Nuit debout : Des hauts et débats




Réappropriation démocratique de l’espace public pour certains, idéalisme rêveur ou carrément menace pour la République pour d’autres, le mouvement citoyenniste Nuit debout n’a pas réellement pesé dans le mouvement contre la loi Travail. Mais, localement, il a pu réserver quelques bonnes surprises.


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L’appel à une « Nuit debout » à Paris, le 31 mars, avait été lancé par le journal de François Ruffin, Fakir : après la manif, on ne rentre pas chez nous, et on occupe la rue. Quelques jours plus tard, l’idée avait essaimé – de façon très inégale – dans l’Hexagone, l’occupation des places démontrant un véritable potentiel de décloisonnement des composantes du mouvement social.

Le refus de l’étiquetage politique ou syndical a ouvert la porte à des personnes peu ou pas militantes et non affiliées, qui venaient là partager leur colère. De plus, l’esprit général horizontaliste, le rejet unanime des porte-parole et des élu-es, ont alimenté des discussions critiques parfois intéressantes sur le parlementa­risme et l’État. Cela a localement donné lieu à des actions spectaculaires, décidées collectivement et mises en œuvre dans la foulée : « On va prendre l’apéro chez Valls ? Allez hop ! C’est parti ! »

Enfilade de monologues

Mais Nuit debout ne fait pas tout. D’abord, l’occupation permanente, y compris la nuit, reste hors de portée de la plupart des salarié-es et demande énormément d’énergie pour les autres, sans compter que le harcèlement policier, notamment à Paris, a été coûteux et fatigant.

Pas mal de gens passés à Nuit debout Paris sont repartis assez déçus par l’impression d’avoir assisté à une interminable enfilade de monologues, de déclarations solennelles, de coups de gueule, de poèmes... On était loin des débats concrets qui peuvent naître dans des assemblées d’entreprises ou de facs en lutte, où les participants partagent un environnement et des intérêts communs. Bref, où il y a des enjeux.

On dira que c’était la conséquence du caractère « hors sol » de Nuit debout Paris, avec des curieux venus de partout, mais sans réel ciment. C’est en général dans les commissions thématiques (grève générale, action, travail social...) que des choses intéressantes ont pu se passer.

Au niveau des débouchés, les âmes chagrines regrettaient qu’après tant de discussions, aucune plateforme de revendications précises n’émerge ; mais c’était vouloir transformer Nuit debout en un courant politique avec programme, ce que par définition elle ne pouvait pas être.

En revanche, de façon assez pragmatique, un certain nombre d’associations, de syndicats, de groupes politiques (ou passablement ésotériques...) ont vu dans Nuit debout une agora inédite pour se présenter et diffuser des idées.

Inclure qui veut ? Heu...

En dehors de ces limites, cette forme a aussi montré son ambivalence. Dans certaines villes, le principe d’inclusivité était tel que, par exemple, des masculinistes, conspirationnistes, soraliens et autres nationalistes ont pu compter sur leur droit à la parole, au même titre que les féministes, les LGBTQ ou les sans-papiers.

Nuit Debout a en fait mis en lumière et porté la voix de toute une mouvance qui ne se définit que par sa seule « citoyenneté » – forme vide, abstraite – et rechigne à reconnaître que la société est déchirée par des clivages de classe et des inégalités structurelles entre hommes et femmes et entre « Blanc-hes » et racisé-es. D’où la propension à se perdre dans le formalisme dé­mocratique, à minutieusement détailler les règles optimales de la discussion, en comparant les vertus du tirage au sort et celles de l’agora, en cherchant à hiérarchiser les principes d’un projet de nouvelle Constitution – que le gouver­nement serait censé adopter de bon gré !

A quelques exceptions près – en particulier lorsque des contingents de nuit-deboutistes auront prêté main forte aux syndicalistes sur des actions de blocage –, la vague des Nuits debout n’aura pas joué un grand rôle dans l’opposition à la loi Travail. Elle aura néanmoins eu le mérite d’offrir un espace de discussions pluriel qui atteste d’une véritable soif de changement, et qui aura permis à des personnes jusque-là non-militantes de se rapprocher des collectifs de lutte.

Marco (AL 92)

 
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