Or noir Nigeria : la Total




Fela Kuti [4] le chantait en pidgin english : « Dey do dem whole », en Afrique c’est la totale. Tous les fléaux du capitalisme s’y retrouvent et bénéficient au pouvoir politique, lui-même à la solde des pétroliers et gaziers occidentaux. [5]

Ancienne « côte des esclaves », le Nigéria devient la proie des convoitises britanniques dès 1841. Jusqu’à la guerre du Biafra (1967-70), c’est l’Angleterre qui est le fer de lance des intérêts occidentaux dans le delta du Niger.

Quelques trois millions de morts et cinq millions de réfugiés plus tard, les généreux donateurs en armes et argent (France, GB, USA) de chacun des deux camps peuvent se partager la manne pétrolière, le « light sweet crude oil » [1] du delta – le meilleur pétrole du monde. On inaugure au passage (merci M. Kouchner) la nouvelle équation : guerre + humanitaire = néocolonialisme.

L’histoire est toujours la même : procès désespéré contre Shell (ou Repsoil, ou Total, ou Exxon…) à la Cour internationale de la Haye, assassinats politico-maffieux, massacres par l’armée… De quoi se plaignent-ils ? Du déversement dans le delta de l’équivalent de l’Amoco Cadiz chaque année, de la mort de tout ce qui vit, hommes, bêtes et plantes, des torchères qui relâchent dans l’atmosphère des tonnes de gaz provoquant des maladies respiratoires chroniques, et représentant 15 % de l’effet de serre mondial.

Shell is hell

Ils se plaignent de ne plus pouvoir vivre dans leur propre pays, de multiplier les recours en justice, les manifs, les communiqués. Les pétroliers promettent écoles, dédommagements, assainissement des sites, captation des gaz… Rien n’a jamais été fait.

En 1990, l’ethnie des Ogoni mène une lutte non-violente pour faire valoir ses droits à la survie. Autour du personnage emblématique de Ken Saro-Wiwa, elle élabore même la première déclaration des droits en terre africaine, largement articulée autour de la question écologique. Ce mouvement, le Mosop [2], va réclamer 10 milliards de dollars de dédommagements à Shell, et mettre 300 000 personnes dans la rue, amenuisant les revenus pétroliers de la région. Le pouvoir finit par comprendre le message : des dizaines de morts, trente villages détruits, exécution du leader avec huit autres camarades en 1995.

Le delta va s’embraser. Les Ijaw, l’autre grande ethnie de la région, mènent une guérilla terriblement efficace contre les pétroliers divisant par deux la production en quelques années.

Enfants du delta, ils frappent partout, et de manière spectaculaire. Recouverts de peintures et d’amulettes, mystiques, mais aussi pénétrés d’une réelle conscience politique, les multiples groupes qui vivent dans le delta vont créer une « organisation parapluie », le Mend [3]. Il veut l’émancipation des peuples du delta, en visant une forme fédéraliste (floue) d’organisation. Si la stratégie est unifiée, la tactique reste autonome : au contraire de l’Ira ou de l’ETA par exemple, il refuse de se doter d’un porte-parole, d’une branche organisationnelle.

En 2009, le Mend dépose les armes et accepte une amnistie. Celle-ci est en panne depuis 2010, puisque les exactions, les spoliations de terres, les milices privées ou gouvernementales continuent de tuer, tout comme la nature continue d’être ravagée (60 % des terres sont impropres à la culture).

En embuscade, les maîtres étasuniens et européens font et défont les gouvernements du Nigeria, ce pays de tous les records de misère, de criminalité et de destruction écologique. Il a été question de prêter des Marines au président Goodluck Jonathan pris entre résurgence de la lutte armée et rébellion musulmane au Nord.
En attendant, les pêcheurs du delta ont beau s’éloigner des côtes, leurs filets ne remontent rien des fonds contaminés.

Cuervo AL 95/78

[1Pétrole brut, léger et doux, contenant peu d’impuretés, très facile à raffiner. Le Nigéria en est le principal producteur

[2Le Mosop : Movement for the Survival of the Ogoni People

[3Mend : Movement of Emancipation of the Niger Delta

[4Grand musicien et activiste nigérian

[5L’essentiel de cet article s’appuie sur : L’or noir du Nigeria de Xavier Montonya, éd Agone.

 
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