’est-ce que JJR ? Quels sont vos objectifs ?

Nous sommes un collectif de personnes issues de la minorité nationale juive, nous avons deux objectifs. D’une part, faire émerger au sein du mouvement révolutionnaire la lutte contre l’antisémitisme comme une lutte antiraciste et d’autre part toucher au sein de la minorité juive des gens qui souhaitent lutter activement contre l’antisémitisme et qui se retrouvent face à un vide politique. Nous souhaitons aussi lutter contre les idées et réflexes réactionnaires au sein de notre propre minorité.

Vos textes comprennent souvent de nombreuses références historiques, pourquoi c’est important pour vous ?

Nous ne sommes pas dans une démarche culturaliste ou avec l’ambition de faire vivre une histoire juste pour le folklore. Nous analysons le passé pour mieux comprendre le présent. Nous disons que « le passé ne s’est envolé nulle part ». Ceux qui pensent que l’antisémitisme n’existe plus ou qu’il est marginal et ceux qui, au contraire, théorisent un « nouvel antisémitisme », nous disent qu’il y a eu une espèce de rupture. Au contraire, nous pensons que l’histoire se répète, avec une situation actuelle qu’on peut rapprocher sur de nombreux points à ­l’époque coloniale avec une bourgeoisie qui semble favoriser la minorité juive avec comme effet de « disparaître » aux yeux des opprimé-e-s, de détourner les sentiments anticapitalistes vers une communauté juive fantasmée. Hier Drumont, aujourd’hui Soral, les choses ne changent pas tant que ça.

On vous reproche parfois d’utiliser le terme de « minorité nationale juive ». Qu’entendez-vous par là ?

Je pense que les reproches viennent de la mauvaise compréhension de cette expression. Nous ne disons pas que les Juifs et les Juives forment une nation minoritaire. Nous disons que la société française est fondée sur un roman national lui-même fondé sur une « majorité nationale » fantasmée, qui serait blanche, européenne et chrétienne. Nous pensons qu’il existe aussi du coup des minorités nationales, qui s’opposent à cette majorité, qui ne seront jamais des membres « naturels » de la nation française, dont l’allégeance sera toujours remise en doute et dont les actions, notamment politiques, seront lues en rapport à cette non-appartenance à la majorité nationale. Nous avons écrit un texte plus complet sur la question.

En quelques mots, c’est quoi l’antisémitisme pour vous, aujourd’hui en 2015 ?

L’antisémitisme est un élément structurant de la société française, du roman national français. C’est une oppression structurelle, au même titre que tous les racismes. C’est une oppression qui peut être violente et brutale comme douce ou « marrante ». Cela se traduit par le vocabulaire dieudonniste qui est pas mal présent dans toutes les strates de la société, cela se traduit aussi par des discriminations à l’embauche ou au logement et bien sûr par des agressions voire des assassinats.

Et concernant le sionisme ? En faites-vous une analyse particulière en tant que Juifs et Juives ?

Nous considérons que le sionisme est une fuite en avant bourgeoise. Nous pensons que c’est une mauvaise réponse à l’antisémitisme. L’ambition du sionisme c’est de protéger les Juifs et les Juives, alors qu’au contraire cette idéologie isole ceux-ci des autres opprimé-e-s et donc fait le jeu de la bourgeoisie. De plus, le sionisme aujourd’hui c’est la volonté de maintenir l’État d’Israël comme un État juif et comme « l’État des Juifs ». C’est considérer que la place des Juifs et des Juives est en Israël, que c’est notre foyer, notre seconde voire première maison. Pour nous, la place des Juives et des Juifs n’est pas plus là-bas ­qu’ici, et chacun et chacune a le droit de vivre là où il le souhaite. Enfin, force est de constater que le sionisme en pratique c’est l’oppression des Palestiniens et nous nous opposons au colonialisme quel qu’il soit – en Palestine, comme au Kurdistan, au Sahara Occidental, en Kanaky ou au Tibet, par exemple – au nom de notre éthique juive et universaliste.

Comment se sont passées vos premières apparitions ?

Il y a eu du bon et du moins bon. Nous avons pour l’instant trois apparitions à notre actif : une intervention dans un colloque contre le racisme, notre cortège à la Marche de la dignité et une réunion publique dans un lieu militant parisien pour nous présenter. Le colloque s’est globalement bien passé, malgré quelques remarques plutôt limites en marge de celui-ci. La Marche de la dignité a été plus mitigée dans le sens où nous avons reçu énormément d’encouragements mais aussi plusieurs invectives ouvertement antisémites ainsi qu’une personne faisant une quenelle devant notre banderole (nous lui avons fait effacer la photo et l’avons virée de la manif). Enfin, notre réunion publique a reçu énormément de menaces et d’insultes venant de sionistes d’extrême droite, qui ont d’ailleurs tenté de l’attaquer, mais elle a été un franc succès, dépassant nos espérances en matière de nombre de personnes présentes et de contacts pris.

Vous faites le choix d’une organisation non mixte. Pourquoi est-ce important ?

De la même manière que des femmes s’organisent entre elles, nous pensons que si nous ne portons pas ce combat, personne ne le fera à notre place. Nous pensons que l’émancipation des opprimé-e-s sera l’œuvre des opprimé-e-s eux-mêmes, nous acceptons les soutiens avec grand plaisir, mais pensons que notre expérience de l’antisémitisme nous permet de mieux le combattre. Nous pensons aussi que pour parler aux membres de la minorité juive, avoir un vécu commun nous aide. Notre voix sur les idées réactionnaires qui lui sont typiques (comme le sionisme par exemple) est plus forte et est moins perçue comme une agression par les Juives et les Juifs. Notre engagement à JJR n’est pas une fin en soi mais un outil, une stratégie pour atteindre l’égalité. De même que nous nous organisons sur une base de classe sociale pour abolir les classes sociales, nous nous organisons sur une base de race sociale pour abolir les races sociales.


Quelle est la place des organisations de gauche révolutionnaires dans votre combat ? Qu’attendez-vous d’elles ?

Nous n’avons pour l’instant aucun lien de groupe à groupe avec des organisations révolutionnaires. Néanmoins, nous avons des contacts plus personnels avec certaines, pour en être membres ou proches. Nous appartenons au mouvement révolutionnaire, au même titre qu’elles, de ce fait nous les invitons à nos initiatives et à nous soutenir, comme à la Marche de la dignité et à notre réunion publique. Notre rôle est aussi d’aider à la déconstruction des réflexes et des tendances antisémites présentes dans les mouvements révolutionnaires.

Propos recueillis par
François Dalemer (AL Paris Sud)

Pour en savoir plus : https://juivesetjuifsrevolutionnaires.
wordpress.com

 
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