Quel mouvement social pour les quartiers populaires ?




Rien n’a encore changé dans les cités malgré le plan banlieue de Fadela Amara, dernière supercherie en date. Mais qu’en est-il des réactions des actrices et acteurs du mouvement social face à cette problématique ?

À la suite des révoltes de novembre 2005, on aurait pu croire que le mouvement social et les courants d’extrême gauche s’apercevraient de l’urgence à prendre en compte la question des quartiers populaires. Cinq ans après, le bilan ne peut être que mitigé, même si on constate plusieurs initiatives (Forum Social des Quartiers Populaires, commission quartiers populaires au sein du NPA, création de nouvelles associations comme le Mouvement des Quartiers pour la Justice Sociale ou de collectifs comme à Marseille...). Mais force est de constater que la riposte n’est pas à la hauteur des attaques sociales, racistes et répressives des dernières années. On ne peut dès lors que déplorer l’hypocrisie de certains syndicats ou de partis politiques comme LO dénonçant les « émeutes urbaines » quand elles sont les seules mobilisations capables de rappeler que les quartiers sont toujours victimes, plus qu’ailleurs, du chômage, des discriminations et de la précarité, et que la seule réponse de l’État reste une gestion répressive.

Pourtant, diverses luttes et mobilisations ont eu lieu dans les quartiers populaires ces dernières années, comme notamment les luttes pour la vérité et la justice dans les diverses affaires de violences et crimes policiers des cinq dernières années, et elles sont nombreuses (Zied et Bouna à Clichy-sous-Bois, Moushin et Lakhamy à Villiers-le-Bel, Laming Dieng à Ménilmontant, Abdoulaye Fofana à Aulnay-sous-Bois, Ali Ziri à Argenteuil...).

On peut aussi noter la mobilisation de la jeunesse des lycées de banlieue lors du mouvement CPE et en 2008, les fortes mobilisations en réaction au massacres de Gaza de janvier 2009, ainsi que des solidarités de quartier contre l’expulsion des sans-papiers...

Malheureusement, toutes ces mobilisations restent éclatées, locales, et ne convergent pas. La problématique des quartiers populaires n’est pourtant que la suite d’injustices et de rapports de dominations fortement interdépendants. Faire émerger un mouvement social des quartiers populaires pose forcément la question de la convergence des luttes.

Faire converger et éviter les récupérations

Elle doit aussi poser la question de la maîtrise par les habitantes et habitants des futures luttes à mener, et des récupérations politiques à combattre. Certaines associations (comme AC le feu, qui réclame davantage de commissariats dans les cités), sont malheureusement aujourd’hui dans une dynamique de récupération politique à des fins représentatives. Les acteurs et actrices du mouvement social, et principalement les militants autogestionnaires, doivent développer des pratiques de démocratie directe, afin que ces luttes restent celles des habitantes et habitants, sans commettre les erreurs du passé (comme la récupération des marches pour l’égalité par le PS dans les années 80 avec SOS Racisme).

Dès lors, une foule de questions se posent. Comment articuler luttes sociales « traditionnelles » (syndicales, etc.) et luttes propres aux quartiers ? Comment faire converger les luttes sociales, antiracistes, anti-patriarcales et anti-répressives ? Quels moyens de pression pour de futures victoires sociales dans les quartiers ? Entre manifestations légalistes et révoltes émeutières sans perspective, quelle radicalité face au pouvoir et quelle unité dans la lutte ? Quel mouvement social et quelles pistes à suivre pour le faire émerger, c’est la question que nous avons posée à plusieurs militants des quartiers populaires.

Nicolas Pasadena (AL77) et Ghislain (AL Marseille)


DONNER UN SENS À LA REVENDICATION SOCIALE

par Jean-Marc Izrine, militant d’Alternative libertaire et ancien militant des Motivé-e-s, qui travaille dans le quartier de la Reynerie à Toulouse.

Je ne pense pas que la présence militante, dans les quartiers, soit comparable à un désert. Elle est à l’image de notre société ambiante. Pas plus pas moins… Simplement, il y a injonction à faire mieux qu’ailleurs parce que les quartiers populaires d’habitat social sont des territoires d’exclusion plus visibles. Pourtant, il n’y a pas de relation mécanique entre misère sociale et explosion sociale, la situation n’est pas si simple. Et si une frange de la jeunesse la plus exclue lance des cailloux sur la police et brûle des voitures, ces révoltes, signe d’un grand abandon et désespoir, ne s’accompagnent malheureusement pas d’une remise en cause de la société.

D’où la nécessité de s’appuyer sur, et de maintenir aujourd’hui, les pôles militants des gauches sociales dans ces quartiers pour donner sens à la revendication sociale. Cependant cette réalité militante est éparse. Un courant sensible à la représentation institutionnelle et républicaine pose l’essentiel de la citoyenneté dans la démarche électoraliste pour faire entendre la voix des quartiers. Quand aux travailleurs et travailleuses issues des gauches sociales, ils et elles sont essentiellement impliqué-e-s professionnellement dans les métiers du lien social qu’ils soient associatifs ou du service public. Ce dernier courant tend à se servir de son travail pour encrer le politique à l’échelle territoriale et rompre ainsi avec le cloisonnement et le morcellement du tissu associatif ou des services publics, qui sont orientés par les pouvoir publics uniquement pour fermer le couvercle d’une marmite, au travers d’une démarche hostile au développement de toute revendication sociale.

Le questionnement militant essentiel se trouve donc dans une nécessité de trouver les leviers communs qui permettraient une mise en cohérence de la revendication sociale.

Aux divers militantes et militants de la gauche sociale de réfléchir à l’action la plus appropriée pour développer des organisations de contre-pouvoir indépendantes du chantage financier aux subventions, des comités et des intersyndicales de quartiers, etc. : l’imagination de doit pas manquer.


LES QUARTIERS NE SONT PAS DES DÉSERTS POLITIQUES

par Miguel Segui, militant syndicaliste, associatif et travailleur social dans différents quartiers de la région parisienne.

Les quartiers ne sont pas un « désert politique », ce sont les partis institutionnels du mouvement ouvrier (PC et PS) qui ont déserté ces quartiers et ont laissé s’y développer (voire même ont favorisé) des mouvements « communautaristes » ou xénophobes. De nombreuses associations existent et y construisent du lien social malgré des difficultés matérielles énormes, en tentant de résister au clientélisme, à la récupération électoraliste et à la répression.

C’est à partir de ces associations que nous pouvons et devons reconstruire un mouvement social qui doit se structurer par la base en partant des préoccupations quotidiennes des habitantes et habitants. Pour être « efficace » et « crédible », ce mouvement devrait être capable de dépasser ses divisions actuelles et de se fédérer à partir de campagnes locales et nationales permettant de redonner de l’espoir. Ce mouvement devrait aussi chercher à tisser des liens avec les militants et organisations politiques et syndicales qui souhaitent sincèrement s’y impliquer.

Quelles pistes suivre pour l’émergence d’un mouvement social des quartiers populaires ? Agir contre les violences policières qui touchent essentiellement les jeunes (environ 300 morts ces 30 dernières années). Lutter pour des logements et des services publics de qualité. S’opposer à la montée des précarités (emploi, salaires, etc.). Combattre les discriminations racistes, sexistes, homophobes et islamophobes. Revendiquer la création de structures autogérées et contrôlées par les habitantes et habitants. Favoriser la création d’associations indépendantes financièrement et politiquement. Structurer toutes ces énergies et richesses culturelles pour que les habitants se mêlent enfin de ce qui les regarde pour revendiquer tous et toutes ensemble l’égalité des droits.


LIER LA QUESTION SOCIALE À CELLE DU RACISME

par Kamel, cofondateur du Mouvement des Quartiers pour la Justice Sociale (MQJS), qui habite à Paris Nord.

En préalable, nous pensons, au sein du MQJS, qu’il est important d’être clair sur l’orientation politique, au sens large du terme, à avoir dans la construction d’un front social des quartiers. Et ce d’autant plus que depuis la révolte sociale de novembre-décembre 2005, bon nombre d’organisations politiques, associatives et dans une moindre mesure syndicales, ont mis en avant cet axe sans forcément clarifier le fond de leurs interventions. Or, il semble que nous ne pouvons pas agir réellement pour la défense des quartiers populaires sans lier la question sociale à celle du racisme.

La situation des habitantes et habitants des quartiers populaires, souvent issu-e-s de l’immigration, n’est pas uniquement liée au fait qu’ils soient descendants d’une immigration ouvrière. Leur exclusion sociale persistante tient aussi aux discriminations racistes dans l’accès à l’emploi, au logement, aux droits sociaux, non sans lien avec la problématique post-coloniale (débats sur l’identité nationale, les bienfaits de la colonisation...). L’émergence d’un mouvement social des quartiers doit à notre sens prendre en compte ces deux dimensions.

Il n’y a pas de solution clé en main, surtout dans un contexte social difficile d’une part et d’autre part d’éparpillement des initiatives et logiques militantes. L’émergence d’une dynamique revendicative dans les quartiers populaires n’est pas évidente, car elle se heurte aux structures para-municipales d’actions socio-culturelles, ayant souvent peu de prises sur la réalité des quartiers, et d’autre part à un tissu associatif dense et opérationnel, mais qui s’interdit d’aller au-delà d’actions concrètes de peur de perdre les maigres subventions publiques allouées.

Dans un tel espace, plusieurs pistes sont possibles. Sur le terrain associatif, le moyen de s’en sortir serait de fédérer un certain nombre d’associations de quartiers pour impulser des campagnes nationales et revendicatives (les crimes policiers, les discriminations racistes...), à l’image de ce qui se faisait dans les années 80 et 90 dans les cités. Sur le terrain militant traditionnel, il est grand temps que les organisations politiques et syndicales progressistes s’approprient pleinement ce champs d’intervention. Sans cela, nous demeurerons dans cette situation de marginalisation, pour ne pas dire de ghettoïsation des quartiers populaires.


VERS UN NOUVEL ÉLAN POLITIQUE DANS LES QUARTIERS

par Nico, membre de la commission quartiers populaires du NPA, habitant des quartiers nord de Marseille.

Il semble bien qu’on assiste à un retour de la question politique dans les quartiers populaires. Ce renouveau politique répond aux multiples attaques orchestrées par les gouvernements successifs, les partis de droite et d’extrême droite, les puissances impérialistes, et même par une partie de la gauche. Ainsi qu’on soit pauvre, noir, arabe, musulman, palestinien, napolitain, immigré de troisième génération, sans papiers, rom, femme seule, chômeur ou précaire, on est contraint de s’organiser pour lutter contre l’intelligentsia politique et médiatique. Dans ce climat d’exclusion et de racisme, on sent un souffle de résistance politique qu’on n’avait plus connu dans les quartiers populaires depuis la marche pour l’égalité de 1983.

Cette résistance cherche à se construire et à s’affirmer depuis une dizaine d’années. La « guerre de civilisation » mise en place par le gouvernement Bush à la suite des attentats du 11 septembre a ouvert la voie aux politiques et aux discours les plus violents et discriminatoires contre les classes populaires, tant au niveau national qu’international. Depuis la présence de Le Pen au second tour des présidentielles de 2002 jusqu’aux réflexes sécuritaires à la suite de la révolte des quartiers populaires en 2005, les déclarations ouvertement racistes de la quasi-totalité du gouvernement et de l’UMP, ou encore les deux mobilisations pour Gaza et son affligeant spectacle de manipulation et de désinformation sont autant d’éléments qui ne peuvent qu’inciter les populations à s’organiser et à reprendre leur parole politique. Malgré les multiples obstacles – divisions, clientélisme, exclusion et isolement, individualisme, concurrence généralisée et état de délabrement du mouvement ouvrier – nombreux sont les acteurs politiques, associatifs ou citoyens qui, modestement, au niveau local, tentent de recréer des cadres de discussion, d’élaboration et d’actions politiques pour permettre aux quartiers populaires de faire entendre leur voix et de construire une force politique capable de gommer trente années de capitalisme triomphant et de trahison de la gauche.

Le Collectif de réflexion et d’action populaire (Crap), créé il y a un an à Marseille et regroupant une cinquantaine d’associations, de centres sociaux, de partis de la gauche radicale, de syndicats, de communautés, entend, à son échelle, œuvrer à ce nouvel élan politique en luttant pied à pied contre toutes les attaques d’un système violent et injuste, et en proposant des réponses politiques qui changent vraiment la donne. En espérant que de tels regroupements s’opèrent partout en France, en Europe et ailleurs…

Propos recueillis par Nico P. et Ghislain

 
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