La droite et le Medef à l’assaut de la Sécu




Pour Raffarin, tout est déjà enveloppé et pesé, il n’y a plus qu’à déposer le cadeau sur le plateau du Medef. Le premier ministre a annoncé le mois dernier que le gouvernement ferait voter une loi de privatisation partielle de l’assurance maladie au plus tard à l’été 2004. Un scénario similaire à celui qui a permis l’adoption du projet Fillon est prévu.

En décembre, le gouvernement rendra public son diagnostic « partagé » de l’assurance maladie. En janvier, il rencontrera les confédérations syndicales qui restent dans les mêmes dispositions que sur les retraites entre collaboration active (CFDT) et refus de la confrontation (CGT, FO). Et du reste aucune initiative syndicale d’envergure n’est envisagée avant avril. Les confédérations, loin de profiter des élections pour polariser l’attention, s’acheminent vers une trêve jusqu’au terme des élections régionales.

Au printemps, le gouvernement annoncera ses décisions pour la Sécu. Il a donc devant lui un boulevard et il le sait. Il dispose de surcroît d’un atout politique de taille : la défaite qu’il a infligée à l’ensemble des travailleur(se)s sur les retraites.

Pourtant, même s’il faut faire face à un véritable rouleau compresseur capitaliste, rien n’est encore joué dans le domaine de l’assurance maladie. On ne perd que les batailles qu’on ne mène pas... jusqu’au bout. La balle est donc dans le camp des travailleur(se)s, des chômeur(se)s et de leurs organisations.

Ce mois de décembre constitue encore un moment favorable pour mener à bien un véritable travail d’information, d’analyse et de propositions en ce qui concerne l’avenir de l’assurance maladie. Un travail sans lequel aucune mobilisation d’envergure n’est envisageable.

Après trois années d’équilibre des comptes de l’assurance maladie (de 1998 à 2001), la Sécurité sociale doit faire face à un déficit impressionnant (6 milliards d’euros en 2002 et vraisemblablement 10 milliards en 2003) [1].

Maîtrise comptable des dépenses : l’échec d’une politique

Depuis plus de 10 ans, tous les plans gouvernementaux présentés pour « sauver la Sécu » ont été dominés par l’obsession de la maîtrise comptable des dépenses. De Veil à Mattéi, en passant par Aubry et Juppé, tous les plans ont échoué. La politique de rationnement des soins et de réduction des lits d’hôpitaux, si elle a toujours permis un ralentissement de la consommation de médicaments et de la demande de soins dans un premier temps, n’a pas empêché celle-ci de croître dans un second temps. Sida, vieillissement de la population, accès des plus démuni(e)s aux soins avec la création de la Couverture médicale universelle (CMU) sont aussi au cœur de cette demande en expansion.

Droite comme gauche ont écarté, dans le même temps, toute réflexion pour augmenter de façon conséquente les recettes de l’assurance maladie. Depuis plus de 13 ans, elles ont eu recours à la fiscalisation croissante au détriment du prélèvement des cotisations ; ce qui a contribué à alourdir la contribution des salarié(e)s et à alléger celle des patrons, privant la Sécu d’une part importante de ses ressources. Les patrons ont ainsi bénéficié d’exonérations massives de cotisations sur les bas salaires. Le chômage de masse constitue également une explication, assurément la principale, à l’insuffisance des recettes.

Par ailleurs, en utilisant des méthodes tout à fait légales, l’État n’a cessé de détourner une partie importante de ses recettes fiscales (supertaxes sur le tabac et l’alcool, taxe sur l’industrie polluante, taxe sur les primes d’assurance auto) destinées à l’assurance maladie pour couvrir une partie de ses dépenses.

Ces détournements se montent tout de même à 20 milliards d’euros par an [2]. À ce prix là le « trou » de la Sécu a bon dos !

Réussites et dysfonctionnements

La crise actuelle du système de santé français est du reste révélatrice de ses atouts comme de ses limites.

Longtemps présenté comme le meilleur au monde, il a vu sa réputation sérieusement contestée à l’occasion de la canicule qui a laissé 15 000 personnes sur le carreau.

Cette hécatombe est le résultat d’une politique d’assèchement budgétaire, de rationnement des soins, de blocage des années durant des recrutements de personnels soignants et de la désorganisation des services qui en résulte. Mais aussi de la faiblesse des politiques d’éducation à la santé, du recul de la solidarité, de la montée de l’individualisme et de l’égoïsme érigés au rang de valeurs suprêmes par les libéraux.

Pourtant la réputation du système de santé français n’est pas complètement surfaite. La France est le deuxième pays au monde derrière le Japon pour l’espérance de vie des femmes. Elle affiche également un taux de mortalité infantile de 5 ‰. La taux de mortalité pour raisons cardio-vasculaires y est, et de loin, le plus bas de toute l’Union européenne.

Pour autant, les reproches que l’on peut formuler à l’endroit de notre système de santé sont nombreux et précis. Il est cher et coûteux. Il est insuffisamment centré sur le malade. Il recourt massivement au curatif, et mise trop faiblement sur la prévention. Sur ce dernier point, la France est un des pays de l’Union européenne qui compte le plus fort taux d’accidents du travail. Parmi ceux-ci, les accidents de trajets arrivent en tête. Point noir également en ce qui concerne le taux de suicide et les comportements à risque (tabac, alcool, toxicomanie). Parmi les dysfonctionnements, on ne peut que déplorer l’absence de coordination entre la médecine de ville et l’hôpital.

Le point le plus préoccupant reste toutefois la question des inégalités. Inégalités régionales en terme d’infrastructures, de personnels et de médecins que la politique de régionalisation et de privatisation ne peut qu’accroître. Inégalités sociales que l’instauration de la CMU ne saurait masquer. D’abord parce qu’une partie des personnes percevant des minimas sociaux en sont exclu(e)s. Ensuite parce que les bénéficiaires de la CMU doivent prendre à leur charge une partie de leurs soins dentaires et optiques. Des inégalités sociales qui ont de fortes incidences sur l’espérance de vie entre ouvrier(e)s et cadres.

Transformer la santé en marchandise

Le Medef et la droite ont bien compris tout le profit qu’il y avait à tirer d’une telle situation, et depuis plus d’un an, reviennent régulièrement à la charge pour en finir avec les dépenses de santé socialisées. L’un et l’autre s’efforcent d’appuyer là où ça fait mal (déficits, dysfonctionnement, inefficacité) tout en proposant des solutions pires que les tares qu’ils prétendent dénoncer.

Certes les menaces du patronat contre l’assurance maladie ne sont pas nouvelles. Ce qui est nouveau, c’est que grâce au gouvernement Raffarin, la privatisation partielle de l’assurance maladie soit enfin programmée. Dans ce domaine, les projets de la bourgeoisie sont extrêmement clairs. Il s’agit de passer d’une situation où les dépenses de santé socialisées s’élèvent à 82 % contre 18 % de dépenses privées à une parité de 50 %.

Le projet de privatisation partielle de la Sécu que Raffarin compte mener à bien constitue une véritable victoire pour le Medef, c’est le résultat d’années de lobbying intense de sa Fédération française des sociétés d’assurance, mais aussi d’un travail idéologique de fond mené sous l’impulsion de l’ancien patron de cette organisation, Denis Kessler.

Une lecture attentive des discours de ces derniers mois des Raffarin, Mattéi (ministre de la santé) et Barrot, président du groupe parlementaire UMP à l’Assemblée nationale permet de voir qu’ils reprennent souvent mot pour mot les documents de travail et rapports du Medef. Lorsqu’ils disent notamment qu’il faut dissocier ce qui relève de la société et ce qui relève de l’effort individuel. De cela découle la distinction entre gros risques qui doivent relever de la Sécu et risques moindres qui doivent relever des assurances privées.

Cette philosophie est celle qui inspire le rapport Chadelat remis à Mattéi en avril 2003 et qui dessine « l’architecture d’une nouvelle sécurité sociale » pour reprendre le titre du programme du Medef en matière d’assurance maladie. Ce rapport préconise, une assurance maladie à trois vitesses. Il recommande l’instauration d’une Assurance maladie obligatoire (AMO) qui constituerait un « panier de soins » englobant la prise en charge des pathologies les plus lourdes que les assurances privées ne veulent pas assurer. La CMU serait maintenue sur la base des soins définis par l’AMO.

Le deuxième niveau d’assurance est privé (assurance ou mutuelle) et s’intitulerait Assurance maladie complémentaire de base (AMCB). Les assuré(e)s bénéficieraient d’incitations fiscales (un impôt négatif du même tonneau que la prime pour l’emploi) pour y souscrire, mais seraient libres... de ne pas le faire.

Enfin, pour celles et ceux qui pourront soutenir un tel effort financier, la souscription d’une assurance surcomplémentaire permettra de s’assurer contre le risque non pris en charge par l’AMO et l’AMCB. Pour information Chadelat est un ancien grand commis du groupe AXA et un des pères du plan Juppé...

D’une telle refonte de l’assurance maladie, il résulterait une aggravation considérable des inégalités, un renforcement des assurances privées non seulement dans la couverture du risque, mais aussi dans la définition des prestations, ainsi que dans les missions même de la médecine de ville comme de celle des hôpitaux.

On passerait d’un système basé sur le droit (imparfait, limité et discutable) à la santé à un système où ce droit aurait totalement disparu et serait remplacé par un contrat, à l’image du contrat qui lierait les salarié(e)s d’une entreprise à un prestataire de soins. La prise en charge des soins dépendant des assurances privées, celles-ci auront tout le pouvoir pour constituer des filières de soins associant médecine de ville et soins hospitaliers.

L’assuré perdra ainsi la liberté de faire appel au praticien et à l’établissement de son choix. Il serait totalement dépendant du marché et de l’entreprise qui seuls permettraient son intégration. Une philosophie du Medef qui illustre bien ses conceptions totalitaires relevant d’un véritable fascisme de marché, au sens où toutes les énergies de l’individus et toutes ses ressources doivent être orientées et mobilisées par et pour l’entreprise [3].

Le renard aurait alors totalement investi le poulailler et il n’aurait plus qu’à se servir.

Par ailleurs, le gouvernement compte appliquer dès 2004 le plan hôpital 2007 destiné à dynamiter l’hôpital public. Commandé par Mattéi directement au patronat (Fédération de l’hospitalisation privée), ce plan prévoit la suppression de la carte sanitaire, ce qui dispenserait l’État de mettre à disposition de la population un service public hospitalier, permettrait d’accélérer la fusion des établissements, favoriserait l’implantation d’établissements privés dans les zones jugées les plus rentables...

Se réapproprier la santé et l’assurance maladie

La Sécurité sociale a été créée en 1945 dans un contexte de reconstruction d’un pays qui manquait de tout. Malgré la vision catastrophiste de la droite et du Medef, c’est aujourd’hui loin d’être le cas et les richesses de l’économie française permettent largement d’asseoir un système de dépenses socialisées.

En créant la Sécu, les forces issues de la Résistance estimaient que la société avait une dette à l’égard des individus et que cela devait leur donner des droits. Il s’agissait d’abord de réduire les effets du « risque maladie » pour le salarié(e) en lui garantissant un revenu de remplacement et un accès aux soins.

Éviter que les conséquences de la maladie ne renforcent la subordination du/de la salarié(e) à l’égard de son employeur et ne l’amènent à accepter n’importe quel travail à n’importe quelle rémunération dans le but d’obtenir une couverture maladie de l’employeur. Enfin le législateur instaurait la participation des représentant(e)s syndicaux des salarié(e)s dans la gestion des caisses de Sécu.

Près de cinquante ans plus tard, ce sont des principes qu’il faut défendre mais qu’il faut articuler avec un accès au soin pour toutes et tous quel que soit le rapport au travail (stable, précaire, sans emploi, résident(e)s étranger(e)s) et le droit à une couverture de soin intégrale pour toutes et tous de la naissance à la mort.

L’instauration d’un tel droit passe par une réappropriation sociale de la protection sociale par les travailleur(se)s, mais aussi par des transformations profondes de notre système de santé. Cela implique une rupture tant avec la marchandisation qu’avec l’étatisation de la santé. Ce qui signifie que l’essentiel des ressources doivent reposer sur la production de richesses et donc sur le prélèvement d’une cotisation dont le patronat doit payer la plus forte part.

Il faut donc pour cela remettre à plat l’assiette des cotisations patronales. Les travailleur(se)s doivent pouvoir élire des représentant(e)s contrôlables et révocables pour gérer les caisses de sécu. C’est le droit qui doit primer sur le contrat, l’intérêt de tous les travailleur(se)s et des privé(e)s d’emploi sur celui d’une minorité parasitaire.

Si la définition du droit à la santé est essentiel et si celui de son financement doit faire l’objet de clarifications, des réorientations profondes des politiques de santé sont nécessaires.

Elles passent notamment par un renforcement de la médecine préventive à tous les moments de la vie (petite enfance, médecine scolaire, médecine du travail, suivi des personnes âgées) et donc de l’accès précoce aux soins. Qui dit prévention, dit suivi en terme de soin, mais aussi, on l’oublie trop souvent, éducation au risque maladie et à la santé, formation au secourisme…

Il est également nécessaire de revoir le statut des industries pharmaceutiques qui doivent relever de l’utilité sociale et du service public. Cela implique qu’elles échappent à la mainmise actuelle du marché et du profit et qu’elles soient socialisées.

Il faut également centrer davantage la médecine sur le malade et développer la complémentarité entre les différents acteurs de la santé (médecine de ville et hôpital), développer les centres de santé qui permettent une véritable coopération entre médecine générale et spécialistes, trouver quand cela est possible des alternatives à l’hospitalisation avec le suivi du patient à son domicile.

En rompant avec la tyrannie du marché et du capital, une autre santé et une autre protection sociale sont possibles.

L.E.

[1Cet article doit beaucoup aux Notes de la Fondation Copernic, Main basse sur l’assurance maladie, Syllepse, 2003, 132 pages, 7 euros.

[2Le Canard Enchaîné du 5 novembre 2003.

[3Sur ce point, on se réfèrera utilement à Medef, un projet de société, par Thierry Renard et Voltairine de Cleyre, Syllepse, 2001, 126 pages, 8 euros.

 
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