Xe congrès d’AL (Angers, 2010)

Nos orientations de base pour lutter contre le patriarcat




1. Préambule

Les femmes sont les premières et principales victimes de l’oppression patriarcale c’est donc d’abord à elle de lutter ensemble pour leur émancipation. Mais les hommes ont aussi intérêt à la disparition de ce système oppressif parce qu’il leur impose une place, un rôle et une fonction en fonction de leur sexe et non pas de leurs propres aspirations.

2. Définir les mécanismes de l’oppression

La division sexuée du travail a été une des causes fondatrices de l’oppression subie par les femmes. Pourtant l’accumulation des connaissances en biologie, neurologie, psychologie atteste qu’il n’existe aucune spécificité psychologique, intellectuelle ou comportementale liée au sexe biologique d’une personne, justifiant cette répartition des rôles. Cette division sexuée du travail se traduit par l’exploitation domestique que subissent encore aujourd’hui les femmes du monde entier, base matérielle du système patriarcal.

Encore aujourd’hui, ce sont les femmes qui assurent l’essentiel des soins aux enfants. C’est autour des congés maternité, des absences pour enfant malade, des temps partiels « choisis » pour élever les enfants que se creusent les écarts dans les carrières entre hommes et femmes. Cette place assignée aux femmes dans l’organisation des tâches domestiques et des soins à apporter aux enfants fonde, ou au moins, renforce le système patriarcal.

Mais d’autres processus fondateurs de l’oppression patriarcale sont à trouver :
 Dans la structuration de la famille patriarcale - réduite au père, à la mère et aux enfants, avec parfois des ascendant-e-s - qui a atomisé le groupe social des femmes et leur pouvoir collectif au sein des sociétés premières. Le fait que la famille est souvent le lieu principal où des hommes, des femmes et des enfants tissent des liens de solidarité, d’affection, d’amour, masque aux yeux de beaucoup le rôle oppressif de la famille patriarcale.
 La hiérarchisation affirmée entre les activités publiques et privées et le cantonnement des femmes dans la sphère privée ont fortement contribué à la dégradation du statut des femmes : assignées à des tâches socialement dévalorisées, dépendantes économiquement d’un homme, soumises à l’appropriation de son corps par celui-ci, y compris parfois par la violence physique et/ou psychologique, la femme voit sa dignité et sa personne même niées.

L’organisation matérielle de la société détermine le genre, ce qui dans notre « identité » est associé à notre sexe. Le genre, construction socioculturelle, est le résultat de l’organisation de la société. Il est aussi un facteur qui consolide l’oppression patriarcale. Lutter contre les mécanismes matériels qui organisent l’oppression des femmes se traduira implicitement par la remise en cause de cette identité construite socialement et culturellement. Mais la lutte idéologique ne doit pour autant être négligée : la « vulgarisation » des analyses sociologiques sur le genre est nécessaire pour permettre au plus grand nombre de prendre conscience des mécanismes de l’oppression.

3. Oppression capitaliste, oppression patriarcale, deux processus différents mais imbriqués

Le capitalisme est né au sein d’une société marquée par l’oppression patriarcale. Les deux oppressions partagent la même logique hiérarchique. L’État capitaliste impose la croyance dans un ordre viriliste et une relation infantile de soumission de la femme. Patriarcat et capitalisme ont autant besoin l’un que l’autre de la logique patriarcale, le premier pour y subordonner les femmes, le second pour perpétuer les inégalités sociales

Nous affirmons que l’égalité économique et l’abolition des classes sociales ne sont pas des garanties pour faire disparaître la domination sur les femmes, mais qu’il existe un lien entre ces deux combats qui ne peuvent être compris ni comme confondus, ni comme indépendants.

Nous affirmons qu’une disparition progressive du patriarcat est improbable et que sa destruction nécessite une rupture sociale et politique permettant de fonder réellement d’autres rapports humains débarrassés de toutes les impositions sociales ordonnées par la société en fonction de notre sexe. La remise en cause du patriarcat nécessite l’éclatement de la famille patriarcale. Cela facilitera la remise en cause de la transmission des inégalités, un des fondements de l’oppression capitaliste.

4. Une absence de norme familiale

AL, dans le cadre de son « combat contre toutes les aliénations », prône le démantèlement de tout ce qui organise les discriminations. Mais cette affirmation a été insuffisamment été prise en compte dans nos réflexions stratégiques : comment agir alors que l’interdiction de toute discrimination liée au sexe pourrait ne pas se traduire mécaniquement par la disparition de la division sexuée du travail ?

AL défend un modèle d’organisation économique en alternative au capitalisme - démocratie directe, égalité économique, solidarité entre les collectivités humaines et fédéralisme autogestionnaire -, mais n’a pas de modèle positif à proposer concernant la structure de base de la société qui pourrait remplacer la famille patriarcale. Nous ne proposons pas une contre-norme, mais l’absence de toute norme familiale. Ce sont les femmes et les hommes débarrassé-e-s des normes sociales imposées qui définiront eux/elles-même leur future émancipation individuelle et collective.

L’oppression patriarcale se lit dans l’organisation matérielle de la société, dans la sphère publique comme dans la sphère privée : organisation et le rôle de la famille – institution-clé de la société - et répartition du travail en son sein.

Rappelons que la famille patriarcale n’est pas un invariant de l’organisation des sociétés humaines. Elle est un cas particulier de « groupe familial », ensemble des adultes et des enfants vivant sous le même toit, gérant ensemble les tâches domestiques, partageant leurs ressources économiques et rassemblées autour de liens affectifs forts. Et dans de nombreuses sociétés humaines, il existe des personnes qui, par choix ou par obligation, vivent en dehors de tout groupe familial.

Dans une société communiste libertaire, les droits et les devoirs seront attachés à chaque personne, sans que la société ne s’autorise à s’occuper des modes de vie, même si les enfants devront bénéficier de droits particuliers - notamment de protection - liés à leurs besoins matériels et affectifs.

La distinction sphère publique - sphère privée tendra à disparaître. Il se reconstruira probablement des formes plus collectives de vie en commun permettant à toutes et à tous une baisse de la quantité de travail domestique et une prise en charge plus collective des soins aux enfants. Ces modes de vie collectifs seront probablement amenés, dans un premier temps, à coexister avec la reproduction de modes de vie hérités du patriarcat.

L’éclatement des cadres normatifs favorisera la réalisation par chacune et chacun de sa propre aspiration à vivre, travailler, s’exprimer et aimer comme il/elle l’entend. Il existera une diversité assumée et reconnue des modes de vie, dont le prolongement sera l’éclatement de toute norme sexuelle - entre adultes consentants - et dans l’épanouissement de l’amour libre.

Nous rejetons toute moralisation de la sexualité, nous prônons des comportements fondés sur le respect de chaque être humain et de son droit au plaisir, qui permettent d’étendent la liberté de chacune et de chacun à l’infini. En revanche nous combattons ce qui est de l’ordre du libéral, dans le sens où tout serait permis au nom de l’argent.

5. Une stratégie de lutte

Notre stratégie de lutte contre le patriarcat s’appuie sur les axes suivants :
 accentuer les contradictions internes au système social permettant d’affaiblir les mécanismes de domination en vue de les abolir à terme ;
 agir collectivement pour le renforcement des mouvements de lutte de femmes, mais aussi des collectifs LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transsexuels), à la fois en solidarité et en tant que porteurs de luttes autonomes ;
 porter au sein du mouvement social notre projet de société libérée du système patriarcal.

Les mécanismes concrets par lesquels le patriarcat impose une domination sur les femmes repose principalement sur le triptyque : répartition sexuée des tâches ; famille patriarcale ; séparation sphère publique / sphère privée.

Notre combat contre une répartition sexuée du travail concerne autant la sphère publique que la sphère privée.

Dans la première, nous visons à faire sauter tous les verrous permettant à des femmes (parfois à des hommes) d’accéder à quelque profession que ce soit. De même, nous devons poursuivre notre combat pour une égalité des revenus, des statuts et contre les mécanismes qui conduisant les seules femmes à prendre des temps partiels pour élever les enfants.

Quant à la marginalisation des femmes dans la vie politique, elle appelle à des réponses spécifiques. Il s’agit à la fois de mettre en œuvre tous moyens qui incitent les femmes à prendre leur place dans la vie publique et à l’assumer, et de combattre toutes les logiques de prise de pouvoir au sein du mouvement social. En tant que libertaires, nous nous inscrivons dans les pratiques anti-autoritaires qu’ont pu développer de nombreuses femmes au sein des mouvements sociaux : refus de la violence viriliste, expression de la démocratie basée sur l’écoute ... Il faut reconstruire la politique à partir des lieux de vie et de travail, permettant la prise de parole de toutes et de tous.

Dans la sphère privée ce qui est en jeu c’est une répartition égalitaire des tâches ménagères et des soins aux enfants. Nous ne voulons pas que la société s’autorise à contrôler la vie quotidienne des femmes et des hommes. Nous voulons favoriser, par la mise en place de services publics pour la petite enfance, par une évolution du droit du travail, une modification des comportements collectifs. Il nous faut mener la réflexion sur ces questions dans nos lieux de vie, de travail, dans nos syndicats et autres lieux militants, afin de favoriser une prise de conscience de ces mécanismes d’oppression.

S’il ne s’agit pas de faire campagne pour l’abolition de la famille patriarcale, notre action vise clairement à ce que cette forme d’organisation sociale n’ait aucun privilège et perde son statut de modèle social. Nous nous battrons pour que toutes les autres formes de « groupe familial » se voient reconnaître leur pleine légitimité sociale, famille homoparentale, monoparentale, célibat, groupe familial élargi, ou toute forme d’association librement passées entre des adultes consentants, tant que l’enfant bénéficie de l’environnement éducatif sur le plan affectif et matériel nécessaire à son épanouissement.

Un enjeu majeur de notre combat est d’agir pour que la thématique antipatriarcale soit reprise au sein des luttes dans les entreprises comme dans les quartiers, qu’elle devienne réellement transversale aux différents lieux des luttes sociales.

Nous participerons aussi, tout en étant conscient-e-s de leurs limites, à des organisations telles le Planning familial apte à répondre à un besoin social au sein de la société patriarcale ou au Collectif National pour le Droit des Femmes (CNDF) ou la Marche Mondiale des Femmes qui permettent de poser les problématiques du droit des femmes à un niveau de masse.

L’émergence de cette complémentarité entre les luttes antipatriarcales et les autres luttes sociales nécessite l’existence d’organisations plus spécifiquement centrées sur l’antipatriarcat, plus orientées sur une réflexion sur les questions de genre et de sexualité : groupes locaux luttant contre le patriarcat, éventuellement totalement ou partiellement non mixte, collectifs LGBT...

6. Le front intérieur de l’organisation

Le congrès d’AL de 2006 (Agen) a affirmé : « Simultanément, le peu d’évolution des rôles sexués dans la sphère domestique et dans les mentalités fait barrage à l’investissement des femmes dans les luttes [...]. AL ne fait pas exception en la matière. »

Cette question doit être posée à deux niveaux dans notre organisation. AL doit se donner les moyens pour que le plus systématiquement possible les tâches dites domestiques soient prises en charge collectivement, organisation de la vie collective comme gardes d’enfants. Et d’autre part, une pratique révolutionnaire impose une modification de nos comportements individuels et interpersonnels. Cette logique doit être présente dans nos analyses, dans nos formations, dans nos discours et d’une manière générale dans notre organisation collective.

Les obstacles à la féminisation de notre organisation sont de deux ordres : internes et externes.

Les obstacles internes relèvent des rapports de pouvoir entre les militants et les militantes de notre organisation, comme au sein des autres organisations du mouvement social. L’organisation et ses militant-e-s doivent être en permanence vigilant-e-s face à d’éventuelles manifestations machistes. A cette fin, l’organisation doit se donner des outils de formation et d’analyse collective de son fonctionnement.

Le fonctionnement de la société patriarcale induit une spécialisation sexuée, y compris dans les formes de militantisme. La si faible féminisation en France des organisations libertaires est sans doute liée à l’image « virile » du combat anarchiste qu’il importe de combattre. Une participation plus importante de notre organisation aux luttes de quartier - là où les femmes sont souvent le plus investies - pourrait permettre des avancées vers sa féminisation.

7. Retour sur les revendications

Pour lutter contre la division sexuée du travail, nous devons combiner des revendications à même d’ébranler les inégalités professionnelles hommes/femmes, d’engager un investissement des hommes dans la sphère domestique et de faire évoluer les pratiques éducatives.

Nous devons poursuivre le combat pour une égalité professionnelle non seulement de salaire, mais aussi de statut et de niveau de qualification et obtenir sur ce sujet une obligation de résultat pour les entreprises. Pour aller vers la disparition des temps partiels imposés nous revendiquerons qu’aucun temps partiel ne puisse être rémunéré moins que le minimum vital (un SMIC décent).

La division sexuée du travail domestique ne disparaîtra pas sans une remise en cause des rôles traditionnels face à l’enfant : droit à un temps partiel sans perte de revenu, à une égalité entre les parents sans considération de sexe ou d’orientation sexuelle permettant à chaque parent de disposer de suffisamment de temps pour assumer à égalité ses responsabilités vis-à-vis des enfants ; développement d’un véritable service public gratuit de la petite enfance, etc.

Ces revendications doivent être complétées par une réflexion sur les pratiques éducatives qui aujourd’hui se traduisent par des choix de métiers spécifiques à chaque sexe ; pour exemple, les femmes sont majoritairement cantonnées dans 6 Catégories socioprofessionnelles sur les 31 définies par l’INSEE. Les communautés éducatives, associant parents, enseignant-e-s et enfants, seront incitées à réfléchir ensemble à cette réalité, à lutter contre toutes les autocensures des jeunes dans leurs choix de filière et à favoriser tous les choix rompant avec les stéréotypes. A ce principe nous opposons toutefois une interrogation : la participation aux structures régaliennes de l’État ou aux directions des multinationales ou de l’État est-elle réellement un progrès ?

Les femmes étant les plus touchées par la précarité et le chômage, avec comme conséquence une dépendance financière pour celles que les subissent, la revendication d’un véritable droit à un revenu et à un travail pour toutes et tous reste un combat important pour l’émancipation des femmes.

Le second grand axe de lutte que nous prônons est celui du droit à disposer de son corps et de la liberté sexuelle : droit absolu à la contraception et à l’avortement gratuits ; pour une éducation sexuelle et une information sexuelle des adolescent-e-s, informant sur les sexualités, le plaisir, la contraception etc. Nous combattons aussi les campagnes « pro-allaitement » visant à culpabiliser les femmes qui donnent le biberon.

Notre combat contre les violences sexistes a pour objectif de : protéger et soutenir les victimes en leur garantissant un logement et un revenu décent ; offrir des lieux d’accueil et d’écoute ; développer une prise en charge des hommes violents ; agir pour l’éducation et l’information des adolescent-e-s sur une sensibilisation à l’égalité entre les hommes et les femmes, à des comportements respectueux de l’autre et son droit à refuser des relations.

Il ne faut pas négliger de lutter contre les agressions que peuvent subir des femmes dans la rue, quelle que soit les tenues qu’elles ont choisi de porter.

De même, nous prônons l’interdiction de l’utilisation du corps des femmes à des fins marchandes, en particulier dans la publicité et nous sommes, en ce qui concerne la prostitution, pour une politique abolitionniste sans répression contre les prostitué-e-s.

De manière générale, il s’agira de mettre fin à toute forme de discrimination liée au mode de vie de chacun et de chacune ; reconnaître toutes les formes de vie commune librement consentie et d’éducation partagée des enfants ; affirmer la légitimité et l’égalité des droits de l’homoparentalité ; abolir tout privilège lié à la famille patriarcale et à tout autre modèle familial ; créer un statut et des droits sociaux et économiques des personnes indépendants des choix de modes de vie de chacune et de chacun.

 
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