Mexique : « L’eau ne se vend pas »




Entré dans l’ALENA en 1994, le Mexique a suivi les pas du géant américain dans sa politique néolibérale. L’eau est aujourd’hui un produit de marché dont les grandes firmes se partagent les profits, au détriment des peuples indigènes.

Premier Forum pour la défense de l’Eau, à Vicam, Etat du Sonora, Mexique, 21 novembre 2010, au crépuscule. Une femme de la tribu O’odham, entame un chant en l’honneur de l’élément eau. Sa voix s’écoule et pénètre les terres arides du Nord du Mexique jusqu’aux forêts humides du Sud. Le Mexique, globalement, ne manque pas de ressources en eau. Cependant son approvisionnement est sujet à de fortes inégalités, du fait de plusieurs facteurs.

Pollution

L’activité industrielle et agricole ainsi que le mauvais état des systèmes de traitement de l’eau empêche la consommation de l’eau courante. Ainsi, on estime que 38 % de l’eau douce du Mexique est contaminée, et qu’en Amérique Latine, une bouteille d’eau minérale sur deux est consommée au Mexique. Un commerce juteux pour les firmes multinationales comme Pepsico, Danone, Coca-cola, Nestlé et autres qui détiennent 80 % du marché au Mexique. Cette privatisation silencieuse ne permet évidemment pas l’accès à l’eau pour toutes et tous, notamment aux populations indigènes, qui sont les plus pauvres, tandis que les bénéfices de cette industrie n’encouragent pas les pouvoirs publics à s’attaquer aux problèmes de pollution.

Privatisation

Déjà en 1972, lors de la signature de conventions pour le financement d’infrastructures hydrauliques au Mexique, la Banque Mondiale conditionnait l’accord de prêts à la privatisation du secteur. Ainsi, dès 1992, la privatisation des services de l’eau est lancée avec la Loi sur les eaux nationales, ce qui permet l’entrée sur le marché des géants de l’eau, comme Suez, qui passent des contrats directement avec les municipalités.

Le Centre et le Nord du Mexique concentrent le plus de population et d’activités industrielles et agricoles du pays, mais le moins de ressources aquifères, contrairement au Sud. Les entreprises et les classes dominantes consomment sans compter, provoquant des pénuries à répétition dans ces régions.

Des peuples en lutte face au pillage de l’Eau

Chaque habitant de la ville de Mexico consomme en moyenne 360 litres d’eau par jour, dûs autant à la surconsommation, qu’à la vétusté du réseau avec 37 % de fuites. Pour y remédier la ville s’approvisionne à plus de 300 km à la ronde. Ce pillage quotidien affecte de nombreuses populations : c’est le cas du peuple Mazahua, dans l’Etat de Mexico qui, toujours privé d’eau courante, voit en plus ses terres asséchées au profit de la capitale. En 2004, les femmes Mazahuas ont pris les armes, fermé les vannes du barrage Cutzamala et réclamé le respect du Droit à l’Eau.

Aussi, lors du 1er Forum pour la défense de l’Eau, organisé par le Conseil National Indigène (CNI)  et la tribu Yaqui, des délégués des peuples du Mexique ont déclaré que «  les grandes entreprises nationales et étrangères, avec le concours de l’État mexicain, cherchent à s’approprier les territoires de nos peuples et les biens de la nation, en créant des lois, des politiques et des actions pour la privatisation capitaliste des eaux (...), des terres, des forêts, des minerais, des plantes et des savoirs traditionnels  ». En témoigne la tribu Yaqui, au Nord du pays, qui mène une lutte acharnée contre le gouvernement et l’entrepreneur Carlos Slim qui projettent la construction d’un aqueduc sur le fleuve Yaqui, afin de détourner la quasi totalité des eaux de la commune d’Hermosillo pour «  favoriser les intérêts immobiliers, touristiques et agro-industriels du grand capital  ». Un projet arbitraire qui provoquera la destruction du territoire Yaqui, la disparition de la tribu et des agriculteurs de la région.

Une énergie convoitée

Au sud du Mexique, l’abondance de la ressource est une source de profit pour les firmes multinationales, qui, avec le Plan Puebla-Panama  [1], bénéficient d’une ouverture du marché énergétique mexicain et multiplient les constructions de barrages hydroélectriques.

Mais le prix à payer par les populations indigènes qui vivent près de ces fleuves est fort  : expropriation des terres sans indemnisation, déplacement forcé de populations, relogement dans les «  villes rurales  »  [2], inondations meurtrières, destruction de l’équilibre environnemental créé par les peuples... Ces populations, privées de leurs moyens de survivance, n’auront cependant pas de réduction sur les sur-tarifications de l’électricité mexicaine.

Face au gouvernement et aux firmes, les peuples indigènes résisteront encore, car «  l’eau ne se vend pas, elle se protège et se défend  ».

Camille (Mexique)

[1Plan prévoyant, entre autres, la mise en place de méga projets énergétiques en Amérique Centrale. Financé par des organismes publics, il permet l’exploitation de l’eau par des entreprises privées.

[2Cf : «  Chiapas, la contre-insurrection  », Alternative Libertaire, n°201, décembre 2010

 
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