Massacre de Marikana La barbarie capitaliste passe à l’acte




Plus de 300 cartouches tirées, parfois à bout portant, souvent dans le dos, le massacre de Marikana est suivi de tortures, d’exécutions sommaires sur le lieu-même de la fusillade. Ajoutant l’insulte au meurtre, la police fait 260 arrestations supplémentaires, et la compagnie Lonmin maintient son cap. Une analyse par notre organisation-sœur Zabalaza, en Afrique du Sud.

Textes traduits et adaptés de la version en ligne sur Anarkismo

Lors de la grève des mineurs de Marikana, la police abat 34 personnes et fait 87 blessés, piétinés, des disparus, tire dans le dos, et des témoins font état de quelques 190 personnes torturées parfois pendant trois jours. Un gréviste est menotté puis battu avec un tuyau en caoutchouc dans l’enceinte de la compagnie Lonmin, propriétaire de la mine de platine de Marikana. Laquelle, parangon d’insensibilité et de dureté, somme les grévistes de reprendre le travail sous peine d’actions disciplinaires.

On ne peut qu’être atterré par ce qui s’est passé à Marikana, mais il ne faut pas y voir un incident isolé, sorti de nulle part. Il s’agit plutôt du dernier épisode en date de la guerre continue opposant une alliance entre des compagnies minières sans état d’âme et l’Etat, et d’autre part les travailleurs du « bassin de platine ».

Vie et mort dans le bassin de platine

La vérité, c’est que la vie est dure, oppressante, pour les travailleurs des mines de platine. C’est dans ce contexte qu’il faut envisager les événements de Marikana. Pour la plupart des mineurs, il s’agit de travailler à des centaines de mètres sous terre, confinés, dans une chaleur constante, en péril de mort permanent.
Le maniement de marteaux piqueurs de 25 kg, de concert avec les autres outils de meulage, triage, concassage, percent les tympans des ouvriers de manière définitive en quelques années.

Refroidies aux eaux usées, les foreuses ajoutent des maladies de peau aux maladies respiratoires causées par la poussière de silice. Les ouvriers en meurent, oubliés dans la campagne sud-africaine.

Fissures et dynamitages quotidiens augmentent le risque d’effondrements de galeries, de coups de grisou, tuent les mineurs de fond : ceux qui ont fait grève à Marikana.
Depuis 2005, la mortalité nationale a augmenté de 29 % en 2012. Au regard de la valeur ajoutée, la vie humaine compte bien peu.

A quoi s’ajoutent les vexations et oppressions des contremaîtres, gardes et cadres. Aux ordres, réprimandés pour un oui ou pour un non, les mineurs sont quotidiennement humiliés, fliqués : fouilles corporelles, barbelés et clôtures électrifiées cloisonnent et sécurisent les différents secteurs des entreprises minières. Aux gardes lourdement armés s’ajoute une vidéosurveillance dernier cri, et des agences spécialisées proposent une « surveillance ciblée » et des compétences en gestion d’émeutes ou « désordres au travail ».

Les travailleurs noirs, qui font face au racisme paternaliste ordinaire des patrons, sont massivement les moins bien payés du secteur pour le travail le plus dangereux. Des dizaines de milliers dans ce cas, ils sont à l’origine de la grève sauvage à Marikana : ils demandaient une augmentation de leur salaire à 12 500 Rand (1 200 euros), contre les 4 000 rand actuels (378 euros !). Les trois principaux directeurs de Lonmin gagnent 45 millions par an !

Ces salaires de misère sont la norme du secteur, et l’insécurité financière s’entretient au moyen d’agences de recrutement florissantes, véritables marchés aux esclaves (41 % des employés), mises en concurrence par les entreprises et facilitant le contournement du droit du travail.

Les mineurs et leurs familles vivent dans des cabanes précaires, dans des bidonvilles entassant jusqu’à 250 000 personnes, avec une eau lourdement polluées par les effluents miniers, sans électricité ni assainissement, où la tuberculose due à la poussière atmosphérique fait rage …

Non content de laisser vivre les travailleurs dans des conditions infâmes, les entreprises minières font main basse sur le foncier, en collusion avec les chefs coutumiers et l’Etat qui édicte des lois empêchant toute contestation.

Une résistance héroïque et furieuse.

Ce serait une erreur de considérer les mineurs uniquement comme des victimes. Marikana n’est qu’un exemple récent de combats souvent héroïques. En fait, grèves sauvages et occupations mobilisent des dizaines de milliers de travailleurs depuis des années et parviennent à déstabiliser fortement le patronat et … le National union of mineworkers (NUM).

Victorieuses ou non, la majorité de ces luttes s’est organisée sur des bases autogestionnaires avec de véritables exercices de démocratie directe. Et c’est bien le problème. En s’adressant directement aux patrons de Lonmin et autres, les travailleurs ont court-circuité le tout puissant et largement corrompu NUM. Celui-ci n’hésite pas à demander des « mesures fermes » à la police à l’encontre des grévistes, dans la continuité de sa politique réactionnaire aux ordres de l’ANC, le parti au gouvernement. C’est pourquoi le syndicat rival, l’AMCU (Association of mineworkers and construction union) voit ses adhésions augmenter.

Si depuis toujours les entreprises réagissent avec dureté contre les grèves sauvages et occupations, elles les craignent néanmoins. Soufflant le chaud et le froid, c’est par dizaines de milliers qu’elles licencient pour aussitôt réembaucher. À quoi s’ajoutent les habituelles interventions policières meurtrières (des dizaines de morts depuis quatre ans).

La violence des luttes du secteur met à nu la vraie nature de l’Etat et son rôle de protecteur de la classe dominante. Il a développé une forme de capitalisme spécifique à l’Afrique du Sud : si noirs et blancs sont tout autant exploités, les noirs forment une ressource extrêmement bon marché, sujets d’un racisme institutionnalisé, surtout dans le secteur minier, principale richesse du pays et source de sa fortune. Domination qui repose ensuite sur la participation d’une élite noire à l’oppression : les Mandelas, Thambos, Ramaposas, Zumas, Moosas contrôlent les moyens de coercition d’Etat, et siègent aux conseils d’administration des entreprises minières. Leur fortune et leur pouvoir sont donc directement liés à l’exploitation des travailleurs noirs. C’est bien ce qui explique la vigueur avec laquelle ils réagissent aux conflits sociaux.

Alors que faire ?

Si certains partis d’extrême-gauche appellent à nationaliser les entreprises minières, la capacité d’autogestion des travailleuses et des travailleurs a été largement démontrée, et pour nous, l’enjeu est de faire grandir un mouvement encore trop faible, de combattre les bureaucraties syndicales et de faire émerger un contrepouvoir sur des bases d’autonomie, d’action directe avec une vision et des tactiques appropriées, l’accompagnant d’un profond travail d’éducation, d’explication.

Mais le but final – peut être au moyen de l’autodéfense, de la lutte armée – est bien pour les travailleurs de reprendre les mines, les usines, les fermes. Espérons que Marikana marque le début de ce mouvement de fond.

Shawn Hattingh – ZACF.
Traduction/adaptation Cuervo AL Banlieue Nord-Ouest

 
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