Népal : La révolte d’un peuple




L’apparente capitulation du roi Gyanendra devant les très imposantes manifestations populaires orchestrées par les partis politiques de toutes tendances sonne-t-elle la fin d’une situation d’émeutes et de lutte contre la monarchie au Népal ?

Le Népal, avec ses 20 millions d’habitants, est un petit pays coincé par l’histoire et la géographie entre deux géants dont les rapports sont souvent conflictuels - l’Inde et la République populaire de Chine. Depuis quelques années, ce pays est devenu un des plus pauvres d’Asie... et du monde. Pendant plus de cent ans, le Népal a été gouverné par une dynastie de Premiers ministres qui l’ont isolé du reste du monde puis, par la suite, par des rois officiels. La politique favorisant le tourisme lui apportait une certaine richesse. Dans les années 1970, il était le refuge privilégié des hippies et des adeptes de toutes les drogues tolérées par les autorités locales, qui y trouvaient « leur beurre ». Mais, le gouvernement népalais ayant interdit ce genre de commerce, le Népal n’était plus vraiment un pays de carte postale, mais un pays considérablement appauvri, au fil des années, par l’accaparement des revenus (46% dans les poches de 10% de privilégiés, parmi lesquels l’actuel roi, monté sur le trône dans des conditions suspectes...), provoquant une situation explosive, et permettant l’émergence de maquis maoïstes très actifs qui ont pris le contrôle d’une importante partie du pays.

Très bien armés, ces maoïstes, qui se veulent les émules du Sentier lumineux, dont ils ont repris les principales théories, privilégiant la guérilla dans les campagnes, asphyxiant économiquement les villes le cas échéant, ont su tirer profit de la situation de misère dans laquelle se trouvent 71% de la population. Les maoïstes recrutent ou enrôlent de force de jeunes écoliers. Il arrive aussi que des familles très pauvres vendent ou donnent leurs enfants aux maquis maoïstes, dans lesquels ils deviendront des enfants-soldats. 80% de la population du Népal est rurale, mais, dans la presque totalité, n’a pas la propriété des terres qu’elle cultive. Les 74% d’analphabètes offrent en outre un terreau propice à ce que les maquisards nomment la « violence révolutionnaire ». Dans les villes, la situation est loin d’être brillante en ce qui concerne les 12% du prolétariat népalais. Il faut ajouter que l’infrastructure hydraulique est très importante, mais que seuls 14% des habitant(e)s sont approvisionné(e)s en électricité.

Climat insurrectionnel

Ces derniers mois, tous les ingrédients d’un climat insurrectionnel étaient réunis. Sur l’échiquier politique, on trouve un pluralisme de façade camouflant à peine le clientélisme dont profitaient - et profitent encore - de vieux et jeunes routiers des partis : le Parti communiste népalais-union marxiste-léniniste (PCN-UML), légaliste, dont un leader a été Premier ministre sous Birendra (roi assassiné), les diverses droites royalistes... et surtout, échappant peut-être aux tractations louches, le Parti communiste népalais maoïste, dont les actuels leaders préconisent la lutte armée pour une République populaire du Népal. Le 5 mai 2006, les maoïstes s’engagent à participer à des négociations tendant à mettre fin à une guerre civile qui a fait plus de 12500 morts en dix ans. Mais ce n’est pas la première fois qu’ils proposent des négociations...

Les Népalais sont allés manifester, avec violence et conviction, avec les partis politiques en opposition avec le roi, qui avait fait un coup d’Etat en nommant un Premier ministre-marionnette ayant prouvé sa dévotion en supprimant les libertés politiques (la mise en sommeil des partis) et syndicales (un seul syndicat, inféodé au PCN-UML), la liberté de la presse (emprisonnement de journalistes ayant critiqué le pouvoir absolu) et la liberté d’association, sous prétexte que tout cela faisait obstacle à sa politique de lutte contre les maoïstes.

Les Népalais ne sont pas allés dans la rue pour conserver une monarchie, même constitutionnelle, parce que cela signifierait la survie de cette société foncièrement inégalitaire, des castes et autres vestiges du passé, des superstitions de toutes sortes. Ils ont traité Gyanendra de voleur parce qu’ils savent qu’il en est un, et parce qu’ils exigent la dignité et une existence décente.

Révolution trahie ?

Encore une fois, les politiciens ne vont-ils pas récupérer, à leur profit, un pouvoir confisqué par le roi, avec lequel ils peuvent se réconcilier ? La situation matérielle des Népalais est dramatique, les vivres ayant manqué dans les villes, accentuant la pauvreté générale. La déception pourrait être très vive quand les manifestant(e)s constateront qu’après avoir eu la victoire à portée de main leur révolution semble avoir été trahie. N’ont-ils pas été, en fait, utilisés et manipulés par des notables qui refusaient de mener à terme le mouvement ? Le roi feint d’accepter, et ces mêmes politiciens acceptent de collaborer avec le personnage qu’ils faisaient semblant de rejeter.

D’autres intérêts - géoplitiques - sont peut-être entrés en ligne de compte, l’Inde et la Chine populaire craignant une déstabilisation de la région : chacun de ces pays a en effet des intérêts économiques locaux - en 1988, du pétrole a été découvert dans le sud du Népal.

On peut donc penser que des pressions ont été exercées pour que le roi (prié de mettre de l’eau dans son vin) et les chefs de partis trouvent un terrain d’entente. Les manifestant(e)s, eux/elles, sont dupé(e)s, mais peut-être pas les maoïstes népalais... l’avenir le dira.

Ngoc, Paris, avril 2006

 
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