Politique : L’État matraque... quelle contre-attaque ?




Alors que le mouvement social du printemps 2018 n’est pas parvenu à s’étendre, les flambées émeutières peinent à masquer la faiblesse du rapport de force réel. Il est d’autant plus facile pour l’État de réprimer les foyers les plus contestataires. Comment réagir ?

En 2017, la loi travail XXL est passée assez aisément, de même que l’augmentation de la CSG, agrémentée d’une mesquine baisse de l’Aide personnalisée au logement, et du maxi-cadeau pour la grande bourgeoisie qu’est la ­suppression de l’impôt sur la fortune. Les choses se sont légèrement gâtées pour la classe dominante lorsque deux secteurs historiquement combatifs, la SNCF et les facultés, sont rentrés massivement dans la danse. Au même moment, le gouver­nement a tenté d’expulser la Zad de Notre-Dame-des-Landes avec un déploiement policier délirant, et la direction d’Air France est mise en difficulté par une intersyndicale soudée comme jamais.

Face à cette vague de contestation, la contre-attaque du gouvernement est fondée sur un savant mélange de répression (étatique et para-étatique) et de désinformation.

Combinaison police et commandos fachos

La première vague de répression a frappé les facultés avec, en mars et début avril, des attaques de l’extrême droite et de milices assimilées, dont la plus emblématique a eu lieu à la fac de droit de Montpellier le 22 mars.

L’étape suivante a été la répression policière, avec un coup d’envoi le 9 avril sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes. Près de 2 500 gendarmes mobiles ont bombardé quelques centaines de zadistes d’un nombre absurde de grenades.

Puis ce fut la répression des manifestations – certes moindre que pendant la loi Travail – et l’attaque des lieux de lutte et de grève. Les universités occupées sont nombreuses à avoir subi des interventions policières : Tolbiac, Toulouse, Montpellier, Grenoble, Lyon, Strasbourg, Marseille, Nanterre, l’EHESS à Paris, etc. Les CRS ont aussi été envoyés contre les cheminot.es ou les postier.es en grève.

«  Gréviculteurs  » et autres «  privilégié.es  »

Ce maniement extensif des groupuscules fascistes et des forces de l’ordre, qui bien souvent ont aussi des sympathies fascisantes [1] est assorti d’une offensive propagandiste contre les grévistes. Tout y passe : les « gréviculteurs » qui seraient des « privilégié.es », « corporatistes », qui par leur égoïsme ruinent la qualité de vie de « celles et ceux qui veulent travailler ou étudier », le tout appuyé par des sondages plus ou moins bidonnés afin de justifier ces poncifs antigrévistes.

Autre élément récurrent : la stigmatisation de l’ultragauche et des « black blocs ». La diabolisation d’une partie du mouvement social présentée comme ultraviolente, doit créer un bouc émissaire. La « casse », mise en spectacle par les émeutier.es pour dénoncer les symboles du capitalisme, est également mise en spectacle par les médias, mais dans un but diamétralement opposé : éclipser la violence de la société capitaliste ; invisibiliser les manifestantes et les manifestants lambda ; désigner un bouc émissaire qui mérite la répression.

Répliquer à ce mélange de matraque et de propagande est nécessaire, et relève autant des orientations stratégiques que d’actions concrètes sur le terrain.

Primo, il faut gagner la bataille de l’opinion : il est extrêmement important de s’adresser à l’ensemble des travailleurs et travailleuses qui ne sont pas directement concerné.es par un secteur de lutte : démonter les mensonges sur les « privilèges » des grévistes ou les manipulations sur les violences (comme par exemple la prétendue attaque de l’hôpital Necker par le cortège de tête le 14 juin 2016).
Secundo, il faut mettre en lumière la violence policière pudiquement passée sous silence dans les médias, et la montrer pour ce qu’elle est : l’action de brutes payées pour fracasser celles et ceux qui osent élever la voix contre un ordre social profondément injuste. Filmer ces exactions avec un téléphone et poster sa vidéo sur les réseaux sociaux est un premier geste dissuasif.

Tertio, il faut éviter que se creuse un fossé de mépris entre, d’un côté, « les citoyennistes traîne-savate » et de l’autre « les casseurs dépolitisé.es ». Il est normal que tout le monde au sein d’un mouvement ne se retrouve pas dans la casse et les pratiques émeutières : les tactiques peuvent diverger, de même que l’appréciation de la pertinence d’une action. Il est aussi normal et sain de discuter entre révolutionnaires de ces divergences tactiques.
D’une part, les plus radicaux devraient réfléchir aux conséquences que les affrontements peuvent avoir sur celles et ceux qui n’y participent pas, et inventer un « black bloc qui bloque autre chose que la manif », comme l’ont réclamé certains après le 1er mai parisien [2].

D’autre part, il faut éviter le piège de la dissociation, qui répond bien souvent à une injonction médiatique. C’est-à-dire qu’il faut éviter les condamnations qui réduisent les « casseurs » à des personnes dépolitisées et hors du mouvement, en prenant une posture citoyenne de « manifestant pacifique légitime », à l’instar de la France insoumise ou du PCF. Cela ne peut qu’aggraver l’isolement et la répression des K-ways noirs, alors que ceux qui se dissocient publiquement se désarment d’avance en renonçant à toute action radicale.

Défendre les mouvements sociaux dans leur diversité

Quatro, il y a ce que l’on appelle la défense active, ou défense collective. Celle-ci propose de sortir par le haut de la sempiternelle opposition « black bloc » vs « citoyen pacifiste ». Considérant que les mouvements sociaux sont divers, ­l’idée est de chercher à les défendre dans leur ensemble. Cela passe par la sécurisation et la création d’un espace de cohésion au sein des manifestations et mouvements collectifs pouvant subir la répression directe, avec un ensemble de pratiques de défense visant à minimiser l’impact de la répression policière. Cela peut consister à structurer des cortèges difficilement pénétrables par la police (banderoles renforcées, chaînes) et à limiter l’impact des attaques : distribution gratuite de masques, de sérum physiologique et autres produits de premiers soins, etc.

Créer de tels espaces qui n’ont pas vocation à être des black blocs, mais des endroits où se sentir en sécurité en manifestation, pose un autre rapport à la violence, permettant de se protéger de la violence d’État. Enfin, il faut penser cette défense en termes juridiques, éviter que la répression ne soit individualisée, et donner un caractère politique et collectif à la lutte contre la répression judiciaire.

Matt (AL Montpellier)

[1Plus de 50 % des policiers et militaires ont voté FN en 2017 (Le Monde, 5 mai 2017), et la DGSI a identifié au moins une cinquantaine de militants de l’« extrême droite violente » au sein des services de sécurité (Mediapart, 9 avril 2018).

[2« Appel aux convaincu(e)s : une critique anti-autoritaire
du black bloc », 4 mai 2018, Paris- luttes.info

 
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