Mars 2011

L’école au cœur de la reproduction des inégalités de classes




« Il sort d’une grande école de commerce et il touche cinq smic par mois… C’est normal, nous dira-t-on, il l’a mérité. Toi, à l’inverse, si tu galères dans des voies de garage et que ton avenir est bien sombre, c’est bien fait pour toi ; tu n’avais qu’à mieux travailler ! » Voilà comment on nous présente l’école et comment ce discours sert à justifier et renforcer les inégalités dans la société.

Le système éducatif français, qui est présenté comme l’institution républicaine par excellence, et est censé « donner sa chance à tous », n’est en fait rien d’autre qu’un instrument de plus entre les mains de ceux qui possèdent les richesses.

La méritocratie

On veut nous toujours nous faire croire que l’école offre la même éducation à tout le monde et permet aux meilleur-e-s de grimper dans la société. Gratuite, neutre, et obligatoire, l’école n’est pas censée classer les élèves en fonction du compte en banque de leurs parents, mais en fonction de leurs mérites, puisque tout le monde bénéficie en théorie des mêmes chances. C’est ce qu’on appelle la « méritocratie ».

Pourtant selon une enquête de l’INSEE, en 2003, 65% des ouvriers étaient des fils d’ouvriers ou d’employés, alors que seulement 2% d’entre eux étaient des fils de cadres. A l’inverse, seulement 10% des cadres étaient des fils d’ouvriers. Ces chiffres ne veulent pas dire que les enfants des classes populaires sont moins intelligents que les autres, mais ils montrent bien que le système scolaire est responsable d’une sélection sociale !

Il y a un vraie inégalité des chances avant même l’entrée à l’école : l’enfant de bourgeois maîtrise mieux « le bon français »- il baigne depuis qu’il est petit dans la culture classique de l’école (ses parents l’emmènent au théâtre, lui achètent des romans et lui apprennent de nombreuses choses en dehors de l’école). Sa famille sait aussi comment fonctionne l’école et peut l’aider s’il en a besoin.

A l’inverse, on n’a pas forcément appris à l’enfant d’ouvrier le « bon français » qu’on doit parler à l’école et on ne lui a pas forcément donné la culture qu’il faut pour lire Maupassant.. Dès le CP les inégalités ne font que se creuser et l’écart augmente entre les enfants : les uns sont encouragés par leurs bons résultats et les autres s’enfoncent dans l’échec et l’exclusion. Des enfants issus des classes populaires arrivent bien sûr à s’en sortir et servent alors d’exemples pour prouver que le système scolaire fonctionne bien mais les autres finissent à Pôle Emploi…

Nous sommes libertaires et nous pensons que le but de l’école n’est pas de former d’un côté des élites et d’envoyer de l’autre côté les “mauvais élèves” dans des classes professionnelles. L’école doit au contraire offrir à tou-te-s une éducation complète pour développer l’autonomie et permettre la vie en commun. L’école ne doit pas former de la chair à patron prête à remplir des “postes de travail” dans les entreprises mais doit former des individus libres et responsables.

A l’école de l’ordre...

Le système scolaire apprend aux élèves la soumission à l’ordre établi et transmet des savoirs choisis pour être au service de la société telle qu’elle est. L’école prétend nous apprendre à « être de bons citoyens », mais elle nous rend en fait politiquement impuissants car dans la société actuelle, être citoyen, c’est simplement voter tous les 5 ans et se taire entre deux élections ! C’est se soumettre au bon vouloir de ceux qui sont élus, et qui décident pour nous et sans nous !

Le système scolaire nous apprend le « respect » du « maître » ou du prof pour nous habituer à obéir à la hiérarchie tout au long de notre vie : soumission aux professionnels de la politique dans la sphère publique et soumission au patron dans le monde du travail. L’ « élite » doit guider « l’aveugle troupeau », à l’école comme ailleurs. C’est par l’école que les dirigeants imposent leurs « valeurs » : travail, mérite, patrie, « démocratie » par les urnes... Ils savent que plus ces valeurs auront été inculquées tôt et moins elles seront contestées !

Sois jeune et tais toi

Dès l’école, tout est fait pour empêcher les individus de prendre leur destin en main. L’élève n’a même pas le droit de donner son avis sur sa formation, sur ce qu’on lui enseigne ou sur la manière dont on lui enseigne. Le but est d’infantiliser les élèves, de leur faire comprendre que des gens soi-disant compétents s’occupent d’eux et qu’ils n’ont aucun droit à les remettre en cause.

C’est pourquoi l’école balaie tout ce qui favorise l’autonomie intellectuelle, qui pourrait donner envie de remettre en cause de l’ordre établi. Dans l’ensemble, le système scolaire ne forme pas à la pensée critique, c’est-à-dire qu’il n’apprend pas à contester ce qui nous est dit plutôt que de toujours l’accepter passivement Il s’agit d’apprendre, souvent par cœur, des connaissances simplement pour pouvoir les recracher au devoir suivant et glaner une bonne note (ou une moins bonne).. Il existe des cours de sciences sociales où la société actuelle est remise en question, (par exemple en étudiant l’économie avec Marx ou la sociologie avec Bourdieu) mais les dirigeants s’en méfient et c’est pourquoi ces enseignements sont supprimés par les réformes successives et remplacés par des leçons plus conformes à l’idéologie libérale dominante (micro-économie).

Résultat : plein d’élèves n’aiment pas être à l’école et ne s’intéressent pas du tout à ce qu’on leur apprend. S’ils y restent, c’est parce qu’ils ont peur (ou parce que leurs parents ont peur) du chômage et de la pauvreté qu’on leur promet « s’ils ne réussissent pas à l’école ». Soumission, peur, ennui : l’école dans la société actuelle est bien loin d’être émancipatrice...

Pour une école démocratique et émancipatrice

Libertaires, nous combattons l’autorité et la hiérarchie. Les élèves doivent, comme les profs, et bien plus que la direction, participer à l’organisation des lieux d’études. Cela vaut pour la vie quotidienne de nos établissements comme pour le contenu de nos cours. Pour cela, nous devons nous réapproprier notre formation, en devenir des acteurs. L’école doit devenir le lieu de l’apprentissage de la pensée critique. C’est aussi là que l’on peut commencer à apprendre à résister à et toutes les formes de dominations. C’est enfin là que l’on peut s’initier à l’organisation collective de la vie en commun.

Le combat pour une autre école, égalitaire et émancipatrice, est un élément essentiel d’un combat révolutionnaire plus large, pour une autre société. C’est pourquoi nous devons reprendre en main le destin de nos lieux de formations en prenant la parole même si on ne nous la donne pas, en initiant des actions collectives pour faire valoir nos droits et notre point de vue. Et en attendant que l’école change grâce à nos luttes, nous pouvons toujours aller chercher ailleurs à apprendre ce qu’on ne nous dit pas en cours ! Le savoir est une force, ne laissons pas les autres s’en servir contre nous !


DES MOTS POUR LUTTER

La bourgeoisie et le prolétariat. Les prolétaires, ce sont toutes celles et tous ceux qui doivent travailler pour pouvoir se payer à manger, se loger. Les bourgeois ce sont celles et ceux qui possèdent les usines, les banques, les industries et font travailler les autres pour faire du profit. Il n’y a plus d’un côté le propriétaire de la mine et, de l’autre, les mineurs exploités (en France en tout cas, mais ça peut être encore comme ça ailleurs) mais il y a bien, d’un côté, les salarié-e-s qui travaillent pour vivre et, de l’autre, les capitalistes qui profitent du travail des salarié-e-s pour s’enrichir.

Les appareils d’État. L’État a besoin d’outils pour dominer la population. Il y a, d’un côté, les appareils « répressifs », qui sont faits pour frapper, punir et enfermer : l’armée, la police, le tribunal, la prison ; et, de l’autre côté, il y a des appareils « idéologiques », qui sont faits pour qu’on apprenne tout ce que l’État veut de nous. L’école est par exemple un « appareil idéologique d’État » qui utilise tout le discours sur la méritocratie pour défendre la société actuelle et renforcer les inégalités

Albertine (février 2011)
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