Nécrologie : Joe Strummer, From here to eternity




L’année 2002 s’est mal terminée avec le décès par crise cardiaque de Joe Strummer, le dimanche 22 décembre.

Le chanteur du mythique Clash meurt alors que les Bush, Le Pen, Berlusconi, Blair... et tous les autres réacs de la terre rempilent pour une année !!

Une satisfaction quand même, il aura échappé aux hommages de Chirac, Raffarin, Hollande ainsi que de l’inévitable et entartable Jack Lang.

Love and rage, c’est ce que nous vous souhaitons pour 2003 sans Strummer, mais avec le feu de la révolte qu’il s’est efforcé de répandre un peu partout sur les ondes pendant près de trente ans. Un rude boy tombe, les autres continuent le combat.

Il y a des moments dans une vie où l’on a conscience de découvrir quelque chose qui marquera définitivement sa vision des choses.

Parmi ces moments, il y eut la première fois que je vis the Clash dans une émission de télé. C’était vers la fin des années 1970 ou le début des années 1980, et l’émission s’appelait "L’écho des bananes".

Ces quatre mecs étaient époustouflants, avec leurs gueules de rebelles et leur musique qui nous parlait de Londres en train de brûler, des émeutes, des flics. Et puis ce chanteur qui explosait sa gratte comme la bombe libertaire des révoltes de la jeunesse, pendant que Thatcher laissait crever Bobby Sands [1].

D’un seul coup, les Stones étaient relégués dans les oubliettes et n’étaient plus le plus grand groupe de rock du monde et les Sex Pistols, déjà en train de sombrer, n’y pouvaient rien : c’était Joe, Mike, Paul et Topper qui réinventaient les riffs qui nous éclataient les oreilles et qui transformaient les salles de concert où ils se produisaient en pogo berserker géant, en ces temps d’Armageddon de nos désirs révolutionnaires.

On faisait du rock dans la casbah, on se demandait si on restait ou si on partait au Nicaragua soutenir la révolution sandiniste [2], on combattait ces lois de merde, on se tapait les flics sur le dos 7 jours sur 7 et alors comme à Brixton [3], on avait envie de sortir les flingues même si ça devait nous mener droit vers l’enfer, mec !

On le faisait au rythme du punk, du punk-rock, du reggae-punk, avec une touche de blues, de soul ou de funk parfois.

On le faisait avec the Clash parce qu’ils nous parlaient de notre quotidien et de nos combats. Et que ces combats, c’est grâce à eux qu’on avait eu envie de les mener.

Et si Joe et ses potes ne suivaient aucune ligne - ou alors c’est qu’elle était blanche - c’est toujours aux côtés des prolos, des squatters, des Blacks ou des Pakistanais, qu’on les retrouvaient.

Pas le genre de types à être anoblis par sa majesté la reine, eux qui crachaient sur la rébellion transformée en argent.

Pas le genre non plus à se reformer vingt ans après avec un autre chanteur, histoire de faire du fric comme le font en ce moment les Doors sans Morrison. Joe Strummer venait de remonter un nouveau groupe et de repartir en tournée avant de nous faire une sale blague et de nous gâcher la dinde aux marrons. Ils devaient faire un tour en France l’an prochain : je l’aurais encore loupé.

Quand même, c’est salaud, t’aurais pu attendre un peu.

A. Doinel (AL Rennes)


TÉMOIGNAGES

par Ian Bone (revue Classwar)

Quelques mots sur Joe Strummer. Il a donné un concert mémorable par son exubérance au Bierkellar en 1987, qui s’inscrivait dans la tournée de la fédération Classwar (NDLR : "guerre de classe", mouvement anarchiste anglais) "Rock against the rich". Le groupe local de Classwar devait s’occuper de son hôtel pour la nuit et il lui a réservé une chambre au Grosvenor près de Temple Meads - c’est dire qu’il n’avait pas vraiment le style de vie des rockstars !

Quelques-uns d’entre nous étaient tombés par hasard sur lui quelques mois plus tôt dans un pub à Ladbroke Grove et lui avaient demandé de faire un concert au profit des squatters de Stamford Hill, qui venaient juste de se faire évacuer. Joe a accepté d’en faire un au Hackney Empire sans une seule hésitation.

Le lendemain, on a décidé de risquer le tout pour le tout et on lui a demandé s’il ne voudrait pas aussi faire un concert à Brixton. De nouveau il a accepté immédiatement. Finalement on lui a demandé de faire une tournée entière, "Rock against the rich", à travers tout le pays - 18 concerts - et, non seulement il a accepté mais il a payé les salaires de son groupe américain Latino Rockabilly War, ainsi que leurs frais de logement et de déplacement.

Il y a eu un concert particulièrement mémorable au centre d’aide pour les mineurs de Brodsworth, près de Doncaster, où les mineurs et Joe Strummer ont fait un putain de boucan monstre ensemble. Par la suite Joe a dit que la tournée la mieux organisée qu’il ait jamais faite avait été organisée par des anarchistes !

Il y a deux semaines, il était encore au boulot, à un concert de solidarité au profit des pompiers à Acton avec Andy Gilchrist et Mick Jones, de retour sur scène. Sacré bonhomme. Il va nous manquer. Mais comme a dit un autre Joe [Joe Hill, poète et syndicaliste révolutionnaire américain du début du siècle] : "Ne vous lamentez pas, organisez-vous."


Contre la guerre

Et pour finir, une anecdote bien en phase avec l’actualité publiée dans un message du Collectif Bella ciao, proche du Parti de la refondation communiste : « Durant la guerre du Golfe, on l’a contacté pour utiliser, sept ans après sa sortie, le tube planétaire de Clash, Rock the Casbah, dans un jeu vidéo dont l’objet était de bombarder des villes arabes. Strummer, qui fustigeait dans ses chansons "la rébellion transformée en argent", a d’abord cru au canular et, bien entendu, a refusé. »

[1En 1981, Bobby Sands dirige une grève de la faim des détenus de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) pour obtenir le statut de prisonnier politique. Face à l’intransigeance de Thatcher, dix d’entre eux, dont Bobby Sands, se laissent mourir.

[2Le quatrième album des Clash paru en 1980 s’intitule Sandinista, en référence au régime « progressiste » alors en place au Nicaragua, et victime d’une agression des États-Unis.

[3Quartier noir de Londres, au cours des années 1980 de violentes émeutes opposent les habitants de Brixton aux forces de l’ordre. Un exemple à suivre pour the Clash.

 
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