Mayotte : Le colonialisme français tue toujours




La situation de Mayotte reste marquée par le colonialisme français, une situation qui risque bien de durer, du fait du renouveau des intérêts économiques que représente la région pour la France et ses multinationales.

Le 8 octobre dernier un énième naufrage est survenu sur les côtes de Mayotte dans l’Océan Indien, la quatrième île de l’archipel des Comores devenue – illégalement – le 101e département français le 1er avril 2011...
Un naufrage qui une nouvelle fois n’a pas suscité le moindre émoi,malgré un bilan extrêmement lourd : plus de 16 morts et disparus pour les migrantes et migrants qui s’apprêtaient à débarquer. Une hécatombe dans ces eaux françaises avec plus de 108 morts et disparu-e-s dont au moins 9 enfants depuis le début de l’année. Un massacre organisé autour d’une occupation coloniale française depuis 1841… Bien sûr les Mahoraises et Mahorais se défendent de cet état de fait et clament haut et fort que c’est le fruit de leur choix. Choix survenu à l’issue d’un référendum plus que contestable en 1974 où une majorité s’est dégagée en faveur des partisans du maintien de Mayotte dans le giron français. C’est en vertu de ce résultat que la France a invoqué le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » pour justifier la poursuite de l’occupation coloniale sur l’île. Un droit international qui reste un outil à géométrie variable : les Comores invoquent « l’intégrité territoriale » pour le retour de Mayotte dans le giron comorien. Or, une intégrité territoriale est préconisée par la France pour justifier le bienfondé d’une intervention internationale armée au Mali.

C’est en 1995 que la France décide d’établir une frontière plus restrictive entre les trois autres îles comoriennes et Mayotte en instaurant un visa – baptisé « visa Balladur » – destiné à réglementer la circulation entre les îles. La même année survenait une tentative de coup d’État aux Comores et plus précisément en Grande Comore pilotée par des mercenaires français dont le fameux Bob Denard. Des mercenaires qui devaient sans nul doute rendre compte à la France. Toujours est-il que cette crise est intervenue à point nommé et a permis d’appuyer la décision française de fermeture de frontière, une barrière venue « protéger » ce territoire français face à un risque fantasmé de contagion de l’instabilité.

Le terrain de jeu de l’extrême droite

Une instabilité contrôlée par la France et qui s’est traduite par au moins 28 coups d’État depuis 1975 au Comores dont la plupart sont le fait de Bob Denard, proche des milieux d’extrême droite qui deviendra même vice-roi des Comores. Au sein des barbouzes qui officient dans la région on trouve aussi un certain François-Xavier Sidos, ancien cadre du FN et responsable de la division Protection sécurité du FN. Ce dernier sera fait prisonnier lors du coup d’État de 1995 alors qu’il était conseiller municipal d’Epinay-sur Seine [1]. Il est indéniable que cet archipel fut l’un des terrains de jeu favoris de l’extrême droite française tant on peut multiplier les exemples. Les fameuses « chatouilleuses », l’un des groupes de choc des pro-rattachements à la France en 1975, et l’unique parti de l’île jusque dans les années 1990, le MPM (Mouvement populaire mahorais) ont été appuyés et organisés par l’Action française, une des principales formations d’extrême droite de l’époque. N’oublions pas que les Comores et l’île de Mayotte ont une situation stratégique car proche de l’Afrique du Sud gouvernée pendant plusieurs décennies par un gouvernement d’apartheid soutenu par l’extrême droite française. Un régime qui malgré un embargo international continuait de recevoir armement et soutien technique de la France et qui transitait via les Comores et Mayotte.

Ce territoire reste stratégique pour la France : un gisement d’hydrocarbure immense, parmi les plus importants du monde, a été découvert récemment au large des îles Éparses, possessions françaises à quelques encablures des côtes malgaches et de Mayotte [2]. Les investissements de la multinationale Bolloré, dont une grande partie dans les infrastructures portuaires, tels que ceux du port de Dar El Salam en Tanzanie, montrent un regain d’intérêts pour la France. Rappelons que la construction d’une voie ferrée reliant le port de Dar El Salam avec les principaux sites d’exploitations miniers de l’Est de la République rémocratique du Congo et de la région des Grands Lacs, où l’on trouve les principales ressources utiles au développement occidental (or, diamant, cobalt, coltan, etc.), laisse entrevoir des gains énormes pour les entreprises privées françaises... L’augmentation de la piraterie dans le Golfe d’Aden est un des révélateurs de l’enjeu stratégique de la région. Mayotte et La Réunion offrent ainsi des bases précieuses pour les opérations françaises et les investissements des entreprises dans la région.

Pas de légitimité sans persécution

La question qui s’est posée pour la France, c’est comment maintenir la présence coloniale française sur l’île face à toutes les velléités que cette dernière suscite ? Pour ce faire la France a joué sur deux tableaux :
– l’instabilité politique de l’archipel a permis de lever les sanctions contre la France mises en place par l’Onu (pas moins de 22 résolutions ont été prises contre la France) ;
– en second lieu, la mise en place du visa Balladur et des politiques de lutte contre l’immigration sur l’île ont favorisé le développement de sentiments xénophobes et racistes parmi une population pourtant liée avec les autres îles de l’archipel, toutes les familles étant dispatchées sur les quatre îles. Une stigmatisation qui permet d’attirer l’attention sur d’autres problèmes que sur les inégalités chroniques liées à la colonisation.
Des stratégies efficaces qui vont transformer cette lutte contre l’immigration en véritable chasse à l’homme : plus de 21 000 expulsions en 2011 dont encore 5 000 mineurs !

Quand l’UE devient complice

En juillet dernier l’Union européenne dont bon nombre de pays ont condamné la présence française à Mayotte à l’Assemblée générale de l’Onu, a pourtant accepté la demande française d’intégrer Mayotte aux Régions ultra-périphériques (RUP) de l’UE, rejoignant ainsi la Guadeloupe, la Réunion, la Guyane, la Martinique, Saint-Martin, les Açores, les îles Canaries et Madère. Une décision lourde de conséquences puisque l’UE décide d’entériner une occupation coloniale qui recueille les foudres internationales [3]. Une UE qui se drape pourtant depuis le 12 octobre 2012 dans les oripeaux d’un pacifisme distingué par le prix Nobel. La schizophrénie française, gagne donc l’Union européenne... Mais cette situation semble loin de s’arrêter, tant l’indifférence de l’opinion publique et d’une bonne partie des réseaux militants autour des questions coloniales est grande, alors que ces questions mettent en lumière un impérialisme et une colonisation française qui perdurent pour le bonheur du système capitaliste.

Tibo, syndicaliste Mahorais

[1Voir « Que fait l’armée française en Afrique ? » de Raphaël Granvaud.

[2Raphaël de Benito, « Les îles Eparses, un trésor bien gardé »,4/9/2012, , sur le site de l’association Survie : http://survie.org/billets-d-afrique

[3À l’Assemblée générale de l’Onu de septembre dernier le président de la Fédération des Comores a une nouvelle fois réclamé à la France le retour de Mayotte aux Comores au nom de l’intégrité territoriale de l’archipel. Droit international à l’intégrité territoriale défendue par un Hollande va-t’en-guerre au Mali à cette même Assemblée de l’Onu quelques heures plus tôt... Un deux poids, deux mesures français bien connu dans les relations françafricaines.

 
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