Où va la CFDT ? Vers une nouvelle « Charte du Travail » ?




La Charte du travail est un ensemble de textes adopté par le régime de Vichy en octobre 1941. Cette Charte du travail instaure des corporations par branche d’activités, dissout les syndicats et interdit la grève dans le but de favoriser l’entente entre patron et ouvrier, et d’éviter la lutte des classes.

En signant les accords pourris sur les retraites et sur les indemnités des intermittent(e)s du spectacle, la CFDT a encore monté le curseur de plusieurs crans dans sa collaboration avec le Medef, réussissant à créer un malaise chez de très nombreux militant(e)s et organisations de la confédération, bien au-delà des rangs de ce qui reste de réelle opposition en son sein.

La CFDT a donc atteint un degré extrême dans l’accompagnement politique des libéraux : il s’agit ouvertement d’une collaboration avec l’organisation patronale, et cette collaboration ne peut que réjouir le gouvernement Raffarin, qui n’a pas manqué de féliciter François Chérèque, le secrétaire général de la CFDT.

Il y a quelques semaines, ce dernier en a remis une louche - une sacrée louche - débordant sur leur droite Medef et gouvernement, en déclarant que les salariés bénéficiant des « régimes spéciaux » de retraite (en première ligne : SNCF, EDF...) devront bien à un moment donné négocier la « perte de leurs privilèges ».

Cependant, il ne s’agit pas pour autant d’une collaboration au sens politique, c’est-à-dire une idéologie et une stratégie partagée avec la droite parlementaire libérale. La CFDT a une orientation qui lui est spécifique, indéniablement. Certes, le PS a gardé une dent contre la CFDT, ainsi que l’explique J. Pautrat dans une tribune de Libération au printemps et intitulée « Où va la CFDT ? ». J. Pautrat, ex-cédétiste et ex-conseiller social de Rocard et de Jospin, a dévoilé certains comportements de blocage de la CFDT sous le gouvernement Jospin.

Alors, la CFDT plus proche de l’UMP que du PS ? Certainement, mais là n’est pas la véritable spécificité politique de la bureaucratie dirigeante de la CFDT. Il est facile d’imaginer cette bureaucratie accompagner un gouvernement social-libéral de type Fabius ou Strauss-Kahn. En fait, la CFDT semble avoir décidé de rompre avec la tradition du syndicalisme réformiste social-démocrate. En effet, la confédération donne l’impression de vouloir abandonner pour le syndicat le rôle de « courroie de transmission » autant que celui de « compagnon de route » des partis sociaux-démocrates. Cela pourrait signifier la revendication de « l’autonomie » politique de l’organisation syndicale... qui, pour autant, ne rattache évidemment pas la CFDT à la tradition syndicaliste révolutionnaire ou anarcho-syndicaliste !

Le PS l’a bien compris et c’est ce qui explique l’ovation offerte à Bernard Thibault lors de son congrès de Dijon, qui ne peut s’interpréter seulement comme un coup tactique, mais bien comme une nouvelle alliance avec une CGT réformiste et recentrée prête à jouer le jeu classique de la répartition des rôles parti/syndicat dans la tradition social-démocrate.

S’intégrer au capitalisme

Ainsi, la CFDT paraît s’inscrire résolument dans une stratégie néocorporatiste pétainiste, débordant largement à droite le « delorisme », c’est-à-dire un projet social-démocrate chrétien europophile, qui était globalement la référence idéologique des différentes directions du syndicat, depuis le fameux « recentrage » de la confédération issu du rapport Moreau à la fin des années 70. Rapport Moreau qui justement faisait le constat de l’impossibilité du « débouché politique » après les élections perdues par la gauche parlementaire en 1978, pour justifier ce recentrage (ou syndicalisme de « proximité ») conçu notamment comme une autonomisation de l’organisation syndicale vis-à-vis du jeu électoral mené par les formations politiques institutionnelles.

Évidemment, la stratégie de la CFDT ne consiste pas à dépasser la problématique du débouché politique institutionnel par un syndicalisme de lutte autogestionnaire - qui était le credo de beaucoup de militant(e)s cédétistes dans les années 70, le fameux triptyque : appropriation sociale des moyens de production, planification démocratique, autogestion - mais d’institutionnaliser le syndicat comme un acteur politique capable de « gérer » la société, donc comme concurrent direct des organisations politiques.

Cette stratégie passe par la recherche de postes clés institutionnels traditionnellement dévolus aux organisations syndicales dans les systèmes de gestion paritaires (Unedic, Sécurité sociale, etc.) mais conçus comme des marchepieds vers une cogestion paritaire des questions sociales avec le patronat comme seul interlocuteur/décideur reconnu et non contesté, l’État étant exclu. L’autre facette est le lobbying auprès des institutions, y compris européennes.

« L’Europe »... sans plus de précisions - donc libérale - devient un des credo de la CFDT (thème de l’université d’été CFDT) et le lobbying devient la seule pratique syndicale.

La CFDT semble donc privilégier le Medef à la place des gouvernements de droite ou de gauche, le but étant de minoriser le rôle de l’État « jacobin » et de valoriser la légitimité des « décideurs » économiques que sont les patrons... et donc du syndicat « d’experts » cogestionnaires. Les alliances se nouent dans de multiples réseaux et connivences avec les milieux patronaux, et des think tanks à la gomme comme Confrontations où participent l’un des idéologues de la CFDT, Jean-François Trogrlic, aux côtés de l’ex-économiste du PCF Herzog et de l’ex-patron du CNPF Gandois.

Classes laborieuses, classes dangereuses

On peut aisément imaginer que les « théoriciens » de cette stratégie, qui ne sont pas forcément les dirigeants actuels de la confédération, mais dont les inspirateurs doivent certainement se trouver autour de la revue Esprit, analysent le contexte social-historique contemporain comme la disparition achevée du « mythe » de la classe ouvrière auto-émancipatrice et de la lutte des classes. La grève, les actions d’occupation d’entreprises et de séquestration de patrons, toutes formes de résistance radicale étant disqualifiées.

La CFDT est, aux côtés des libéraux et des intellectuels de gauche porte-coton du libéralisme, toujours en tête de pont pour conspuer le « poujadisme » dont feraient preuve les SUD, les associations de chômeurs(ses), José Bové et plus généralement toute action militante de contre-pouvoir. La CFDT adhère ainsi à cette idéologie, qui n’est qu’un racisme de classe, considérant que les classes populaires sont des classes dangereuses, mais dans un sens perméable à l’idéologie populiste et misérabiliste de l’extrême droite. Le capitalisme libéral étant considéré comme la « fin de l’histoire » indépassable.

Ainsi, les « experts » syndicaux doivent donc décider de ce qui est bon, non pas pour le peuple, mais pour la « paix sociale » sur le dos des salarié(e)s de plus en plus précarisé(e)s et des chômeurs(ses). Le concept dominant devient « l’équité », censé combattre les privilèges et les corporatismes... des salarié(e)s les mieux protégé(e)s, générant des tensions sociales qui profiteraient à l’extrême droite... tensions avivées par l’extrême gauche et le syndicalisme de lutte et les mouvements sociaux, CQFD !

On comprend mieux aussi le comportement d’un Chérèque déclarant à la presse que la signature précipitée de l’accord sur les retraites était justifiée par le fait que le projet de loi serait débattu entre parlementaires sans avoir été paraphé par une organisation syndicale, justifiant ainsi la prééminence de la forme sur le contenu : mieux vaut signer à froid avec le Medef n’importe quoi pour exister en tant qu’organisation syndicale en devenant ainsi un acteur « incontournable » pour les classes sociales dominantes - et pour cause - tout en se dégageant de la tutelle des partis politiques institutionnels.

Une opposition sans avenir

Syndicalisme d’accompagnement du patronat, voire d’anticipation sur les projets du Medef (la sortie de Chérèque sur les régimes spéciaux), syndicalisme dit de services, en fait corporatiste, abandon et disqualification des formes de lutte sur le terrain issues du mouvement ouvrier, lobbying, fonctionnement antidémocratique, « experts » aux postes de décision, abandon progressif de l’interprofessionnel au service des salariés les plus fragilisés et précaires, adhésion aux dispositifs pénalisant les chômeurs (PARE)... tout concourt à qualifier la stratégie de la bureaucratie CFDT comme réactionnaire !

L’opposition avortée de l’aventure « Tous ensemble » après le mouvement social de 1995 a sonné définitivement le glas de toute possibilité d’agir de l’intérieur et de peser politiquement au sein de la CFDT. Les quelques soubresauts ici et là qui ont un peu bousculé la confédération n’y changeront rien. La seule structure de masse oppositionnelle, la FGTE (transports et équipements), a convoqué une AG en juillet puis une autre en septembre pour prendre une décision si possible collective... l’adhésion à l’UNSA semble être une piste sérieuse retenue par les dirigeants de la fédération.

Circulons, il n’y a plus rien à voir !

Procope Séméniouta (AL Transcom)


LA DIRECTION DE LA FSU VA DANS LE MUR

Le groupe dirigeant de la FSU (Fédération syndicale unitaire) est content. Le jeu d’alliance de la CGT, fait de l’UNSA et de la FSU, un petit pôle de substitution, dans l’attente de l’unité avec la CFDT. La FSU qui a suivi, sans émettre la moindre critique, toutes les initiatives de la direction de la CGT pendant les mobilisations, avant l’été, considère aujourd’hui que ses choix permettent de la faire accéder au statut « grande organisation ». Cette reconnaissance d’un statut qui lui permettrait de « jouer dans la cour des grands » a un coût politique important.

Avec ce jeu d’alliance, la direction de la FSU va dans le mur, car cela risque encore plus de stériliser une organisation qui peine à élaborer des propositions pour toute la société, et dont l’engagement interprofessionnel a du mal à dépasser la pétition de principe.

La direction de la FSU risque encore de se couper des secteurs de lutte les plus combatifs. Le choix bureaucratique et opportuniste de la direction de la FSU sera, on l’espère, discuté en son sein, localement, notamment. En toute hypothèse, ce choix doit renforcer celles et ceux qui militent pour un syndicalisme de lutte et de transformation sociale afin de peser concrètement dans les luttes. Car, en définitive, l’enjeu principal est bien de développer ce syndicalisme-là.

Thierry Auréliano

 
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