Livre : Battisti, « Ma cavale »




En 2004, Cesare Battisti était arrêté puis relaché (grâce à une forte mobilisation militante), suite à la décision de la France de l’extrader vers l’Italie, où une peine d’emprisonnement à perpétuité l’attend. Depuis, Cesare a choisi de partir en cavale, d’échapper à cette justice franco-italienne revancharde et aveugle, mais aussi de fuir certains de ses démons qui le hantent.

Ce livre, écrit par Battisti et qui nous parvient de son lieu de cavale, est le premier témoignage de cet homme traqué depuis deux ans. Dans la première partie, il revient sur sa jeunesse militante, durant les « années de plomb » de l’Italie. Prise en étau entre un Etat italien autoritaire qui choisit la carte de l’extrême droite et le poids tutélaire de la gauche stalinienne, cette jeunesse radicale oscille entre la mouvance autonome et la lutte armée dans certains groupes phares (les Prolétaires armés pour le communisme rejoints par Battisti).

L’auteur porte un regard lucide sur cette expérience, pointant les erreurs politiques commises alors. Choisissant de rompre avec son engagement armé, Battisti va le payer au prix fort. Lorsque les derniers militants seront arrêtés par les autorités italiennes, celles-ci offriront des diminutions de peine en échange de dénonciations. C’est ainsi que Cesare va être condamné en son absence à perpétuité pour deux meurtres commis pendant les années 70 sur la base des déclarations farfelues, sans aucun fondement d’un ex-camarade repenti, dont la liberté dépendait de la charge qu’il ferait passer sur le dos des autres. Ledit repenti s’est ensuite retracté quant à ses déclarations, en vain.

Puis c’est la France, les années Mitterrand et cette promesse de laisser tranquilles les anciens militants qui ont choisi de poser les armes. Comme beaucoup d’entre eux, Battisti devient auteur (talentueux) de polars, vivant tranquillement sa vie de concierge parisien.

En 2004, la France revient sur sa décision et choisit d’accéder à la demande de l’Italie : on extrade les réfugiés italiens, on crédibilise la parodie des procès italiens qui ont jugé par contumace ! La contrepartie italienne : une commande pour Airbus, l’accord du TGV Lyon-Turin et la facilitation pour l’implantation de l’EPR en France. Derrière la vie d’un homme, des capitalistes qui se frottent les mains. Face à cette machine judiciaire lancée à toute allure, Cesare a choisi de ne pas mourir dans les geôles italiennes. Il a pris la douloureuse décision de « tailler la route », laissant derrière famille, amis et soutiens.

Cette cavale à travers les pays, cette solitude poignante, c’est la deuxième partie de ce livre. La peur qui hante chaque parole prononcée, chaque déplacement, la concentration pour jouer un personnage que l’on n’est pas, c’est désormais le quotidien de Cesare. Seule la lecture de ce récit de cavale permet de saisir le désarroi et l’incompréhension qui occupent son esprit. Au fil des pages, la colère et la rage nous submergent, face à tant de barbarie contre un homme. La postface signée Fred Vargas est de la même teneur, et l’on semble, à l’heure actuelle, totalement impuissant. Jusqu’à ce que la vérité éclate.

Antoine (AL Agen)

  • Cesare Battisti, Ma Cavale, Grasset, 2006
 
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