Mouvement social : Le boulet n’est pas passé loin !




Sarkozy a serré les fesses pendant quarante-huit heures. Le spectre de Décembre 95 est passé devant ses yeux. Si, mis en confiance par le succès de la journée d’action du 18 octobre, les grévistes avaient outrepassé massivement certaines consignes syndicales pour reconduire leur mouvement, la situation pouvait déraper. C’est raté pour cette fois, mais on n’est pas passé loin. Et d’autres occasions vont se présenter…

Après avoir martelé pendant quatre mois que la politique menée par le gouvernement allait à l’encontre des droits des travailleuses et des travailleurs, les directions syndicales se sont décidées à appeler à une grève nationale le 18 octobre. C’est sans conteste à la SNCF, à la RATP et à EDF-GDF que l’action a été menée avec le plus de conviction. Avec environ 75 % de grévistes à la SNCF, on bat de 15 % le record historique de décembre 1995. Et l’opinion publique a été majoritairement favorable à ce mouvement, malgré le battage médiatique anti-grève.

Sarkozy a le « schéma Thatcher » bien en tête : casser les secteurs combatifs du salariat un par un dès le début de son quinquennat pour ensuite mener des réformes d’ensemble sans plus rencontrer de résistance de la part d’un mouvement social à terre.

La réforme des régimes spéciaux est presque purement idéologique : ces régimes ne sont pas déficitaires et les détruire ne bouchera nullement le « trou de la Sécu », qui par ailleurs n’existe pas ! [1]. Même le gouvernement confirme qu’il s’agit bien d’une « question de principe »… tout en se gardant bien d’inclure dans sa réforme les régimes spéciaux des militaires ou des députés ! Difficile de ne pas voir là une pure provocation.

De même, la loi de réforme des universités cible clairement les étudiantes et les étudiants, qui ont été les seuls depuis 2003 à faire plier le gouvernement.

À l’heure où ces lignes sont écrites, rien n’est joué. Mais tout dépend de la capacité du mouvement social à cristalliser et massifier cette volonté d’action.

Précautions de langage

Après l’annonce par Sarkozy de son « nouveau contrat social » en septembre, les organisations syndicales ont rapidement convergé pour appeler à la grève le 18 octobre. Cette journée était d’abord centrée sur la défense des régimes spéciaux, mais la CGT, FO et Solidaires ont senti l’enjeu qu’il y avait à en faire une réponse d’ensemble à la politique du gouvernement, en revendiquant le maintien de l’emploi et du régime de retraite dans toute la Fonction publique. Car derrière la réforme des régimes spéciaux, il y a la réforme des régimes généraux prévue pour 2008, prévoyant actuellement le calcul des retraites non sur les six derniers mois, mais sur les vingt-cinq dernières années, ce qui équivaudrait en moyenne à une diminution d’un tiers des pensions ! De nombreux appels intersyndicaux départementaux sont venus appuyer la mobilisation.

Les clivages sont en fait rapidement apparus sur la question interprofessionnelle, puis sur les suites à donner au 18.

La CFDT, la CFTC, l’Unsa et la CGC ne voulaient rien faire ou se contenter d’une journée d’action isolée pour recréer les conditions d’un « dialogue social » dont elles se sentent orphelines. Dans un autre registre, la FSU, majoritaire dans l’Éducation nationale, complètement dans les choux, a déposé un préavis de grève, mais avec de telles précautions de langage, et avec une conviction si proche de zéro, que le 18 pouvait être perçue comme une simple grève de soutien aux régimes spéciaux des autres professions. Un comble, alors que l’Éducation nationale est le secteur le plus touché par les attaques libérales, avec des milliers de suppression de postes !

À l’opposé, la CGT a tout misé, et même « trop misé » sur l’interprofessionnel. Il y avait effectivement un enjeu à construire une mobilisation globale et à ne pas laisser s’installer la grève par procuration entre public et privé. Mais quand des secteurs sont particulièrement en pointe dans la combativité – en l’occurrence la SNCF et la RATP –, saboter la reconduite de la grève au motif qu’« il ne faut pas s’isoler » ne peut qu’avoir un effet démoralisant…

Un certain trouble à la base

C’est ainsi qu’à la SNCF et à la RATP, sauf quelques équipes dissidentes, la CGT a passé presque autant de temps à organiser la mobilisation du 18 qu’à empêcher sa reconduction le 19 octobre. Quand elle n’a pas boycotté les assemblées générales, elle y est intervenue pour les saboter ou démoraliser les participants.

Depuis Décembre 95, où les bureaucraties syndicales ont eu la désagréable surprise d’être débordées dès les premiers jours par les assemblées générales, auxquelles participaient souvent leurs propres militantes et militants, chaque grève nationale a été soigneusement verrouillée. Depuis douze ans, on assiste à la stratégie des « temps forts », qui consiste à saucissonner les journées de lutte, pour réussir de grandes journées de démonstration symboliques, mais sans grève dure et prolongée. Le bilan de cette stratégie est pourtant clair : une défaite cuisante en 2003 sur la réforme des retraites, et une extension ratée du mouvement contre le CPE au monde du travail.

Pourtant il va être de plus en plus difficile pour Thibault et consorts de masquer la vacuité de leur stratégie.

Pour preuve, la curieuse position de l’intersyndicale cheminote du 22 octobre. D’une part elle a acté un premier round de négociations bilatérales jusqu’au 31 octobre. Mais en même temps elle a dû affirmer, pour la première fois son « refus de la réforme » [2] et non plus un désaccord sur le « cadrage de la réforme », et a menacé d’un « conflit plus long » si le gouvernement persistait ! Cette position un tantinet contradictoire s’explique par le fait que la CGT, la CFDT et l’Unsa ont dû faire des concessions à FO et à SUD-Rail. D’abord parce que ces deux fédérations s’appuyaient sur la volonté exprimée dans les AG de grévistes ; ensuite parce que les directions fédérales ont dû sentir le trouble monter à leur base ! Résultat : rendez-vous est pris pour le 31 octobre. On verra qui tient ses promesses !

Mais on sait que, même si la mobilisation prend, certains syndicats freineront des quatre fers. Et que, suite au 18, le sentiment de trahison est déjà grand chez les agents RATP et SNCF les plus motivés. Beaucoup n’accepteront pas de repartir en grève sur un préavis « carré » de vingt-quatre heures.

Côté Fonction publique, à l’heure actuelle, l’unité syndicale est réalisée et l’appel unitaire clair à la grève le 20 novembre est un bon point d’appui pour construire la mobilisation.

Quelques longueurs d’avance

Considérant que les bureaucraties syndicales au mieux boycotteraient, au pire casseraient toute mobilisation leur échappant, l’union syndicale Solidaires (qui regroupe notamment les SUD) a joué son rôle en incitant les travailleuses et les travailleurs à s’organiser eux-mêmes pour décider de la grève. C’est une évolution salutaire par rapport mouvement anti-CPE, lors duquel Solidaires s’était contenté d’un rôle d’aiguillon au sein d’une intersyndicale inerte.

Évidemment, avoir une fédération relativement forte dans le rail aide à développer une ligne stratégique autonome et ambitieuse. De même que dans les facs où SUD-Étudiants et, dans une moindre mesure, la FSE et la CNT ont pris plusieurs longueurs d’avance en organisant une trentaine d’AG de mobilisation contre la réforme. L’Unef, prise de court, croise les doigts pour que la mobilisation ne prenne pas. Il est encore difficile d’ériger ces stratégies en modèles tant qu’aucun mouvement de masse n’a démarré, mais force est de constater qu’au moins, les jalons sont posés pour permettre une expression autonome des travailleuses, des travailleurs et de la jeunesse.

L’expérience, et même l’Histoire, le démontrent : l’étincelle mettant le feu aux poudres ne vient pas vraiment de directives nationales des directions syndicales, mais de la base, de secteurs en lutte particulièrement motivés, qui entraînent les autres dans un effet boule de neige.

La journée du 18 a montré que les conditions étaient réunies pour construire une mobilisation d’ampleur. C’est justement ce dont, tous et toutes, nous avons besoin aujourd’hui pour casser l’arrogance du patronat et de cette droite décomplexée. Alors n’hésitons pas, mettons le feu aux poudres !

Grégoire Mariman (AL Paris 5e-13e),
le 23 octobre 2007

[11. Lire « Le “trou”, quel trou ? » dans AL d’octobre

[22. Communiqué de l’interfédérale cheminote CGT-CFDT-FO-CFTC-SUDRail-Unsa-CGC-FGAAC du 22 octobre

 
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