Masculinisme : Le bras armé du patriarcat




On a beaucoup entendu parler du coup d’éclat d’un certain M. Charnay monté sur une grue à Nantes et bientôt imité par quelques autres. Derrière ce mode d’action se tiennent un mouvement et une idéologie antiféministes qui ne disent pas leur nom. Explications.

Derrière le très médiatisé père exigeant un droit de visite pour son enfant, les « papas » mobilisés se présentent comme les porte-parole d’associations pleines de bons sentiments et dénonçant une institution judiciaire anti-pères, hostile aux hommes. Mais derrière ce geste d’apparence « égalitaire », la réalité était plus sombre, et plus politique : des pères condamnés pour violences contre la mère ou l’enfant, des discours qui tournent assez vite à la misogynie, un mode d’action « estampillé » : on a eu affaire à une nouvelle offensive masculiniste ! Ce mouvement, pas très connu en France, y est cependant grandissant. Plus ancien et actif au Québec (voir l’interview de Mélissa Blais), il a su montrer sa nocivité.

Le terme de « masculinisme » a initialement été utilisé au moment de la deuxième vague féministe, dans les années 1970. Certains souhaitaient s’émanciper d’une socialisation contraignant les hommes à adopter les rôles traditionnels associés au « masculin » : virilité, contrôle de la parole dans l’espace public, force, etc. Ce courant développe au départ une critique de l’influence sur les hommes du schéma patriarcal, du virilisme et de l’homophobie, d’une manière qui est plutôt progressiste et favorable au féminisme.

Un antisexisme détourné

Mais son analyse se veut plus antisexiste que féministe, et tend sans forcément le vouloir à mettre femmes et hommes à égalité face à un sexisme général, avec une ambiguïté et un risque de récupération par des forces anti féministes, qui ne s’est, hélas, pas fait attendre... C’est ainsi dans les années 1980, d’abord au Québec, que le terme de « masculinisme » est repris et totalement retourné par des individus et groupes antiféministes, s’attaquant aux droits sociaux des femmes acquis depuis peu.

Un lobby patriarcal et antiféministe

Le masculinisme est un mouvement social plus ou moins diffus : psychologues, sexologues, universitaires, politiques, intellectuels médiatiques, mais aussi des individus et groupes actifs dans des réseaux d’aide psychologique aux hommes, et surtout dans les « groupes de pères » séparés ou divorcés.

Ce mouvement déploie un discours misogyne, antiféministe, et conteste la plupart des droits acquis par les luttes féministes, pour conserver ou renforcer les privilèges masculins et la structure patriarcale de la société. C’est pourquoi il vise très concrètement le terrain de la famille, en faisant pression pour faire baisser ou supprimer les pensions alimentaires, instituer une garde partagée sans condition, ou supprimer le droit des femmes à divorcer. Mais il conteste aussi le droit à la contraception, à l’avortement, ainsi que la mixité à l’école...

L’action des masculinistes se déploie principalement sur internet, dans des blogs et sites, mais aussi dans des actions spectaculaires. En général il s’agit de l’escalade de croix, ponts ou grues pour réclamer des « droits pour les pères » (ainsi des actions des fathers for justice au Québec). Le harcèlement judiciaire sur les femmes divorcées ou victimes de violences, ainsi que les menaces sur les féministes sont également récurrents.
Ainsi, même s’il paraît encore minoritaire, le mouvement masculiniste n’est pas à prendre à la légère. En décembre 1989, Marc Lépine a tiré sur quatorze étudiantes de l’école polytechnique de Montréal, car elles étaient des femmes et n’avaient selon lui pas leur place dans cette école. Avant de se tuer lui-même il a laissé une lettre expliquant son acte : il a tiré sur ces femmes car il haïssait les féministes.

Storytelling

Pour appuyer ses revendications, le masculinisme construit tout une série de mythes, qu’on peut ranger en trois groupes.

La crise de la « masculinité » : la civilisation occidentale subirait une féminisation généralisée, entraînant une véritable crise de civilisation, désastreuse en particulier pour les hommes. Jadis dominants, ils seraient devenus les dominés. Une « identité masculine » naturalisée serait ainsi attaquée, infériorisée. Les hommes seraient ainsi « perdus », en perte de repères. La faute bien sûr aux féministes, désignées comme « anti-hommes ».

Les droits des pères bafoués : la justice serait devenue pro-femmes et anti-hommes, et favoriserait systématiquement les femmes en leur accordant le droit de garde des enfants en cas de séparation, niant le « droit des pères ». En réalité, le partage des enfants se fait dans la grande majorité des cas en faveur des mères, mais à l’amiable, et la justice n’y est pour rien. Par contre, ce partage inégal témoigne de l’imprégnation, dans la société, de schémas patriarcaux traditionnels : les femmes sur-investissent leur rôle de parent, et les hommes le sous-investissent.
Autre gadget inventé de toute pièce par un psy masculiniste pour aider la « cause des pères » : le « Syndrome d’aliénation parentale » (SAP), ensemble de troubles que subirait l’enfant conditionné à haïr son père lorsqu’il est sous la garde de sa mère.

Les violences faites aux hommes : les hommes se suicideraient plus que les femmes à cause de cette fameuse « crise de la masculinité » ou bien des divorces, les petits garçons subiraient la violence d’un système scolaire féminisé et castrateur, les hommes subiraient autant que les femmes les violences physiques. Les violences faites aux femmes, surestimées, ne seraient le fait que de certains individus à la psychologie louche, et non le fruit d’un système de domination.
Il va de soi que ces mythes sont en contradiction totale avec toutes les études scientifiques sur ces sujets.

En France

Le mouvement masculiniste a ses représentants médiatiques au pays d’Eric Zemmour. En premier lieu on peut pointer les organisations de défense des pères séparés. La plus connue est SOS Papa, mais on connaît aussi Les Papas = les Mamans, Le Mouvement de la condition paternelle, le Nouveau mouvement de la condition paternelle, et SOS Divorce.

Le discours masculiniste est aussi porté par des personnages médiatiques. Principalement Zemmour, pour qui « Le féminisme porte en lui, comme tous les mots en « -isme », un totalitarisme ». Citons aussi Alain Soral, président du groupuscule d’extrême droite Égalité et Réconciliation : « Contrairement à l’homme dont le corps plus musculeux l’oriente naturellement vers l’action, le corps de la femme […] est d’abord conçu pour attirer le mâle dans le but de le pousser à la procréation… ». De sensibilité masculiniste, l’écrivain Michel Houellebecq fait tenir des propos antiféministes à ses personnages et dénonce la « misère sexuelle », en l’attribuant au féminisme. Enfin Marcela Iacub a clairement montré son appui au masculinisme en propageant les mythes des fausses allégations de femmes victimes de violences, du SAP, de la sur-criminalisation des crimes sexuels.

Le masculinisme peut être considéré comme une idéologie de combat du patriarcat, idéologie d’autant plus dangereuse qu’elle est structurée et se cache souvent derrière une façade égalitariste (voir ci-dessous). La vigilance féministe s’impose !

Commission antipatriarcat d’AL

Pour en savoir plus :

Le mouvement masculiniste au Québec. L’antiféminisme démasqué, dirigé par Mélissa Blais et Francis Dupuis-Déri, éditions du Remue Ménage, 2008.

• « Les antiféminismes », Cahiers du genre, n° 52, 2012.

http://lgbti.un-e.org

• Voir aussi le film de Patric Jean La domination masculine : http://www.ladominationmasculine.net/home.html

 
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