Les classiques de la subversion : Jack London, « Martin Eden »




L’histoire de Martin Eden, écrite par Jack London et parue en 1909, est largement autobiographique puisque Jack London se transpose en grande partie dans le personnage. Comme lui, il est issu du prolétariat, a beaucoup voyagé à travers son métier de marin, et est également animé d’une profonde curiosité, sur le monde qui l’entoure et la raison des choses. Cela l’amènera à la lecture et, de fil en aiguille, à la philosophie, à l’art et à la politique (Jack London était un militant socialiste), ainsi que bien sûr, à la littérature.

Martin Eden est donc un matelot costaud, habitué à la baston et à la boisson, ainsi qu’à la drague, où il est très à l’aise, expert en psychologie féminine et plutôt beau gosse. Sa vie est bouleversée par un événement qui va à jamais le changer : il sauve un bourgeois qui menaçait de se faire tabasser par des voyous près d’un port. Ce dernier, reconnaissant, l’invite à prendre un repas chez lui dans sa famille, et c’est la rencontre de deux mondes, qui se télescopent de plein fouet. Lui vient d’un milieu rude et le voilà qui tombe dans un milieu raffiné, cultivé, ou personne ne hausse le ton et débat calmement d’art, de politique, et où la vulgarité est absente. On se rend compte à la lecture de ce roman que les frontières entre classes sont beaucoup plus fortes à l’époque qu’aujourd’hui en termes de capital culturel, de langage et de manière de vivre.

Plus que tout, c’est la fille de la famille, de trois ans son aîné, qui va provoquer un choc en lui. Il en tombe profondément amoureux et va tout mettre en œuvre pour conquérir son cœur. C’est leur relation qui est le sujet de ce livre, une relation amoureuse.

Par peur du ridicule et par défi, mais surtout par amour, sentiment nouveau pour lui, Martin, transporté et surmotivé pour séduire Ruth, va déplacer des murailles. Habitué à l’effort par sa condition ouvrière et travailleur de nature, il va faire en sorte de s’instruire, d’enrichir son vocabulaire, et Ruth va l’aider dans cet apprentissage.

Cette dernière, de par sa condition de bourgeoise, n’a jamais travaillé et ne connait en fait rien aux choses concrètes de la vie. Elle se montre néanmoins avenante et découvre stupéfaite un jour que ce qu’elle pensait éprouver pour lui jusqu’alors comme étant de la pitié, se révèle en réalité être de l’amour.

Complètement maladroit à ses débuts dans ce nouvel univers codifié et propret, Martin, prodige et passionné, dévore les livres, enrichit ses connaissances, découvre ce territoire vierge pour lui qui est celui de la connaissance et de la réflexion désintéressée, et passe toutes ses journées totalement englouti dans la lecture. Bientôt il est en mesure de comprendre les conversations des bourgeois et se demande comment il a pu vivre de manière si primaire dans son passé ouvrier. Un jour c’est la révélation : il deviendra à son tour écrivain ! Mais ce n’est pas là le parcours que souhaitait son amie Ruth, qui espérer le voir devenir juriste, pistonné par son père.

L’intérêt de ce livre, c’est la réalité du discours : le récit tourne beaucoup autour de l’argent, aucun idéalisme fumeux car Martin est constamment en galère financière. La survie et le salariat, ainsi que le labeur, la besogne pour gagner de l’argent et donc de la liberté, pour écrire, pour s’instruire, pour s’élever, marque chaque page de ce superbe roman de littérature prolétarienne, qui est vraiment un must.

François (Brest)

 
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