politique

« Ouvrir une brèche dans le consensus national »




[Audio] Face à l’unanimisme (incluant le Front de gauche) en faveur de la « guerre au terrorisme » et de l’état d’urgence, les révolutionnaires se serrent les coudes. Plus de 500 personnes ont participé au meeting « contre le terrorisme, la guerre et le racisme », mardi 24 novembre au soir, au gymnase de la Bidassoa, à Paris 20e. Une voix à contre-courant, mais qui portera davantage à mesure que les événements nous donneront raison.

Dans la foulée des attentats du 13 novembre à Paris, ce meeting initialement prévu par le NPA autour du conflit à Air France a été élargi, et s’est transformé en meeting unitaire.

L’ensemble des organisations signataires de la déclaration commune « Leurs guerres, nos morts » – et même au-delà – étaient invitées à prendre la parole. Alternative libertaire, Lutte ouvrière, l’OCML-VP et le Conseil démocratique kurde en France avaient ainsi délégué des orateurs et des oratrices. On a également pu entendre Mathieu Santel (SUD-Aérien) revenir sur les luttes à Air France – dont les « chemises déchirées » n’ont été que l’épisode le plus spectaculaire – et Baby, une immigrante éthiopienne qui a vécu six mois dans l’enfer de la « jungle » de Calais.

Des postiers du 92 en lutte étaient venus faire une collecte de soutien. Dans le contexte, il aurait également été nécessaire que des militant.e.s ciblé.e.s par la police suite à la manifestation interdite du 22 novembre soient présent.e.s, mais apparemment cela n’a pas été possible – une AG sur cette question se tenait au même moment au CICP.

Ci-dessous, des extraits significatifs de chaque intervention + l’allocution in extenso d’Alternative libertaire.

L’intégralité des discours peut être écoutée sur le site web du NPA.


ALLOCUTION D’ALTERNATIVE LIBERTAIRE

Cher-es camarades,

En préparant ce meeting unitaire contre l’escalade militaire, la surenchère sécuritaire et le déferlement raciste, nous ne pouvons que prendre acte du fait que nous sommes plus que jamais à contre-courant.

Face à nous, il y a la grande union nationale en faveur de la prolongation de l’état d’urgence, regroupant tous les sénateurs et presque tous les députés du FN jusqu’au Front de gauche.

Face à nous, il y a le flot des chaînes d’information en continu qui rendent compte de l’émotion légitime d’une population violemment frappée par des djihadistes haineux mais qui zappent complètement la réflexion sur les conséquences politiques des attentats.

Face à nous, il y a enfin les réactionnaires de tous poils qui se frottent les mains en entretenant des amalgames honteux entre migrant-es, musulman-es et terroristes. Voilà pour le côté déprimant.

Mais on ne peut bien sûr pas s’en tenir là.

Notre tâche c’est de répondre aux préoccupations de nos collègues, de nos ami-e-s, de notre famille, de toutes celles et tous ceux qui ont parfois une idée très floue de ce que veut dire « impérialisme » et qui ont une vision très partielle de tout ce qu’implique l’état d’urgence.

L’enjeu, maintenant, c’est d’ouvrir une brèche dans le consensus national qui nous est tombé dessus comme une chape de plomb.

Nous n’avons pas de solution miracle mais nous pensons qu’il faut aller dans deux directions :

Il faut tout d’abord aller sur le terrain de la bataille des idées, en creusant les questions que n’importe qui peut se poser et en tâchant d’apporter des réponses simples mais pas simplistes.

Première question brûlante : est-ce qu’il faut intervenir militairement ?

Pour y répondre, ce n’est pas nécessaire de convoquer le bréviaire anti-impérialiste, il suffit de rappeler quelques évidences :

  • une coalition internationale est intervenue en Afghanistan en 2001 : est-ce que la situation est réglée aujourd’hui ?
  • les Etats-Unis et leurs alliés les plus proches sont intervenus en Irak à partir de 2003 : est-ce que la situation est réglée aujourd’hui ?
  • une nouvelle coalition internationale veut à présent noyer la Syrie sous les bombes : est-ce que cela va régler la solution ? Il y a des raisons de douter…

D’autant que la France est bien hypocrite quand elle prétend mener une « guerre au terrorisme » mais qu’elle continue de faire des courbettes au Qatar, à l’Arabie saoudite qui financent en sous-main le djihadisme pour maintenir leur influence dans la région.

Alors qu’est-ce qu’il faut faire pour vaincre Daech sur le terrain ?

Ce qu’il faut répéter, c’est que pilonner la Syrie peut mettre un frein temporaire à la progression de l’Etat islamique mais n’apporte aucune solution à long terme.

En Syrie comme en Irak, nous devons dire que la meilleure riposte c’est de soutenir les forces progressistes qui luttent en première ligne face à Daech.
Parmi ces forces progressistes, on trouve les milices du Kurdistan syrienqui non seulement ont infligé des défaites militaires à l’EI (à Kobanê, à Tall-Abyad, à Sinjar) mais qui en plus défendent une alternative politique, avec un projet de société démocratique, laïque, féministe et écologiste.

Deuxième question : comment faire pour enrayer le développement du djihadisme en France ?

La solution défendue par le gouvernement c’est la prolongation et le renforcement de l’état d’urgence avec des assignations à résidence facilitées.
Parallèlement, le gouvernement n’hésite pas à puiser dans le programme de l’extrême droite pour :

  • autoriser les policiers à garder leur arme en dehors de leur temps de service ;
  • mettre en place une « présomption de légitime défense » pour la police (c’est-à-dire reconnaître sans se poser de question que la police frappe toujours pour se défendre…) ;
  • déchoir de leur nationalité les binationaux impliqués dans des affaires de terrorisme, faisant ainsi croire qu’il y a un lien direct entre les immigrés et les terroristes.

Face à tout cela, il faut rappeler que les mesures sécuritaires sont très efficaces pour réduire les libertés publiques mais qu’elles sont beaucoup moins efficaces pour résoudre le problème du terrorisme.

On connaît d’avance les boucs émissaires de ce climat sécuritaire : toutes celles et tous ceux qui ont le malheur de ne pas avoir la bonne couleur de peau, de ne pas avoir les bons papiers ou de ne pas habiter dans les bons quartiers.

La solution ce n’est donc pas le repli sur soi et l’état d’exception permanent, la solution c’est plus de solidarité et plus de justice sociale. L’enjeu c’est de soigner les causes du malaise social, pas simplement de se focaliser sur les symptômes.

Ce qui nous amène à la deuxième direction vers laquelle nous devons aller : en même temps que la bataille des idées, il faut pousser vers plus de solidarité et plus d’organisation à la base.

Les attentats ont suscité beaucoup d’émotion mais aussi beaucoup de colère et de révolte.

Pour que cette révolte ne soit pas instrumentalisée par des discours va-t-en-guerre, nous devons proposer des perspectives d’action collective et de lutte pour changer la société.

Nous devons nous coordonner pour proposer d’autres expériences collectives, pour renforcer les solidarités de quartier, le tissu associatif, les structures syndicales locales, etc.

Du côté des organisations de masse dans lesquelles nous nous retrouvons, il faut pousser de même à maintenir les grèves, maintenir les rassemblements, bref maintenir le calendrier du mouvement social en toute autonomie du pouvoir politique.

À ce titre nous pensons qu’il faut exprimer toute notre solidarité avec les 58 manifestant-e-s dont la police a transmis l’identité au parquet suite au rassemblement de solidarité avec les migrant-e-s qui s’est tenu dimanche 22 novembre.

Pendant la Cop21, nous pousserons également à ce que la contestation puisse continuer à s’exprimer. Ce ne sont pas les mesures liberticides qui étoufferont notre soif de luttes et de justice sociale.

Photos : Guillaume/AL Montreuil

Photo : Marie-Au Palacio/AL Paris nord-est

 
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