Les classiques de la subversion : Studs Terkel, Race. Histoires orales d’une obsession américaine, 2010




« Jamais je n’arriverai au stade où je pourrai m’asseoir à côté d’un Noir sans avoir conscience qu’il est Noir »
Studs Terkel, incroyable collectionneur d’histoires, s’efface humblement devant ces dizaines de témoignages, durs, émouvants, hallucinants, parfois pétris de contradictions. Pluralité de voix anonymes qui font entendre combien la société américaine est structurée par les clivages raciaux : l’appréhension de l’autre passe par la couleur de la peau.

Les mots recueillis disent les ruptures profondes autant que mouvantes, depuis l’aqmé de la ségrégation raciale des années1940-50 jusqu’au mouvement pour les droits civiques, pour aboutir à la régression de l’ère Reagan et au rejet de l’Affirmative Action : « Reagan est arrivé au pouvoir à cause de la question raciale...Dans l’esprit des Blancs, aide sociale signifie Noir. »

Paroles croisées allant du Noir américain au membre du Ku Klux Klan, de l’immigré sicilien à l’ouvrier texan, Terkel brosse le portrait obsessionnel d’une Amérique malade de sa race, traversée à la fois par le racisme et son déni. Les propos des interviewés, blancs ou noirs déconstruisent le discours qui fait du racisme une question de craintes irrationnelles ancrées dans les strates les plus rétrogrades de la population. Ils montrent clairement que l’oppression raciale est inhérente au fonctionnement même du système capitaliste. Elle existe de façon institutionnelle, mise en œuvre par les détenteurs du pouvoir dans les mécanismes sociaux.

C’est cette articulation entre conscience de race et conscience de classe qui fait la réalité de la condition noire, totalement liée à sa position en tant que classe sociale dans l’Amérique post-esclavagiste.

Même quand Studs Terkel donne la parole à des hispaniques ou des asiatiques, c’est toujours autour de la relation entre Blancs et Noirs que s’invite la question raciale. Un Japonais-Américain explique le processus d’acculturation auquel il a du se soumettre : adopter les manières, la langue et les préjugés de la culture dominante. L’assimilation à cette société suppose l’intégration du racisme qui la sous-tend.

Stud Terkel écoute et transmet. C’est une plongée vertigineuse au cœur de la logique raciste par celles et ceux qui la subissent mais aussi celles et ceux qui la pratiquent.

Ni manifeste antiraciste, ni démonstration analytique, l’accumulation de ces histoires ordinaires devient un instrument essentiel de réflexion, à l’heure où de ce côté-ci de l’Atlantique, l’idéologie perverse d’un racisme anti-blanc tente de gagner en légitimité.

Gisèle (AL Paris Nord-Est )

Studs Terkel, Race. Histoires orales d’une obsession américaine, Editions Amsterdam, 2010, 560 p, 23,40 euros

 
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