Marche pour la justice et la dignité : Après le succès, continuer à avancer




Dimanche 19 mars a eu lieu la Marche pour la justice et la dignité à l’appel de familles de victimes de violences policières. D’autres mots d’ordre s’y greffaient : contre le racisme, contre la hogra, contre la chasse aux immigré.es… Si des organisations très diverses s’y sont jointes, elle permet aussi de tracer les contours de l’antiracisme politique et de ses stratégies.

L’appel des familles de Lahoucine Ait Omghar, d’Amine Bentounsi, de Hocine Bouras, d’Abdoulaye Camara, de Lamine Dieng, Wissam El Yamni, d’Amadou Koumé, de Mourad Touat, d’Ali Ziri, de Jean-Pierre Ferrara, de Rémi Fraisse, de Babacar Gueye, de Théo Luhaka et de Vital Michalon (tous victimes de violences policières) a réuni 10 000 à 15 000 personnes à Paris le dimanche 19 mars, et il y en avait sans doute bien plus le soir même sur la place de la République pour le concert qui a suivi. Plusieurs cars ont été affrétés depuis le Nord, le Loiret, la Bretagne, l’Alsace, Lyon, et d’autres régions pour faciliter la venue de toutes et tous. Ce succès montre qu’une conscience se développe, non seulement autour des questions de violences policières, mais aussi sur le racisme d’État et le soutien aux migrantes et migrants. En bref, l’antiracisme politique s’est fait entendre.

Une stratégie de convergence

La stratégie des organisatrices et organisateurs était claire : opérer une convergence entre les composantes du mouvement social sur la question des violences policières. C’est ainsi que, non seulement des collectifs de soutien aux familles de victimes, des associations antiracistes, et des organisations de migrants et migrantes ont signé l’appel des familles, mais également nombre d’associations, syndicats et organisations politiques, parfois sur leurs propres bases.

(c) volté

Omar Slaouti, militant antiraciste du collectif « Vérité et justice pour Ali Ziri » et porte-parole de la marche, l’explique dans un entretien au magazine en ligne Contretemps [1] : « Ce qui est nouveau, c’est le regard porté par certains manifestants sur les us et coutumes des flics […] Certains, entre deux projectiles de LBD, ont réalisé à quel point les quartiers populaires ont été le laboratoire et le creuset d’une légitimation de la violence ­d’État. Ce qui est nouveau, c’est du même coup la rencontre de deux fronts de résistance face aux violences policières, celui construit dans les quartiers populaires et celui qui émane de ces mobilisations sociales. » Difficile de savoir si ces deux fronts se rencontrent vraiment. Les réactions de soutien à Théo Luhaka violenté et violé par la police semblaient avoir montré qu’une telle convergence était possible [2], mais pour le 19 mars, tout était à construire.

C’est également dans cet objectif que la famille de Rémi Fraisse [3] a été invitée à se joindre à l’appel. Il s’agit de montrer que le problème des violences policières peut concerner tout le monde, même si, comme Omar Slaouti ajoute dans la même interview : « Le mot d’ordre “Tout le monde déteste la police !”, scandé à la fois dans les manifs loi travail et lors de la dernière manifestation pour Adama Traoré à Paris, traduit une convergence possible et je pense souhaitable. Pour autant, les mécanismes de cette violence d’État restent différents. Si jonction il y a, il ne peut y avoir fusion. »

carré de tête en hommage aux victimes de la police (c) Gazette Debout

Une distinction doit clairement être faite entre les violences commises sur des personnes de quartiers populaires (en général pauvres et non blanches), dans ces quartiers, et celles commises lors de diverses luttes. Les deux sont inacceptables et révèlent la violence de l’État, utilisée dans le premier cas sur des victimes pour ce qu’elles sont, et dans le deuxième pour ce qu’elles font. Cette distinction a été prise en compte dans l’organisation de la marche : si le carré de tête était logiquement occupé par les familles ayant signé l’appel, venaient ensuite les collectifs de soutien à ces familles, puis les migrantes, migrants et sans-papiers ainsi que les associations de l’immigration. C’est seulement ensuite que venaient les autres associations, syndicats, organisations politiques, et les autonomes.

Chercher une telle convergence est bénéfique à plus d’un titre : pour donner de la visibilité à l’événement bien sûr, et de la force aux familles qui se battent pour certaines encore aujourd’hui face à la justice. Un autre bénéfice qu’il faut énoncer est celui d’initier le débat dans les organisations de soutien. C’est ainsi que des militantes et militants syndicalistes ont publié un appel titré « Syndicalistes, nous marcherons le 19 mars ». Alors que la CGT avait signé avec la LDH, le Mrap et la FSU un appel différent de celui des familles, reconnaissant à la police un « métier difficile » et d’en « payer chèrement le prix », le texte de ces syndicalistes (y compris CGT) permet d’exposer une vision nettement plus contrastée sur les violences policières : « Ce ne sont pas des “dérapages”, des “bavures”, mais bien la conséquence d’un racisme systématisé et banalisé », et le débat peut traverser ainsi telle ou telle organisation sur des bases claires, et la pousser à prendre des positions.

Le choix a semble-t-il été fait par l’organisation de la marche de ne pas commenter les appels réalisés par certaines organisations sur leurs propres bases, parfois éloignées, comme Lutte ouvrière ou encore le Parti de gauche qui en profite pour parler du programme de Mélenchon. Il y a sans aucun doute de l’opportunisme ici, mais si tout le monde a voulu y aller de sa signature, de son texte, cela marque que cette date du 19 mars a été un passage incontournable en cette période où tant d’yeux sont plus tournés vers le choix ou le non-choix d’un bulletin de vote.

Cortège de fin pour les autonomes - (c) Gazette Debout

Où étaient les quartiers populaires ?

Cette ouverture a fait l’objet de critiques, et l’on peut en parler sans faire le jeu du Monde qui la veille de la marche – et alors qu’il n’en avait à peu près pas parlé avant – publiait un article sur les dissensions du mouvement antiraciste. Certaines de ces critiques, émanant de militants et militantes de quartiers populaires, dessinent une gêne, une opposition, une divergence politique même, qui pourrait s’accentuer dans les prochaines années.

Un texte, intitulé « Ils ont commencé indigènes, ils sont maintenant indigestes, ils finiront indignes » publié peu avant la marche sur le blog Quartiers libres explique ainsi que « voir dans la présence de cette gauche une victoire politique et la revendiquer comme telle résulte d’un aveuglement politique ». Le texte reproche également aux organisateurs et organisatrices – et surtout, en fait, au Parti des indigènes de la République – de privilégier la communication facile, à grands coups de témoignages de stars du hip-hop, plutôt qu’un travail de fond dans les quartiers populaires. Si l’on peut regretter que cette critique (qui n’est pas isolée) arrive si tardivement, on a pu constater lors de la marche que les cortèges semblaient très militants. Entre flexibilité du positionnement idéologique et manque de travail de terrain, les arguments s’entendent donc.

La Marche pour la justice et la dignité fut quoiqu’il en soit un succès, mais qui doit permettre de continuer à construire le mouvement antiraciste. On ne peut que se réjouir, au moins, que ce combat soit aujourd’hui porté par les principaux et principales concerné.es, et non par des satellites des partis de gouvernement comme SOS Racisme.

Adèle (AL Montreuil)

[1« Il est temps de marcher avec notre boussole politique – Entretien avec Omar Slaouti », sur www.contretemps.eu.

[2Voir l’article qu’Alternative libertaire avait consacré au rassemblement du 11 février à Bobigny (93) : « Manif pour Théo à Bobigny : un autre récit », sur www.alternativelibertaire.org.

[3Rémi Fraisse est un militant écologiste tué par la police lors d’une manifestation le 26 octobre 2014.

 
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