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D’abord le trait, sombre, tranchant, précis. Hyperréalisme des portraits dont les regards fiévreux nous poursuivent : Ferhat Abbas, Emir Khaled, Alphonse Raffi...

Bande dessinée, roman graphique, livre d’histoire, manifeste politique, El Djazaïr, c’est tout ça, et bien plus encore.

Saisissant, sans concession. Un travail intransigeant. Dérangeant. Loin d’être un énième ouvrage sur la guerre d’Algérie, El Djazaïr, à l’origine commande du gouvernement algérien, est la réédition et la traduction, 34 ans après, d’un travail en passe de devenir une référence quasi cinématographique.

Luis Garcia, communiste antifranquiste, et ses camarades ont su s’éloigner des contraintes du genre pour s’en réapproprier la narration et le dessin.
Le récit dit la violence dominatrice du colonisateur, du tortionnaire, de l’occupant. Barbarie conquérante, implacable, destructrice, éradicatrice, satisfaite, faite de racisme, de bassesses ordinaires, d’arrogance, de mépris, de cruauté, de suffisance. En face, la résistance, dure, âpre, inéluctable.
Évocation de chapitres odieux confortablement occultés : Sétif et Guelma, les fours à chaux...

Mémoire malmenée, bousculée, restituée dans toute sa crudité brûlante. Loin des clichés unanimistes qui se contentent de renvoyer dos à dos les protagonistes dans l’injonction à une amnésie lénifiante. Colère sourde qui monte jusqu’à l’explosion, toute entière contenue dans la scène finale.
Loin des clichés consensuels et apaisés qui font taire la souffrance toujours à vif, El Djazaïr propose une authentique réflexion qui assume ses insuffisances et ses contradictions pour affronter l’horreur du fait colonial. Le livre donne à voir la lutte d’un peuple qui refuse la soumission, l’oppression, qui se bat pour sa liberté et sa dignité.

Il y a urgence à (re)découvrir cet ouvrage en ces temps obscurs de révisionnisme colonial et de « nostalgérie » décomplexée, pour déconstruire une mémoire officielle falsificatrice, constellée de glorieux faits d’armes et autres missions civilisatrices.

Contre une réécriture officielle de l’Histoire, El Djazaïr impose l’évidence de ce qu’a été cette guerre qui ne se nomme pas.

Gisèle Felhendler (AL Paris Nord-Est)

 Omar, Luis Garcia, F.H.Cava, Adolfo Usero, El Djazaïr, Éditions Ici Même et Librairie Envie de Lire, 42 p., 15 euros.

 
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