Lire : Martinet, « Culture prolétarienne »




Avant 1914, le romancier et poète Marcel Martinet (1887-1944) appartient à l’avant-garde politique et artistique regroupée autour de la revue L’Effort, qui considère que l’art n’est « plus une annexe de la politique [mais] l’un des outils de la transformation sociale » dans une société occidentale entrée en décadence que seul le mouvement ouvrier peut régénérer – le prolétariat sauvant la civilisation en se sauvant lui-même.

Lors de la Première Guerre mondiale, contrairement à beaucoup de pacifistes qui se rallieront à l’union sacrée de « ceux qui sont pour les nations et la guerre entre les nations » –, il reste de la poignée de « ceux qui ont pour but l’émancipation de l’homme par la guerre des classes ». Il s’engage alors sans retour dans le syndicalisme révolutionnaire du groupe qui édite La Vie ouvrière autour de Pierre Monatte et Alfred Rosmer.

Durant ces années, il participe aux différentes associations et revues qui s’opposent à la guerre et au bourrage de crâne nationaliste. Après 1918, il participe à la relance de La Vie ouvrière et se retrouve avec quelques amis à l’initiative d’un journal, La Plèbe, et d’une revue, Les Cahiers du travail, qui publie notamment la première traduction des Lettres de la prison de Rosa Luxemburg.

Convaincu brièvement par la Révolution russe, nommé premier directeur littéraire de L’Humanité, il s’éloigne du PCF en 1924 pour s’opposer au stalinisme, lutter contre le fascisme renaissant et le colonialisme en Indochine. Culture prolétarienne, éditée en 1935, rassemble ses pensées d’un quart de siècle sur le sujet dominant son œuvre de militant : une libération du prolétariat par lui-même qui s’enracinerait dans la culture. S’y ajoute ses commentaires des Réflexions sur l’Education d’Albert Thierry, un auteur qu’il admirait. Culture prolétarienne, sans apporter de solutions miracles, définit des buts "d’une extrême modestie et ambition extrême", signale les pistes à suivre et les écueils à éviter. L’auteur qui, à vingt ans, alors qu’il est étudiant à l’École normale supérieure, rêve d’aller vivre avec les jeunes ouvriers de la rue Mouffetard « pour étudier le monde avec eux et partir avec eux à la conquête du monde » refusera toujours de sortir du peuple pour parvenir à titre individuel. Le poète des Temps maudits craint d’y perdre sa conscience de classe et d’abandonner les siens.

Avec l’écrivain Jean Guéhenno, il pense que « la culture n’est pas un présent que l’on puisse nous faire. Elle est un merveilleux domaine à conquérir ». Dans la société de classe qu’il refuse, l’instruction truquée concédée au peuple est conçue en fonction des besoins de la bourgeoisie, dans le sens de la conservation de ses privilèges, pour imposer sa vision dominatrice...

Pas plus que les femmes, le prolétaire n’a « la science de son malheur ». En digne continuateur de Fernand Pelloutier, Marcel Martinet juge essentiel que les ouvriers prennent conscience qu’ils sont porteurs d’une culture qui n’est pas celle des maîtres. Avant de s’affronter à la culture bourgeoise pour en tirer "les aliments nécessaires à leurs luttes, ils doivent acquérir une connaissance approfondie du sens, des effets de leur travail, et connaître leur propre histoire". Cette science ne devra jamais être déversée d’en haut par ceux qui savent sur ceux d’en bas. Cette éducation sans états-majors « implique leurs suppressions et la transformation radicale de l’idée même de chefs ». Une élite ouvrière de militants instruira ses camarades dans une entraide fraternelle et mutuelle.

L’individualisme ambiant et le rôle anodin du syndicalisme institutionnel actuel peuvent faire paraître, au premier abord, ces idées désuètes. Mais comme Martinet l’écrivait : « Quand l’homme découragé gémit qu’il n’y a plus rien à faire, c’est toujours que tout reste à faire ou à recommencer et c’est le moment de s’y coller sans délai ». La mainmise du capitalisme sur la planète rend plus que jamais d’actualité l’appel de Martinet à faire vivre, dans une perspective révolutionnaire, des outils culturels créés par les intéressés eux-mêmes pour leur propre émancipation.

Pour la classe

Signalons enfin que, parallèlement à cette nouvelle édition de Culture prolétarienne, plusieurs revues ont consacré des dossiers à Marcel Martinet, remettant à jour quelques-uns de ses articles, malheureusement tombés dans l’oubli. Ainsi celui de la « revue d’histoire populaire » Gavroche (n° 134, mars-avril 2004) – « Marcel Martinet au service de la classe ouvrière – a publié son article de 1926, « Contre le courant », qui définit parfaitement sa position de résistance et de refus devant les dérives d’une époque marquée par l’échec de la révolution russe et des insurrections européennes de l’après-guerre.

Cet article est suivi par le bel hommage de Pierre Monatte qui, en 1936, soulignait que ce qui guidait son action c’était « le besoin de ne pas se duper soi-même pour ne pas duper les autres », avant de conclure sur l’éthique militante de son camarade : « Il ne crie pas au triomphe quand c’est encore la défaite. Il n’accepte pas de s’asseoir à la table des puissants pour chanter leur gloire. Il reste fidèle à ses Temps maudits. C’est le meilleur moyen, et peut-être le seul, de préparer le triomphe véritable de nos idées et de notre classe. »

Agone (n° 31132,2004) a également publié un substantiel dossier, « Marcel Martinet, contre le courant », reprenant sa brochure Civilisation française en Indochine, sa mise au point avec un Romain Rolland rallié sans conditions au stalinisme et sa réaction indignée à l’annonce du procès de Moscou d’août 1936. Enfin, le « bulletin de critique bibliographique » A Contretemps (n° 19, mars 2005) a réédité son étude, « Le chef contre l’homme – nécessité d’un nouvel individualisme », paru dans Esprit en 1934, qui analyse de façon novatrice les processus amenant les dictateurs et les systèmes hiérarchiques.

HF

  • Marcel Martinet, Culture prolétarienne, Marseille, Agone, coll. « Mémoires sociales », 2004, 186 p., 16 euros.
 
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